2.2.1.3. Le passé

La deuxième opposition réside dans les tiroirs verbaux du passé. Nous venons de voir que pour le présent, chaque variante avait mis en place sa propre forme ; pour le passé, c’est uniquement la variante occidentale qui a été novatrice.

L’arménien oriental possède en commun avec l’arménien occidental deux formes accomplies pour exprimer le passé. C’est une distinction qu’on observe couramment dans les langues du monde. Selon Creissels (2006a : 184), il s’agit de « la distinction entre des tiroirs [verbaux] qui font simplement référence à des événements révolus (qu’on peut étiqueter d’un terme comme passé narratif) et d’autres (communément désignés comme parfaits) qui impliquent que les événements révolus auxquels ils se réfèrent conservent une certaine pertinence ».

Ainsi, en arménien, nous avons :

Quant au supplément apporté par l’arménien occidental, il s’agit d’une troisième forme accomplie marquée (n’ayant pas son équivalent en oriental), appelée forme médiative. C’est aussi un temps composé mais qui a une valeur modale bien particulière. Voici comment Feydit et Donabédian (2007 : 54) la décrivent :

‘Cette catégorie, bien connue en turc, albanais et bulgare, où elle est aussi issue d’un parfait, a souvent été décrite comme caractérisant une information que le locuteur ne tenait pas de première main, ou encore qui s’imposait au locuteur en situation, mais avec laquelle il prenait des distances. Voyant en sortant du cinéma, que le sol est mouillé, on dira : anstrew eker e, « il a plu » (inférentiel) ; ou encore, revoyant un enfant après plusieurs années : metztser e ! (qu’)il/elle a grandi ! (admiratif). Il s’agit donc d’une valeur modale, mettant en jeu le rapport du locuteur au contenu qu’il énonce. Cela est confirmé par l’existence de valeurs très diversifiées s’ajoutant aux précédentes (polémique, causalité, jugement de valeur, etc.).’

Le morphème correspondant au médiatif est -ɛr.

Finalement, l’innovation de l’arménien occidental réside en réalité dans son parfait résultatif, un participe en -ɑdz, créé à partir d’une forme adjectivale, la forme de parfait étymologique ayant été recyclée en médiatif, nouveau tiroir verbal, par le passage du -l originel au -r.

Notes
45.

Notons que pour certains verbes (statifs), il se peut que l’arménien oriental utilise le même morphème que l’occidental avec une valeur adjectivale, puisque c’est son origine.