1.2.1. Première hypothèse : l’arménien, langue iranienne

Dès le milieu du XIXe siècle, la question de la place de l’arménien parmi les langues indo-européennes commence à intriguer les linguistes occidentaux. Les premiers après Schlegel à soulever le problème sont, en Allemagne, Bopp et Windischmann, fondateurs des études indo-européennes. En partant de la linguistique comparative, ils montrent que l’arménien appartient à la famille des langues indo-européennes qui, à cette époque, c’est-à-dire en 1846, comprend selon Bopp, l’indo-iranien, le grec, le latin, le germanique, le baltique et le slave. Mais ils vont plus loin encore.

D’un point de vue lexical, l’arménien a très rapidement été rangé du côté des langues iraniennes, au vu des nombreuses similitudes qui existent entre elles. Une grande partie du vocabulaire arménien est en effet constitué de mots iraniens, Perses et Arméniens ayant cohabité pendant plus de 1600 ans, sur des relations établies de maîtres à vassaux. Les emprunts de cette longue période correspondent à des états successifs d’une même langue : l’iranien. Et la plupart des emprunts date de la domination parthe, au début de l’ère chrétienne. Il n’en a pas été relevé d’aussi importants dans les périodes ultérieures.

Voici ce que dit Meillet (1976 : 28), à ce propos :

‘[...] les mots iraniens qu’on trouve en arménien ne sont pas des mots persans ; ce sont des mots parthes fixés sous la forme qu’ils avaient au moment où ils ont été empruntés. Les mots ont été parfaitement assimilés par la langue.’

En plus des nombreux mots en commun, Leroy (1983) précise par ailleurs qu’au niveau syntaxique, un des éléments constitutifs de l’arménien est la composition nominale 8 , procédé également très développé en iranien. Donc, en plus des mots simples, de nombreux mots composés furent empruntés à l’iranien (dans des domaines sémantiques très divers).

Il restait en revanche de grosses lacunes concernant la phonétique historique, ce qui empêchait notamment de distinguer les mots hérités de l’indo-européen, des mots empruntés. Tout ceci fit apparaître pendant de nombreuses années l’arménien comme une langue iranienne.

Bopp affirma que l’arménien faisait partie du « rameau iranien » des langues indo-européennes, alors qu’il semblait s’en écarter sur bien d’autres points. On préféra alors le traiter comme un dialecte iranien marginal ou bien on recourait à la notion de « langue mixte », pour expliquer certaines contradictions.

Comme le rapporte Lamberterie (1994), Paul de Lagarde a même effectué une chronologie à propos du lexique arménien, avec la succession de trois strates, mais le point de départ, malgré les incohérences, restait toujours l’iranien.

Par la suite, tout rapprochement erroné avec l’iranien est remis en cause, et ce dès 1875, avec l’arrivée du courant néo-grammairien en Allemagne.

‘Le grand mérite du courant néo-grammairien [...] a été d’introduire une exigence de rigueur en matière de phonétique historique. L’idée qu’on se faisait jusqu’alors du système phonétique de l’indo-européen s’est trouvée bouleversée dès lors qu’on a posé en principe le primat de correspondance sur la ressemblance. (Lamberterie, 1994 : 142) ’

On reconsidère tout d’abord le système phonétique du proto indo-européen, en partant du principe de correspondances entre formes. C’est ainsi que l’on a obtenu une série d’acquis durables.

‘Au nom du principe de la « constance des lois phonétiques » , il est devenu nécessaire de rendre compte des anomalies au lieu d’admettre, comme on le faisait antérieurement, la possibilité de déviations arbitraires. (Lamberterie, 1994 : 142)’

On ne tolère plus les incohérences, il faut désormais les expliquer.

Notes
8.

Former un nom unique avec deux éléments de nature nominale.