2.3. Données typologiques

Lors de l’analyse des données, nous examinerons en détail les différences linguistiques qui existent entre l’arménien oriental et l’arménien occidental, ce qui nous permettra par la suite d’étudier précisément notre corpus, mais en attendant, nous présentons rapidement l’arménien dans sa globalité. Il est ainsi question aussi bien de l’évolution qui s’est produite depuis l’arménien classique, que des points communs qui existent entre les deux variantes, et de ce qui caractérise l’arménien par rapport aux autre langues du monde.

Comme nous l’avons déjà évoqué, l’arménien est une des langues indo-européennes qui possède la plus faible distance entre la langue moderne et la langue classique. De nombreuses structures sont ainsi restées identiques au fil des siècles ou comportent très peu de changements.

Si nous regardons tout d’abord ce qui passe sur le plan phonétique, le système est resté identique à celui de l’arménien classique, mis à part la perte des diphtongues et des triphtongues qui composaient le système initial.

Mais c’est encore au niveau morpho-syntaxique, tout comme pour l’évolution de l’indo-européen à l’arménien classique, que les changements sont les plus forts. Le système des déclinaisons nominales et pronominales est maintenu, bien que certaines désinences aient changé et que le traitement atypique de l’objet ne soit plus employé 30 . En effet, le nominatif et l’accusatif conservent une seule désinence 31 (sauf pour le système pronominal).

Si nous regardons à présent de plus près la formation du nom, nous sommes en présence d’une morphologie agglutinante ordonnée comme suit : le nom est suivi du morphème du pluriel, puis de la marque casuelle, puis de la marque du défini.

En voici le schéma :

N + pl + CAS + DEF

Le traitement de l’adjectif, lui, a en revanche bien évolué. L’accord entre celui-ci et le substantif ne se fait plus (cet accord était déjà facultatif en arménien classique), puisque désormais, l’adjectif est invariable et ne prend plus de marques de nombre ou de cas. Enfin, si nous regardons de plus près l’ordre des constituants dans le syntagme nominal, nous nous rendons compte que cet ordre est rigide et qu’il a été inversé par rapport à celui qui était dominant en arménien classique : il correspond désormais à la suite déterminant-déterminé. Le déterminant peut être incarné par un possessif, un démonstratif, un déictique et/ou plus simplement un adjectif. Enfin, notons que la langue est passée d’un état classique à prépositions, à un état moderne à postpositions.

Si nous complétons notre schéma précédent, voici l’ordre des constituants que nous obtenons pour un syntagme nominal :

Déterminant N + pl + CAS + DEF Postposition

Notons que la présence d’un déterminant possessif ou démonstratif n’exclut pas celle du défini, qui est le seul déterminant à pouvoir se placer à la droite du nom ; ceci n’étant possible que parce qu’il lui est agglutiné. En effet, le premier type a une valeur sémantique, tandis que le second apporte une valeur référentielle, une valeur distinctive. Ces deux marques sont donc complémentaires et non antinomiques.

Etant donné qu’il n’existe pas de genre grammatical en arménien et que l’adjectif est invariable, il n’y a aucun phénomène d’accord qui se produit au sein du syntagme nominal.

Pour le système verbal, tout comme pour le système nominal ou pronominal, l’héritage de l’arménien classique est omniprésent, mais comme nous le verrons par la suite, il a été disséminé de part et d’autre des deux variantes actuelles. Selon les notions qui sont exprimées, tantôt l’un des deux standards a été conservateur là où l’autre a été novateur, et vice versa. Nous verrons le traitement des tiroirs verbaux lors de la présentation des différences entre les deux variantes. Mais l’héritage commun conservé de part et d’autre est un système verbal flexionnel qui, dans un seul et unique morphème, fait apparaître les informations portant sur la personne, le nombre, le temps, l’aspect et le mode. Ensuite, l’arménien possède un passif 32 , avec un morphème -v- qui peut s’infixer à tous les temps de la voix active. Le traitement est légèrement différent de l’oriental à l’occidental, nous le verrons plus tard. Enfin, la langue possède également des formes causatives avec un morphème spécifique, ainsi que des formes factitives, qui sont cette fois purement analytiques, et comme le précise Donabédian (2000a : 6), « factitif et causatif se distinguent sémantiquement par le degré d’intentionnalité attribué à l’exécutant ».

D’un point de vue purement syntaxique enfin, l’arménien moderne a largement systématisé l’emploi de différents types de participiales au détriment des relatives, réservées aux expansions longues ou au style littéraire. Quant à l’ordre des mots (SOV), il s’est modifié par rapport à la période classique, mais est relativement souple, l’information importante à retenir étant que le verbe apparaît en position finale.

Notes
30.

Si ce n’est pour le système pronominal, dans les textes littéraires ou dans un style oral soutenu.

31.

Représentée par le morphème zéro.

32.

Le passif en arménien classique était représenté par un thème verbal différent du thème à l’actif.