2.2.1.2. Le présent

La première opposition porte sur la formation du présent de l’indicatif. Voici ce que disent Feydit et Donabédian (2007 : 54) :

‘Comme dans de nombreuses langues, l’ancien présent étant devenu subjonctif, le présent moderne est une forme recréée par le recours à une stratégie nouvelle d’actualisation, différente en arménien oriental et occidental, puisque c’est le trait par lequel on distingue les deux variantes : « branche en -um » vs « branche en ge ».’

Du côté oriental, le seul présent qui existe est par défaut progressif, c’est-à-dire qu’il sert à exprimer un événement qui est en cours de déroulement au moment de l’énonciation 40 . Il est formé avec le morphème -um (homonyme du locatif) accolé à la droite de la base verbale, et suivi de l’auxiliaire être au présent. Notons que l’imparfait est noté de la même manière, avec l’auxiliaire être au passé.

L’utilisation de ce morphème du locatif n’est d’ailleurs pas très étonnante, puisque pour la construction du présent progressif, c’est un procédé que l’on retrouve dans de nombreuses langues du monde.

Voici ce que précise Creissels (2006a : 183) :

‘[...] la signification ‘un agent est engagé dans une activité’ est construite sur le modèle des phrases exprimant une localisation du référent du sujet relativement à un repère spatial, c’est-à-dire avec un élément prédicatif qui a le sens général de localisation (‘se trouver quelque part’) ou un sens de localisation plus spécifique (‘être assis/installé quelque part’, etc.). Dans une partie des cas, le verbe est clairement à une forme nominalisée assortie d’un marqueur locatif, et dans les langues qui distinguent une copule de sens spécifiquement locatif, c’est elle qui apparaît.’

Du côté occidental, deux types de présent apparaissent : d’une part, le présent neutre 41 , constitué d’un morphème libre gə 42 , appelé « particule d’actualisation », placé avant la base verbale au présent, et d’autre part, le présent progressif avec en plus le morphème gor 43 postposé 44 . L’imparfait se construit également de la même façon avec juste une variation de temps dans la base verbale.

Notes
40.

D’un point de vue typologique, cet emploi tend à être élargi, surtout quand c’est le seul type de présent attesté dans la langue.

41.

Qui peut parfois avoir une interprétation future.

42.

Comme nous le verrons un peu plus loin, ce morphème existe également en arménien oriental.Notons toutefois que dans la graphie occidentale, il apparaît séparé de la base verbale - կը գրեմ -, tandis que dans la graphie orientale, il s’agit du même morphème (avec un sens différent), mais celui-ci fait cette fois-ci partie intégrante de la base verbale - կգրեմ -, et voit même sa voyelle tomber. Pour plus de clarté et pour voir directement le lien entre les deux, nous avons décidé de traiter ces morphèmes à l’identique, en les faisant apparaître de façon détachée dans la glose.

43.

A propos de gor, voici ce que disent Feydit et Donabédian (2007 : 54) : « [Particule] stigmatisée par la norme comme dialectale car suspecte d’être empruntée au turc, mais elle pourrait avoir une origine arménienne (gay or « il y a que », réduit en gor), dont la grammaticalisation comme progressif aurait seulement été favorisée par la convergence avec la marque de progressif turc –yor, elle aussi postposée. »

44.

Avec la présence du gor, l’interprétation future est impossible.