2.2.2. Diasporas et langues de diasporas

Une diaspora caractérise un peuple qui a quitté en masse et de manière forcée, souvent pour sa propre survie, son pays d’origine, pour des raisons politiques, géopolitiques, économiques ou religieuses par exemple. Ce sont des personnes qui sont souvent traumatisées d’avoir eu à quitter leur pays de force, même si c’est pour leur bien et leur sécurité, et qui doivent donc tout reconstruire dans un pays inconnu, qui devient leur nouveau pays de résidence. Il leur faut ainsi établir de nouveaux repères, s’accoutumer à ce nouveau pays, à un nouveau climat, de nouvelles personnes, une nouvelle culture, de nouvelles traditions et coutumes, une nouvelle façon de vivre, et bien évidemment une nouvelle langue, puisque même s’ils n’en prennent pas conscience au départ, ils se rendent compte au fil des années qu’un retour au pays d’origine est impossible.

Le réflexe des « diasporiques » est alors avant tout de se regrouper spontanément entre personnes de même histoire, de même origine. Toutes ces nouveautés étant effrayantes et parfois longues à acquérir, ils ont besoin de réconfort et tout simplement de la présence de ceux qui partagent une expérience identique et qui traversent les mêmes difficultés.

Les diasporiques ont ainsi tendance à se regrouper par exemple spatialement (mêmes villes, mêmes banlieues, mêmes quartiers...) ou culturellement autour d’associations, de lieux de culte, de manifestations diverses, mais aussi autour de la langue et de tous les moyens de communication qui peuvent la véhiculer (medias, livres, écoles...). Ils essayent de conserver leurs spécificités et leur mémoire collective tout en s’adaptant à la société d’accueil.

Voici ce que dit Bruneau (1995 : 20) pour illustrer le contraste entre un peuple vivant dans son propre pays et un peuple déraciné :

‘Un peuple qui vit sur son territoire d’origine, sur lequel sa nation s’est constituée dans l’histoire, a constamment sous ses yeux les signes, les symboles, les témoignages concrets de son passé (paysage, monuments, villages, villes). Un peuple en diaspora, au contraire, n’en dispose pas dans son expérience quotidienne et doit les rechercher dans sa mémoire collective et individuelle. Il cherchera si possible à les reconstituer au moins partiellement sur son territoire d’accueil. Son territoire d’origine vit dans sa mémoire. C’est une référence obligatoire dont il ne peut se passer. On comprend ainsi l’importance des associations à référence territoriale (régionale ou locale) dans les différentes diasporas.’

Tous les moyens sont donc bons pour cultiver et garder en vie cette mémoire qui représente le pays d’origine et qui maintient ce qui est arménien. Une notion nous semble primordiale à retenir : pour les Arméniens, comme pour d’autres peuples qui ont migré, on ne peut considérer qu’il existe une seule et unique diaspora. Il serait beaucoup trop réducteur et même faux de regrouper tous les Arméniens dans un seul groupe, étant donné qu’il y a eu, ne serait-ce que pour le cas de la France, plusieurs vagues de migration, de provenance et d’histoire extrêmement diverses. Nous nous en rendons compte si nous prenons les trois principaux flux migratoires qui sont, du plus ancien au plus récent : l’arrivée des Arméniens du génocide, l’arrivée des Arméniens d’Iran et l’arrivée des Arméniens d’Arménie. Trois périodes, trois histoires, trois causes complètement différentes qui peuvent expliquer d’ailleurs des intégrations tout aussi divergentes. Un des meilleurs indices à notre disposition pour montrer ces oppositions est la langue. Il serait en effet simpliste de croire qu’une diaspora possède une seule langue. Nous constatons que pour les Arméniens ce n’est pas le cas puisque les deux variantes actualisées sous forme de divers dialectes cohabitent en France. Nous avons donc plusieurs diasporas arméniennes en France, chacune ayant son histoire et ses dialectes propres. Même si nous gardons le terme de diaspora au singulier pour plus de facilité, il représentera à tout moment dans notre étude les différents sous-groupes qui existent.