La troisième et dernière opposition se situe ici. L’arménien oriental propose trois formes de futur différentes, tandis que l’occidental n’en possède qu’une. C’est d’ailleurs cette dernière que les deux familles auront en commun. Là encore, ce n’est guère surprenant, puisqu’il s’agit d’une construction fortement attestée dans les langues du monde.
Voici ce qu’explique Creissels (2006a : 186) :
‘[...] la signification de futur se développe généralement comme une inférence à partir d’une signification modale d’intention ou de nécessité. Si quelqu’un a l’intention de faire quelque chose ou doit faire quelque chose, la probabilité qu’il le fasse dans l’avenir est forte, et à partir de là on conçoit bien que des formes signifiant à l’origine intention ou nécessité puissent évoluer vers une simple signification de prédiction.’Les deux variantes d’arménien partagent donc la même construction :
bidi BvPRES (avec une différence de prononciation pour l’oriental : - voisé, + tendu)
Comme le précise Donabédian (2000a : 8), la particule bidi est une particule d’origine déontique et est en relation avec la forme petke, « il faut » (la racine pit/pet voulant dire ‘nécessaire, utile’).
Il s’agit d’un futur non marqué en arménien occidental. Le sens de base a bien évolué vers un sens prospectif. En revanche, en oriental, il aura gardé une valeur obligative, c’est-à-dire celle d’une nécessité de mettre une action en œuvre, valeur qui peut, comme nous venons de le voir, tout à fait être représentée par un futur.
Ces deux formes identiques ont leur équivalent fléchi au passé, avec la base verbale à l’imparfait. Elles auront tantôt un sens de futur dans le passé (« j’allais écrire »), tantôt un sens de conditionnel passé (« j’aurais écrit »).
En plus de cela, l’arménien oriental possède également un futur dit « indicatif », avec un morphème spécifique -u que l’on appelera « participe futur » 46 . Si l’on glose cette construction avec l’auxiliaire être et le participe, on obtient littéralement ceci : grɛl-u ɛ« il est à écrire ». C’est un futur à valeur épistémique, c’est-à-dire un futur qui exprime la probabilité. Il possède son équivalent passé avec l’auxiliaire être à l’imparfait.
Enfin, une troisième forme existe en oriental, c’est le futur dit « conditionnel ». Exprimé à l’aide du morphème k’ə suivi d’une base verbale au présent ou à l’imparfait (futur dans le passé), il peut par exemple prendre une valeur générique ou potentielle, dans des énoncés simples.
Voici ce que dit Kozintseva (1995 : 42) à ce sujet :
‘Future Conditional conveys the following meanings used in the simple sentence: real future, potential action, prescription. In the independent clause, the Future Conditonal expresses the future action about which the speaker is quite certain.’On peut éventuellement retrouver cette forme en arménien occidental, mais elle sera considérée comme un emploi libre du participe prospectif. En fait, la différence d’usage entre les deux variantes se situe dans le degré de grammaticalisation et lafréquence d’emploi. Ce futur est plus grammaticalisé en oriental qu’en occidental, c’est pour cette raison qu’on le retrouve dans les tableaux de flexion verbale orientaux.