2.3.1. L’héritage de l’arménien classique

L’arménien classique, tout au long de son histoire, a enrichi son vocabulaire d’origine. Une partie de son lexique est héritée de l’indo-européen, et une autre partie est empruntée à d’autres langues avec lesquelles il a été en contact.

D’après les études effectuées sur le lexique, les spécialistes sont entre autres capables de séparer les mots originairement arméniens et les emprunts qui sont, comme nous l’avons évoqué précédemment, en grande partie faits à l’iranien, mais aussi au grec et au syriaque.

D’une part, les racines provenant directement de la couche indo-européenne concernent principalement les domaines suivants : nature, parties du corps, relations de parenté, noms d’animaux, agriculture, élevage, économie rurale et mots de l’environnement domestique, ainsi que les noms des nombres et les pronoms. Cet héritage est relativement mince.

D’autre part, les mots exprimant la structure sociale, la religion, les arts et techniques, les métaux et tout ce qui concerne précisément les domaines étatique, administratif et juridique, ont été empruntés à l’iranien essentiellement.

Tous ces emprunts trouvent leur explication dans l’histoire :

Tout d’abord, au VIe siècle av. J.-C., les Arméniens ont cohabité avec les Ourartéens (ou Haldes), non indo-européens, qui avaient fondé le royaume d’Ourartou (au sud du Caucase). Leur langue, l’ourartéen, a fortement influencé l’arménien, en laissant des traces phonétiques, morphologiques et lexicales. C’est la première source d’influence externe.

Ensuite, l’Arménie devient tour à tour une province conquise par les Mèdes, puis une satrapie de l’Empire Perse. Donc, à partir de ce moment-là, les Arméniens ont été en contact plus ou moins direct avec les différents stades de l’iranien, et ces contacts concernaient essentiellement les domaines administratif, juridique et religieux. Si l’on étudie l’histoire arménienne et iranienne de plus près, on s’aperçoit qu’on peut même déterminer l’époque à laquelle les emprunts ont été effectués. Ce qu’il faut savoir, c’est que tout ces emprunts ont été faits aux états successifs d’une seule et même langue : l’iranien. Ils ont surtout commencé avec l’iranien ancien (entre 560 et 330 av. J.-C.), sont passés par le pehlevi de l’époque parthe (entre 256 av. J.-C. et 224 ap. J.-C.), puis par le pehlevi de l’époque sassanide (jusqu’en 642), et enfin par l’iranien moderne.

En ce qui concerne tous ces emprunts à l’iranien, nous pouvons retenir qu’ils sont nombreux parce que Perses et Arméniens ont cohabité pendant plus de 1600 ans, sur des relations établies de maîtres à vassaux.

Notons que la majorité des emprunts a été faite pendant l’époque parthe, à l’ancien pehlevi. C’est notamment sous la domination des Arsacides (dynastie parthe) qui ont régné sur la Perse et sur l’Arménie pendant plus de trois siècles, qu’il y a eu réorganisation de la société sur le modèle parthe iranien. Et c’est ainsi que de nombreux mots iraniens concernant la structure de l’Etat et son administration, ainsi que le domaine juridique, sont entrés dans la langue arménienne.

Par ailleurs, en plus de la masse des emprunts faits à l’ourartéen puis à l’iranien, il existe en arménien classique environ deux cents mots provenant du syriaque, phénomène dû essentiellement à la proximité et au mélange des deux peuples (Arméniens et Syriens) à une certaine époque. Cette proximité tenait essentiellement à la proximité théologique des deux églises, à la périphérie de Byzance, puisqu’ils furent les deux premiers peuples à se convertir au christianisme. Les Syriens ont tout simplement laissé des traces de leur langue dans l’arménien 71 .

Enfin, il y a eu de nombreux emprunts grecs et ce, dès l’époque byzantine. On assiste à une influence hellénistique au sein de la cour royale, dans le domaine culturel. Mais peu de mots sont réellement entrés dans la langue arménienne, en tout cas jusqu’à l’adoption du christianisme 72 . On parle alors, à ce moment-là, d’une forte influence du grec sur la langue arménienne, non par des emprunts directs dans le sens de l’approche comparatiste ou par un contact des populations ou par domination culturelle, mais par un cheminement interne (passage de la langue écrite et savante à la langue populaire).

Cette base historique, même si elle est constituée en grande partie d’emprunts, est entièrement commune aux deux variantes d’arménien.

Notes
71.

Toutefois, la plupart des termes empruntés concernait la religion : la première traduction de la Bible en arménien s’est faite à partir d’un exemplaire en syriaque.

72.

Augmentation du nombre d’emprunts au grec à partir du IVe siècle.