Un espace indifférent aux populations locales ?

La question de savoir si les populations locales considèrent la mission dans laquelle ils vivent comme un espace institutionnalisé, circonscrit, connu et qu’ils se sont appropriés est beaucoup trop vaste car les situations sont très différentes selon les lieux et les populations interrogées, en raison de nombreux paramètres : l’attitude du missionnaire, qui protège un village contre les menaces extérieures ou qui contribue au travail forcé, le rôle social qu’exerce la mission, son ancienneté en sont quelques uns. Chaque historien qui étudie une situation de mission dispose des éléments pour émettre un avis. En revanche, il faut constater que le sujet n’a jamais été l’objet d’un débat955. La question intéresse davantage les géographes, spécialistes de l’espace. Lors d’un colloque sur le territoire organisé par l’ORSTOM956 en 1995, Jean-Claude Barbier s’interrogeait sur le destin des paroisses d’Afrique noire : constituaient-elles des communautés territoriales ?957 Passant en revue les trois Eglises du Bénin, catholique, protestante et prophétique, le chercheur note que chacune a jalonné le territoire par des lieux saints et des lieux de culte. Ceux-ci possèdent une vraie capacité à fixer les populations. Mais ils sont plus des pôles d’attraction que des lieux de gestion d’un territoire. Si ces lieux fondent de nouvelles communautés, on ne peut les qualifier de territoriales. Et le chercheur de constater que la paroisse reste finalement une spécialité européenne, mise en place par une religion dominante et organisatrice, alors que l’Afrique offre un territoire caractérisé par la compétition religieuse. Ainsi, l’entité spatiale de la mission existe avant tout dans l’esprit du missionnaire, et notamment le Supérieur responsable du territoire, ainsi que pour la congrégation inquiète de ses limites et toujours prompte à réagir pour les défendre. Chaque menace pour l’intégrité de la mission donne lieu à des cartes d’explication et/ou de revendication.

Que deviennent les cartes missionnaires quand disparaissent les missions ? Au mieux, elles sont exposées dans les nouvelles paroisses, pour rappeler les premiers temps de la communauté chrétienne. Au pire, elles sont détruites à mesure que progresse la connaissance du terrain. Le plus souvent, les congrégations les conservent dans leurs archives pour témoigner de l’œuvre passée. Dans tous les cas, les cartes ne sont plus diffusées et la mission n’est plus donnée à voir. La carte missionnaire reste donc intimement liée à l’élan qui porte l’évangélisation de la moitié du XIXè à la moitié du XXè. Après, l’occasion pour laquelle un nouveau missionnaire doive faire une carte de sa mission ne se produit plus car il se contente de repasser sur une carte topographique ou touristique les limites de sa mission. Parfois, les cartes peuvent connaître une nouvelle existence, surtout quand elles alimentent des discours ethniques sur la présence originelle d’un groupe humain.

Notes
955.

Aucune référence par exemple dans les colloques organisés par le CREDIC, notamment celui consacré au passage des missions aux Eglises. Le sujet ne suscite pas d’intérêt auprès des travaux universitaires produits sur le fait missionnaire depuis un demi siècle. Voir l’article inaugural de PRUDHOMME Claude, « Cinquante ans d’histoire ds missions catholiques en France : l’âge universitaire » pp11-30 in Histoire & Missions C hrétiennes, n°1 mars 2007.

956.

Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer (ORSTOM), devenu Institut de Recherche pour le Développement (IRD) en 1998.

957.

BARBIER Jean-Claude, « Les paroisses d’Afrique noire fondent-elles des communautés territoriales » in Le territoire, lien ou frontière ?, colloque de l’ORSTOM, 24 octobre 1995, Paris.