1.2. La situation de notre objet de recherche

Après cette présentation succinte de quelques-unes des branches de la sociolinguistique, voyons où se situe notre objet de recherche. Il pourrait provisoirement concerner les trois premiers domaines évoqués ci-dessus, ainsi que le sixième.

Tant que nous n’avons pas clairement défini ce qu’était une situation diglossique, nous pourrions, de prime abord, imaginer qu’un des fonctionnements possibles, lors du recours à nos deux variantes d’arménien, pourrait reposer sur la distribution selon des fonctions sociales différentes occupées par l’une et l’autre des variantes. Il s’agira de regarder si l’usage qui est fait de ces deux variantes pourrait être expliqué par une répartition selon les rôles et l’importance incarnés par chacune d’elles.

Nous allons également pouvoir nous inspirer des travaux de Labov concernant l’étude du phénomène de variation. Ainsi, comme l’évoque Martinet dans la préface du célèbre ouvrage de Weinreich, Languages in contact (1953), une communauté linguistique, c’est-à-dire selon lui des individus partageant la même langue, n’est jamais homogène. Et ce, parce que la langue parlée (et pas forcément les langues) est soumise à variation. Cette variation peut porter sur toutes les dimensions de la linguistique.

Une série de linguistes, en commençant par Meillet, suivi de Martinet, de Weinreich et enfin de Labov se sont intéressés globalement au phénomène de variation linguistique, c’est-à-dire tout ce qui au sein d’une même langue peut prétendre à variation. Ainsi, nous nous appuyerons largement sur certains de leurs travaux puisque travaillant sur deux variantes d’une même langue, nous serons obligatoirement confrontée à ce phénomène omniprésent.

Nous nous retrouverons, à partir de là, directement concernée par le deuxième domaine puisqu’impliquée dans une situation de langues en contact. Ces contacts sont de deux ordres : tout d’abord le contact entre la langue du pays d’accueil, c’est-à-dire le français, et globalement la langue des migrants, à savoir l’arménien, si nous ne cherchons pas à faire la distinction entre les différents groupes de migrants et leurs histoires ; puis le contact entre les deux variantes d’arménien, qui est un cas particulier de contacts de langues. Nous éclaircirons par la suite toutes ces notions.

Le cœur de notre analyse, enfin, se situant dans les interactions verbales, nous nous attarderons particulièrement sur la méthode développée par Gumperz qui correspond en de nombreux points à celle que nous utiliserons. Le recours à des données authentiques pour mettre en contact les deux variantes d’arménien et voir comment elles sont employées par les différents locuteurs semble être le meilleur moyen d’obtenir une situation proche de la réalité. Autrement dit, nous allons présenter une étude qui se fonde certes sur une grammaire « abstraite », c’est‑à‑dire une grammaire de phénomènes attestés et attendus, mais également une étude qui regarde en contexte les usages langagiers qui sont réellement faits par les locuteurs et qui peuvent parfois être marqués voire non attestés par rapport à la grammaire de référence.