Conclusion

L’impression qui se dégage est le silence fait sur l’œuvre cartographique missionnaire. Même au plus fort de la commémoration coloniale, les missionnaires n’apparaissent pas comme des cartographes ni même comme des explorateurs958. Mais encore s’agit-il de distinguer trois mémoires. La première est celle des scientifiques, collectionneurs de cartes. Dans la plupart de leurs recueils, le plus souvent anglo-saxons, les cartes missionnaires sont absentes, même dans ceux spécialisés sur la seule Afrique959. Ils n’apparaissent pas non plus parmi les listes de cartographes960, qui pourtant restent ouvertes aux amateurs éclairés. Les missionnaires disparaissent de la grande aventure de la cartographie africaine. Parmi les raisons, il faut rappeler que ces documents, produits à la fin du XIXè, ne sont plus considérés comme des œuvres insolites et de nombreux collectionneurs arrêtent de considérer les cartes anciennes à partir du début du siècle. Le XVIIIè en revanche regorge de documents. Ainsi, trop récentes pour certains, sans doute pas assez diffusées pour d’autres, les cartes missionnaires ont disparu. La seconde mémoire, de l’Eglise, est sélective, notamment celle des archives de la Propagande. Les cartes des Jésuites offertes à l’Empereur de Chine sont mises en avant pour témoigner de connaissances géographiques de l’ordre ainsi que de l’universalité du christianisme qui ne rencontre aucun obstacle sur terre. Même le palais pontifical est fier d’exposer ce genre de représentation961. En revanche, le chercheur est surpris du peu de considération pour les cartes du XIXè, notamment celles manuscrites et adressées à la Propagande pour l’encourager à statuer sur une mission d’Afrique. Les conditions d’archivage sont aussi surprenantes de la part de services pontificaux qui prétendent justement légiférer pour des territoires situés sur un autre continent. En définitive, la valeur de la carte reste déterminée par sa dimension politique. Or, de nombreux documents adressés à la Propagande n’intéressent que les services romains. C’est en parcourant les archives des congrégations et interrogeant leur mémoire, la troisième, que le chercheur prend conscience du travail insolite, rigoureux et de longue haleineaccompli par les évangélisateurs. Leurs travaux, et les cartes en particulier, sont victimes d’une mémoire asymétrique, résultat de l’amnésie du colonisateur et du savant et de l’exagération qui confine à l’édification quand elle est le fait des ecclésiastiques. La valeur scientifique et sociale des travaux se situe entre les deux.

Notes
958.

Numa Broc rappelle toutefois l’œuvre accomplie par les missionnaires, à travers quelques biographies parfois accompagnées d’un portrait, dans sa liste qui recense plus de 300 figures de l’exploration française en Afrique au XIXè : sont cités Augouard, l’abbé Debaize, les RRPP Dolisie, Dubrouillet, Duparquet, Horner. BROC Numa, Dictionnaire illustré des explorateurs et des grands voyageurs français du XIXè, Tome 1 : l’Afrique, Paris, éd. du CTHS, 1988, 346 p.

959.

La liste établie par Oscar Norwich sur les 345 cartes d’Afrique ne retient aucun missionnaire. Parmi les Français du XIXè, seul Levasseur est cité ; Norwich’s Maps of Africa, Aberdeen, 1997, 409 p. Celle plus ancienne de Tooley, composée d’une centaine de cartes, n’en cite aucun ; Collector’s guide to Maps of the african continent and southern Africa, London, Carta press, 1969, 132 p. Le colloque réuni par l’Université d’Aberdeen sur l’Afrique en 1994 n’évoque aucun missionnaire : Maps and Africa, Aberdeen university, African Studies Group, 1994, 259 p.

960.

L’ouvrage Maps and Mapmaking, British library, Hong-Kong, 1995, 303 p., ne cite qu’un seul missionnaire, Matteo Ricci, jésuite du XVIIè. En revanche, le Tooley’s dictionary of mapmakers, 1999, en 4 vol., connaît Duparquet pour sa carte de Loango et de l’Ovampo, ainsi qu’Augouard, mais ils restent référencés à partir du Dictionnaire de Numa Broc.

961.

Par exemple, au premier étage du bâtiment qui abrite la Bibliothèque et les archives secrètes pontificales se trouve une salle où se déploie une carte murale jésuite de Chine datée du XVIIè, sur un vaste panneau de plusieurs mètres.