3.2.2. La diglossie selon la sociolinguistique suisse

La Suisse étant un pays officiellement quadrilingue et regroupant de nombreux dialectes, les phénomènes de plurilinguisme et de migration (interne ou externe) sont très étudiés, et les chercheurs s’y intéressant optent pour une orientation plus « conversationnaliste » qui permet de mettre en avant tous les phénomènes qui peuvent apparaître à la suite d’un contact de langues, tels que l’alternance codique, les emprunts ou les interférences par exemple.

Les linguistes s’intéressant à la situation suisse proposent notamment d’étendre la définition de la diglossie parce que, dans le cas de la Suisse alémanique par exemple, il n’y a pas de véritable relation hiérarchique entre les deux variétés employées. Elles vont être choisies en fonction du canal de communication, l’allemand longtemps considéré comme variété high étant en fait plus simplement la variété écrite, et le suisse-allemand, qualifié parallèlement de variété low, étant la variété orale qui, pour autant, n’a pas un statut inférieur par rapport à l’allemand.

‘La situation en Suisse alémanique est caractérisée par une diglossie médiale entre le suisse allemand ou « schwyzertütsch », ensemble de dialectes régionaux, et l'allemand. La répartition des fonctions est assez stricte : tout le monde parle le schwyzertütsch dans pour ainsi dire toutes les situations de la vie quotidienne, même pour parler de physique nucléaire ou de philosophie existentialiste; l'allemand standard est utilisé à l'écrit et dans de rares situations formelles. (Lüdi, 1998)’

Voici donc une proposition de définition plus large de la diglossie, faite par Lüdi et Py (1986 : 23) :

‘Situation d’un groupe social (famille, tribu, ville, région, etc.) qui utilise une ou plusieurs variétés (langues, idiomes, dialectes, etc.) à des fins de communication, fonctionnellement différenciées, pour quelque raison que ce soit.’

En prenant cette définition plus ouverte, nous pourrions l’appliquer à la communauté linguistique arménienne en France et dire que nous sommes alors en présence de locuteurs bilingues au minimum (français et une variante d’arménien), qui se retrouvent dans deux types de situations diglossiques (français/arménien, arménien oriental / arménien occidental). Pour comprendre l’étendue de la notion de diglossie, il faut avant tout s’intéresser à la répartition des locuteurs plurilingues qui expliquera, en partie, les contacts de langues qui sont possibles. Mackey (1976) suggère que les bilingues, selon les pays dans lesquels ils se trouvent, peuvent soit être concentrés dans une même région, une même ville ou un même quartier comme en Irlande, soit être disséminés dans toute la population comme dans de nombreuses régions d’Afrique du Sud, ou bien être isolés de la majorité unilingue comme en Laponie, ou encore être en contact permanent avec elle comme en Belgique. Ces locuteurs sont donc plus ou moins fortement confrontés à d’autres langues que leur langue d’origine. Dans notre étude, la distribution semble bien particulière. En effet, nos locuteurs sont en situation de diaspora, et ce phénomène rend la répartition intéressante.

Tout d’abord, les locuteurs de la diaspora étudiée sont bilingues français/arménien et ils répartissent leurs usages langagiers selon le déroulement de leur vie quotidienne, avec une prédominance de l’utilisation du français, qui est la langue du pays d’accueil et la langue de tous les contacts avec la vie extérieure.

Certains de ces mêmes locuteurs sont par ailleurs également « bilingues », dénominons-les ainsi pour le moment faute de mieux, mais bilingues arménien oriental / arménien occidental, autrement dit dans deux variantes d’une même langue.