3. Les hypothèses

Nous venons de présenter les différences attestées entre l’arménien oriental et l’arménien occidental, et présentes dans notre corpus de données authentiques. Elles se situent :

Nous avons formulé par ailleurs différentes hypothèses de départ, illustrant le probable fonctionnement des adaptations, phénomène qui permet d’augmenter le degré d’intercompréhension entre les locuteurs de variantes opposées. Si nous récapitulons à présent ces hypothèses, voici ce que nous pouvons en dire :

Cette grammaire contrastive que nous avons tenté de mettre au point montre les points communs et les divergences que contiennent les deux variantes d’arménien qui constituent notre objet d’étude. Nous avons mené une description des phénomènes tels qu’ils étaient attestés en langue en essayant de les illustrer avec des exemples pris en discours (dans la variante d’origine des locuteurs), au cœur des interactions que nous avons enregistrées, pour atténuer autant que possible le décalage qu’il peut exister entre la grammaire, en tant que norme de référence stabilisée, et les pratiques langagières des locuteurs, individuelles et toujours fluctuantes.

Cette description nous a permis d’établir certaines hypothèses quant aux points de contact potentiels des deux variantes lorsqu’elles se trouveraient employées dans la même interaction. Nous avons donc pu, tout au plus, faire quelques suppositions sur les possibilités offertes par les deux systèmes linguistiques, mais en aucun cas, nous n’avons pu prévoir ce qui peut réellement se passer, en discours, lorsque des locuteurs placeront différents dialectes en contact. Il aurait été très délicat voire imprudent, même au niveau phonético-phonologique, de formuler, à partir d’une unique description linguistique, des hypothèses qui chercheraient à établir une tendance quant au fonctionnement des adaptations, dans un sens ou dans l’autre. Nous ne pourrions, par exemple, jamais dire que les adaptations morphologiques se font plus en arménien oriental qu’en arménien occidental, uniquement à partir de la description des systèmes. Il paraît alors indispensable de voir les utilisations individuelles qu’un locuteur peut faire de la ou des langues dont il dispose, dans une situation de communication particulière. Autrement dit, le phénomène des adaptations qui va nous intéresser dans toute notre étude, est propre à chaque locuteur et n’est pas uniquement dépendant d’un système linguistique. Nous ne pouvons ainsi guère établir de tendances générales quant au fonctionnement de ces adaptations en nous basant uniquement sur les systèmes linguistiques, mais nous devons voir comment fonctionne cette « grammaire‑en-interaction » qui est actualisée par les locuteurs. La situation de communication, la compétence des locuteurs, les liens entretenus entre eux, sont quelques éléments qui vont complexifier l’analyse et montrer à quel point l’adaptation est liée à l’individu qui la produit et ne relève pas seulement de critères internes, purement linguistiques, mais également, et de manière indissociable, d’un ensemble de facteurs externes, que ceux-ci soient propres aux locuteurs ou à la situation de contact.

La sociolinguistique, avec sa prise en charge de l’individu et de la situation, en plus de la langue, apparaît alors comme le cadre théorique correspondant le mieux à l’objet d’étude qui est le nôtre, et nous tâcherons de consacrer le chapitre suivant à montrer la richesse qu’un tel cadre nous offrira pour l’analyse prochaine de nos données, et nous permettra de limiter de façon fine notre objet de recherche.

Pour conclure cette présentation, nous pouvons reprendre toutes les différences linguistiques qui vont nous intéresser pour la suite de notre étude, sous forme de tableau synthétique :