2.1.2. La taille et le prestige

Cette tentative de dénomination n’étant pas fiable, Hudson (1980) a proposé de distinguer, sur des critères en apparence plus élaborés, langue et dialecte. Selon lui, le premier critère est un critère de taille : une langue est plus grande, plus importante, plus riche qu’un dialecte, c’est-à-dire qu’une variété qu’on appellerait une langue contient plus d’éléments qu’une autre variété qu’on nommerait dialecte. Ensuite, il suggère le critère du prestige : une langue a un certain prestige qu’un dialecte ne possède pas. Par exemple, un des prestiges d’une langue dans certaines cultures est le fait de se servir de ce système-là à l’écrit, et non des divers dialectes pouvant exister par ailleurs.

Ces deux premières données sont d’emblée discutables et peu pertinentes : concernant la taille des langues, il est difficile d’établir des comparaisons entre elles, ce critère étant beaucoup trop relatif. Une langue comparée à une autre peut paraître grande, mais la même langue peut être beaucoup plus petite par rapport à une troisième. Il est en outre impossible de pouvoir comparer les contenus mêmes des langues, basés sur les systèmes linguistiques, surtout s’ils ne reposent pas sur des phénomènes identiques.

Si malgré tout, nous appliquions ces deux données à l’arménien, a priori, nous pourrions établir que l’arménien oriental est une langue et que l’arménien occidental en est une autre. De par la taille, elles ont exactement la « même » taille, étant composée des mêmes phénomènes linguistiques de base, qui ont leurs similitudes et des divergences de fonctionnement. Quant au prestige, il pourrait certes y avoir un décalage de par leurs statuts puisque la première est la langue d’Etat en Arménie et la seconde est la langue de la diaspora arménienne dans de nombreux pays, mais il s’avère in fine qu’elles possèdent chacune leur propre prestige. Et si nous reprenons le critère du système d’écriture, elles disposent également chacune de leur propre système d’écriture ainsi que de leur littérature. Les deux arméniens sont donc bien chacun « prestigieux » mais pour des raisons différentes et non comparables. Nous serions, selon ces critères, en présence de deux langues distinctes.