4. De la sociolinguistique à l’analyse des interactions verbales : la sociolinguistique interactionnelle

Avec Gumperz (1982), nous prenons un tournant méthodologique important. Sa proposition consiste à se plonger dans les interactions verbales et à constituer de véritables corpus de données authentiques pour voir le fonctionnement de certaines productions langagières. Là où d’autres proposaient essentiellement de se baser sur des enquêtes sociologiques ou (socio)linguistiques, Gumperz montre l’importance de l’utilisation des interactions, en tant que support, et s’intéresse plus particulièrement aux conversations, à partir desquelles il peut expliquer certains comportements et choix des locuteurs que des données sociales, culturelles ou encore purement grammaticales, autrement dit des données externes ou internes ne permettent pas d’élucider en totalité.

Les structuralistes ont utilisé des données empiriques, mais essentiellement dans le but de forger leur grammaire de la langue basée sur des catégories abstraites. Puis vient le tour des dialectologues qui s’intéressent aux dialectes et aux variations linguistiques. Ils se servent de la technique du travail sur le terrain, mais de façon complètement différente de celui, minimaliste, pratiqué jusque-là par les structuralistes. Ils procèdent à des enquêtes très précises, en récoltant des échantillons de langues, voyagent de village en village pour recueillir les différents parlers et constater les variations qui se produisent d’un endroit à un autre, établissant ainsi des cartes d’isoglosses pour montrer la distribution des différents dialectes recensés. Dans le courant des années 30, les dialectologues commencent à se rendre compte de l’importance des facteurs sociaux qui renseignent très fréquemment sur la répartition de ces isoglosses. Mais leurs données ne sont que difficilement exploitables.

La grande nouveauté est finalement amenée par Labov (1967) qui combine ce qui caractérise le structuralisme avec les techniques d’enquête de la sociologie moderne.

‘On a pu alors montrer comment des variables linguistiques spécifiques se rapportaient à des variables sociales mesurables. [...] On considère que la variabilité sociale est une propriété inhérente aux systèmes linguistiques et qu’il faut l’inclure dans les règles grammaticales. (Gumperz, 1982 : 22)’

Ce nouvel apport exige que l’on ne considère plus le locuteur individuel ou sa compétence linguistique comme le point de départ d’un travail d’analyse, mais qu’on prenne en compte la communauté linguistique en tant qu’entité avec ses interactions.

C’est alors que l’analyse des conversations se révèle être une approche méthodologique importante lorsque l’on s’intéresse aux attitudes des locuteurs en interaction. Nous saisissons bien les différences d’interprétation qu’il peut y avoir entre un énoncé isolé et/ou construit, et un énoncé pourvu d’un contexte parce qu’issu d’un extrait de conversation par exemple. Le second peut justement se trouver motivé ou se justifier grâce au contexte qui l’encadre.

Gumperz s’est intéressé à la richesse que pouvait apporter l’analyse des interactions en étudiant plus particulièrement les dialectes sociaux, régionaux et les groupes et langues en contact.

‘Les échanges conversationnels ont certaines propriétés dialogiques qui les différencient de phrases ou de textes écrits. Propriétés qui nous permettent d’éviter, ou au moins de contourner certaines des difficultés rencontrées dans l’étude de messages isolés. Notre exemple illustre deux de ces propriétés : (a) les interprétations sont négociées conjointement par le locuteur et par l’auditeur, et les jugements confirmés ou infirmés par les réactions qu’ils suscitent ; on ne peut les inférer d’un énoncé isolé ; et (b) les conversations contiennent souvent en elles-mêmes une évidence interne de ce qu’est le résultat ; que les participants partagent ou non les conventions d’interprétation, ou parviennent ou non à leurs objectifs de communication. (Gumperz, 1982 : 22)’

Dans notre étude, le recueil d’interactions authentiques était non seulement l’unique moyen d’observer les variantes en contact, mais également le meilleur laboratoire pour analyser le fonctionnement des adaptations. Ces dernières sont un exemple de stratégies que peuvent employer les locuteurs lorsque le besoin s’en fait sentir. Ce besoin est motivé par la situation de communication et par les participants, c’est-à-dire les composants de base de toute interaction verbale. Autrement dit, c’est en contexte, donc au cœur de nos interactions, que nous trouverons parfois les éléments qui peuvent déclencher le recours aux adaptations. Par exemple, lorsque nous relèverons une forme contenant une adaptation (que celle-ci soit par ailleurs réussie ou ratée), nous pourrons examiner si sa présence a été provoquée par le ou les énoncé-s précédent-s produit-s par le locuteur lui-même (utilisateur de l’adaptation) et/ou par un de ses interlocuteurs. Ce n’est d’ailleurs pas forcément le discours de l’autre mais uniquement sa présence qui peut occasionner une adaptation de la part du locuteur. Toujours est-il que tous ces indices permettant d’expliquer les stratégies utilisées par les participants, notamment pour améliorer l’intercompréhension, ne peuvent apparaître que dans ce genre de situation de discours.