Selon l’hypothèse de départ, nous devons présenter les différentes stratégies auxquelles le locuteur et l’interlocuteur peuvent avoir recours dans le cas d’une adaptation convergente, c’est‑à‑dire une adaptation qui vise à réduire le plus possible les différences entre les participants et à maximiser l’efficacité de la communication, lorsque langues et dialectes sont en contact. Les études explicitant la théorie de l’accommodation sont majoritairement psychologiques, et comme l’évoque Trudgill (1968 : 2, trad.pers.), tous les spécialistes s’accordent à dire que « l’accommodation convergente est une caractéristique universelle du comportement humain ». Le but du travail mené ici n’est pas tant de discuter les arguments socio-psychologiques qui peuvent expliquer le recours à l’accommodation, que d’apporter des éléments de nature linguistique, sociolinguistique et interactionnelle permettant de comprendre l’utilisation d’un tel phénomène. Des études psychologiques nous auraient demandé une toute autre approche dans la constitution et l’exploitation de nos données, aussi nous n’aurons recours à ce domaine que de manière très générale. Nous tenterons d’apporter des indices d’une autre nature permettant d’expliquer entre autres pourquoi les locuteurs utilisent les adaptations, et nous nous intéresserons au phénomène d’intercompréhension qui, comme l’indique Trudgill (1986), semble délaissé par les psychologues, sous prétexte qu’étant dans un cas de contact de dialectes, elle est assurée un minimum.
‘This is a factor which has been of little interest to social psychologists but must be of relevance to linguists: the need to be understood. We are concerned here, of course, with interaction between related varieties where mutual intelligibility is not usually a serious or long-term problem. (Trudgill, 1986: 21)’Selon Hamers & Blanc (1983), les locuteurs dialectalement opposés partagent ou non une compétence linguistique commune. Dans le premier cas, nous retenons quatre possibilités pour notre étude :
Dans le second cas, dans lequel les locuteurs ne partagent pas de compétence linguistique commune, nous retenons deux possibilités :
Reprenons ces différentes configurations sous forme de tableau :
Chaque locuteur, en fonction de ses capacités, doit choisir la stratégie qu’il pense pouvoir le mieux maîtriser. Ces choix stratégiques varient selon la situation de communication dans laquelle se trouve le locuteur, mais également selon la réaction de l’interlocuteur face à ce choix, ou encore selon les thèmes abordés, les relations entre les participants, et d’autres facteurs qui fluctuent constamment au fil de l’interaction. Nous verrons que dans notre corpus, tous ces cas de figure sont présents, mais ils se manifestent non pas de manière globale, un cas de figure ne représentant jamais une interaction complète, mais à certains moments-clés de l’interaction, à un niveau micro. Autrement dit, les combinaisons de codes possibles changent au fil d’une même interaction, à cause d’un éventail de facteurs internes et externes.
Une fois que le code adapté à la situation est choisi, le locuteur peut l’employer au travers de diverses stratégies. Hamers & Blanc (1983) en proposent deux sortes : les stratégies de modification et les stratégies d’alternance et de mélange.
Il est important de rappeler que le bilinguisme et le bidialectalisme sont des faits individuels, c’est-à-dire que les locuteurs bilingues ou bidialectaux possèdent deux codes linguistiques (ou plus) à leur actif, mais ils ne relèvent pas forcément d’une communauté bilingue. Ensuite, comme le précise Mackey (1976), le bilinguisme est une structure de comportement mettant en œuvre des pratiques langagières s’influençant les unes les autres et qui ont :
C’est en fonction de ces quatre caractéristiques inhérentes que l’on peut décrire le bilinguisme individuel.
1) Le degré de bilinguisme du locuteur évalue sa compétence à se servir de deux codes qu’il a à sa disposition. Afin d’estimer cette compétence, il est possible de faire passer au locuteur une batterie de tests de compréhension et d’expression à l’oral et/ou à l’écrit pour se rendre compte de l’étendue de son bilinguisme. Un locuteur peut ainsi être un bilingue réceptif uniquement (ou assymétrique), s’il comprend mais ne parle pas la deuxième langue, tandis qu’un autre peut être un bilingue équilibré. La compétence bilingue peut également être différente selon le niveau linguistique dans lequel on se place. Le locuteur peut par exemple avoir un vocabulaire riche dans l’autre langue, mais une mauvaise prononciation, ou une bonne prononciation mais une grammaire erronée. La compétence bilingue peut alors être évaluée à chaque niveau : phonologie, grammaire, vocabulaire, sémantique, stylistique.
Sans avoir la prétention d’évaluer la compétence des locuteurs de notre corpus, nos données permettront néanmoins de montrer une tendance quant aux niveaux linguistiques dans lesquels ils se sentent le plus à l’aise pour faire des tentatives d’adaptation à la variante opposée.
2)Le degré de compétence dépend en partie, comme l’indique Mackey (2000), des fonctions qu’endossent les codes utilisés, c’est-à-dire les usages que le locuteur en fait et les conditions dans lesquelles ils peuvent être employés. Il existe ainsi deux types de fonctions :
Celles-ci sont déterminées par le nombre d’aires de contact que les langues partagent et par les variations possibles de ces aires en durée, fréquence et pression. Les aires de contact incluent tous les moyens par lesquels une langue peut être acquise et utilisée : à la maison, au sein de la communauté, à l’école, dans les médias de masse (radion, télévision, écrits). On a donc un bilinguisme différent selon la durée et la fréquence du contact que le locuteur a avec les différentes aires ainsi que l’influence de celles-ci sur lui. Toutes ces variables peuvent jouer sur la compréhension et l’expression du locuteur bilingue. Plus un locuteur aura été en contact avec une langue longtemps et fréquemment, plus il aura de compétence dans celle-ci.
Le tableau (p.160) montre bien les langues avec lesquelles les différents locuteurs de notre étude sont en contact ainsi que les périodes à partir desquelles ils l’ont été.
Celles-ci sont inhérentes au locuteur et déterminent sa capacité à apprendre une seconde langue. Mackey retient les critères d’âge (bilingue jeune vs adulte), d’aptitude, d’intelligence, de mémoire, de motivation et d’attitude. L’attitude du locuteur (face aux langues et aux personnes qui les parlent) est guidée et influencée par les représentations langagières qu’il a.
3) Alternance entre deux langues
Lorsqu’un locuteur a, en face de lui, un interlocuteur qui ne possède pas le même code de base que lui, il a la possibilité, s’il le souhaite et s’il s’en sent capable, de changer de code, et d’employer par exemple celui qui est maîtrisé par son interlocuteur.
‘The readiness with which a bilingual changes from one language to the other depends on his fluency in each language and on its external and internal functions.[…] Under what conditions does alternation from one language to another take place? The three main factors seem to be topic, person, and tension. (Mackey, 2000: 39)’4) La variabilité des trois caractéristiques précédentes détermine les interférences qu’il peut y avoir entre deux langues, c’est-à-dire l’utilisation de traits qui appartiennent à une langue alors qu’on est en train d’en parler une autre. Le phénomène d’interférence est à distinguer de l’emprunt. Il existe à tous les niveaux linguistiques : interférence sémantique, lexicale, grammaticale ou phonologique par exemple.
« Locuteur OR » et « locuteur OCC » sont des syntagmes que nous avons mis en place pour représenter, à tout moment dans notre travail, de manière rapide et explicite, respectivement un locuteur dont la variante-source est l’arménien oriental et un locuteur dont la variante-source est l’arménien occidental.