2.1. Au niveau phonético-phonologique

2.1.1. Les consonnes occlusives et affriquées

Les deux standards arméniens datent de la fin du XIXe siècle et correspondent chacun à une famille de dialectes. Ils se distinguent tout d’abord quant à leur prononciation.

La première différence entre les deux variantes porte sur le système consonantique, et plus particulièrement sur le traitement des consonnes occlusives et des affriquées. Ainsi, là où l’arménien oriental a été plus conservateur de l’arménien classique, en maintenant la distinction ternaire entre les consonnes voisées, non voisées tendues (ou légèrement glottalisées) et aspirées, l’arménien occidental a perdu cet héritage et est allé vers une simplification du système. Cette variante ne possède plus qu’un système binaire, mettant en opposition les consonnes voisées et leurs correspondantes non voisées. Ainsi, l’aspiration, en tant que trait phonologique, a complètement disparu pour laisser place à de simples non voisées et les non voisées, quant à elles, ont perdu toute trace de tension/glottalisation.

Nous observons donc bien deux systèmes phonologiques différents. Et cette opposition est encore accrue lors du recours au système d’écriture.

En effet, nous avons vu que l’alphabet arménien était phonétique, c’est-à-dire qu’à chaque son correspondait un symbole et vice versa. Cette règle est maintenue en arménien oriental, mais largement relativisée en arménien occidental. La binarisation des consonnes à l’oral a également son effet dans le rapport entre phonie et graphie. En fait, cette simplification, qui ne change en rien l’orthographe de la langue, complexifie tout de même le système d’écriture. Nous obtenons une parfaite inversion, par rapport au système conservateur, entre les occlusives voisées et leurs correspondantes non voisées. Autrement dit, là où dans la variante orientale les trois ensembles de graphèmes représentent trois catégories de phonèmes, dans la variante occidentale, ils n’en représentent plus que deux et sont radicalement inversés.

Voici la situation résumée sous forme de tableau :

Correspondances phonie-graphie
Correspondances phonie-graphie

Nous voyons donc bien que les symboles qui représentent des consonnes non voisées tendues en arménien oriental, représentent des consonnes voisées en occidental, et que les graphèmes qui, en oriental, reflètent des consonnes voisées d’une part, et des consonnes non voisées aspirées d’autre part, sont regroupés en occidental et reflètent tous sans distinction uniquement des consonnes non voisées.

Nous nous rendons donc bien compte que cette première différence entre les deux familles dialectales existe aussi bien à l’oral qu’à l’écrit. C’est-à-dire que si nous demandions à deux locuteurs dialectalement opposés de lire le même extrait de texte, ils auraient une prononciation complètement différente, parce que les mêmes caractères symbolisent deux systèmes phonologiques distincts. Finalement, la graphie est identique mais la phonie diffère.

En dépouillant notre corpus, nous avons trouvé plusieurs exemples montrant clairement la différence de prononciation qu’il peut y avoir entre un locuteur d’arménien oriental et un locuteur d’arménien occidental 35 .

En voici quelques uns :

Différences de prononciation entre locuteurs d’arménien
Différences de prononciation entre locuteurs d’arménien

Nous voyons bien dans chaque cas la différence de prononciation d’un dialecte à l’autre, pour les occlusives et les affriquées, et c’est un des points qui va nous intéresser dans cette étude.

Notes
35.

Pour simplifier notre texte, nous avons choisi d’appeler régulièrement les locuteurs d’arménien oriental, les locuteurs OR, et les locuteurs d’arménien occidental, les locuteurs OCC. De manière générale, les adjectifs oriental et occidental pourront apparaître sans la dénomination de la langue (arménien) et accompagner directement un nom ou un groupe nominal. Ex : le présent de l’indicatif occidental désigne le présent de l’indicatif de l’arménien occidental.