Chapitre 2. Description linguistique des différences entre arménien oriental et arménien occidental

Afin de pouvoir amorcer l’analyse du corpus, il nous faut avant tout présenter le noyau de notre travail, à savoir les différences qui existent entre les deux variantes d’arménien. Bien entendu, notre présentation ne sera pas exhaustive puisque nous ne détaillerons que les points qui seront mis en exergue lors de l’analyse des données, le but de cette étude n’étant pas d’aboutir à une grammaire contrastive.

Il est cependant intéressant de noter qu’un tel travail comparatif portant sur l’arménien et s’appuyant notamment sur des données empiriques n’a pour ainsi dire jamais été mené. Nombreux sont les ouvrages décrivant indépendamment le système et le fonctionnement des deux variantes modernes de l’arménien 33 , mais très peu d’études ont tenté de les rapprocher. Les rares travaux existant en la matière sont ceux de Sargsyan (1985) qui remontent à plus de vingt ans. En revanche, depuis ces dernières années, ce thème semble être en vogue en Arménie et commence à susciter l’intérêt de quelques chercheurs. Ceux-ci s’intéressent aux systèmes linguistiques, mais pas encore aux données authentiques qui sont des échantillons de réalisations attestées. Ils décrivent donc ce que devrait être la langue, mais ne regardent pas ce qu’elle est réellement en discours.

Les différences apparaissent à tous les niveaux de la langue telle qu’on peut l’appréhender, en commençant par le niveau phonético-phonologique, en passant par le niveau morpho-syntaxique, pour terminer par le niveau lexical.

Une raison évidente peut nous permettre de justifier le fait que ces études comparatives aient été jusque-là si rares.

Les nombreuses descriptions existantes de l’arménien portent sur les deux variantes littéraires de la langue, c'est-à-dire des systèmes qui se manifestent essentiellement à l’écrit. Chaque variante a sa propre norme à l’écrit, ses règles orthographiques et grammaticales, et surtout son propre public. Selon les régions dans lesquelles on se situe, la littérature et l’apprentissage de la langue ne sont pas abordés de la même manière. Chaque variante possède sa sphère d’« utilisateurs » et d’apprenants. Dans ces deux domaines notamment, une seule des deux variantes d’arménien est choisie. En effet, à partir du moment où l’on est dans une situation d’apprentissage, un seul des deux systèmes est enseigné de façon rigoureuse, pour permettre une bonne acquisition de la langue. Un seul système est donc appréhendé aussi bien à l’oral qu’à l’écrit, afin d’éviter toute confusion possible et pour ne pas former un locuteur ayant acquis dès le départ un système hybride.

Cela étant dit, rien n’empêchera par la suite, l’apprentissage initial une fois terminé, de familiariser le locuteur avec les caractéristiques de la variante opposée.

Dans le domaine de la littérature ou plus globalement à travers les autres moyens de communication écrits, le choix entre les deux variantes, s’il est possible, doit être fait, entraînant par là-même le respect des règles du code choisi. L’écrivain et le journaliste rédigeront donc soit en arménien oriental soit en arménien occidental. Ils sont les fervents représentants de l’écrit et ils se doivent de respecter, de valoriser et de faire régner la norme.

A l’écrit, finalement, les deux systèmes cohabitent mais ne sont jamais en contact. Ils apparaissent en distribution complémentaire, c’est-à-dire que chacun a sa propre sphère et existe là où l’autre n’est pas.

Les différences entre l’arménien oriental et l’arménien occidental commencent à devenir pertinentes si un lecteur possède une variante différente de la variante qu’il lit. Ainsi, il ne ressentira aucune difficulté quant au déchiffrage et à la prononciation des unités graphiques, comme nous le verrons plus loin, mais pourra par contre être freiné par des constructions morphosyntaxiques ou par un lexique qui lui sont moins familiers.

Ces différences vont être encore plus accentuées dans le dernier cas de figure que nous allons présenter et qui est la base de notre travail : l’oral.

On passe d’une situation monologale, représentée par l’écrit, sans interlocuteur directement présent, à une situation dialogale, représentée par l’oral, où la construction du discours du locuteur dépend notamment de la présence explicite de son interlocuteur. Ce n’est désormais plus l’écrivain, mais bien le locuteur, c’est-à-dire la personne qui prend la parole, qui est le représentant de sa propre langue.

Notes
33.

Pour notre description, nous nous appuyerons notamment sur les grammaires et manuels de Feydit (1969) pour l’arménien occidental et de Minassian (1980) pour l’arménien oriental.