Un des résultats de cette démarche fut celui de Hübschmann, qui reprend les contradictions établies sur l’arménien et fournit plusieurs preuves montrant que cette langue ne fait pas partie des langues iraniennes, mais qu’il s’agit bien d’un rameau parfaitement autonome dans la grande famille linguistique indo-européenne.
Il montre d’abord que, dans le lexique arménien, on doit distinguer les mots de source proto indo-européenne et ceux empruntés à l’iranien à différentes périodes, et qu’une fois mis de côté les emprunts, qui sont certes très nombreux mais qui n’appartiennent pas au substrat d’origine, il reste en arménien des éléments qui ne peuvent être ramenés à l’indo-iranien.
‘L’arménien doit donc être considéré comme une branche autonome à l’intérieur de la famille des langues indo-européennes. (Lamberterie, 1994 : 142)’Selon Godel (1982), Hübschmann a été le premier à fonder une grammaire comparée de l’arménien. Elle était consacrée au lexique et à son étymologie. Il y a identifié et classé les nombreux mots d’origine étrangère (mots iraniens, grecs et syriaques), qui forment une grande partie du vocabulaire arménien classique, et a examiné, grâce aux données comparatives, les mots authentiquement arméniens.
Ensuite, selon Nichanian (1989), Hübschmann montre également que l’arménien est une langue flexionnelle, mais que sa flexion n’a pas de lien avec celle de l’iranien (contrairement à ce qu’avait vaguement évoqué Bopp). Elle se rapproche beaucoup plus des langues slavo-lettones.
C’est une langue qui, contrairement à l’iranien, a conservé le système de déclinaison de l’indo-européen :
‘[...] l’arménien a gardé, malgré la chute de ses finales, la distinction de presque tous les cas de la déclinaison indo-européenne, mais il n’a pas trace de genre. (Le persan au contraire n’a plus ni déclinaison ni genre [...]). Meillet (1936 : 12)’Enfin, Meillet ajoute également une caractéristique (déjà évoquée par Hübschmann) du système phonique arménien qui, dans son aspect général, ressemble plus aux systèmes caucasiens méridionaux (comme le géorgien).
Tous ces arguments ont fait que, dès 1875, on ne peut considérer l’arménien autrement que comme un rameau isolé au sein de la famille des langues indo-européennes.
Iraniste et arméniste, Hübschmann était en son temps le mieux placé pour identifier les emprunts de l’arménien à l’iranien et les autres différences qui existaient entre les deux systèmes. Par la suite, ses recherches ont été reprises et approfondies par Meillet 9 , puis par son disciple arménien Adjarian.
Plus tard, tout en gardant cette idée de langue indépendante, Meillet exprime l’opinion que l’arménien est particulièrement proche du grec. Voici ce que dit Nichanian (1989 : 49) à ce sujet : « Un certain nombre de linguistes sont aujourd’hui d’avis que l’arménien et le grec formaient ensemble un seul et même groupe 3000 ans avant J.-C. Cette opinion a pour elle des arguments assez convaincants, mais elle doit encore être mise à l’épreuve. » Et Lamberterie (1994 : 147) complète : « [...] l’arménien, malgré la date tardive à laquelle il est attesté, apparaît comme une sorte de trait d’union entre le grec et l’indo-iranien. »