5. Les hypothèses
L’analyse que nous allons présenter se situe à trois niveaux complémentaires :
- au niveau microsociétal, c'est-à-dire au niveau de la communauté arménienne de Lyon : l’explication du fonctionnement de la diaspora arménienne installée à Lyon a toute son importance pour éclairer certaines représentations ou certains préjugés que peuvent avoir les locuteurs et qui, dans certains cas, dictent leurs attitudes ;
- au niveau interpersonnel, c'est-à-dire au niveau de l’interaction : nous observons les rapports qu’entretiennent les protagonistes arméniens entre eux, ils peuvent en partie expliquer leurs comportements langagiers (adaptation convergente ou non) ;
- au niveau individuel : nous nous intéressons également à chaque locuteur et aux compétences qu’il possède en tant que monodialectal ou bidialectal, aussi bien en compréhension qu’en production orales.
Nous nous inspirons d’une série d’hypothèses interdisciplinaires proposées par Hamers et Blanc (1983) qui exposent les règles de comportements langagiers en situation de contact de langues, en mettant en lien les trois niveaux présentés.
-
Hypothèse 1 (niveau sociétal) : la communauté arménienne de Lyon comprend des locuteurs d’arménien oriental et des locuteurs d’arménien occidental. Le code de la sous‑communauté linguistique dominante aura tendance à « s’imposer proportionnellement à la supériorité relative » (1983 : 286) de cette sous-communauté. Autrement dit, du fait de l’histoire de la diaspora arménienne et ses différentes vagues de migration, les Arméniens parlant la variante occidentale sont plus nombreux et sont implantés depuis plus longtemps que ceux maîtrisant la variante orientale. Au niveau macrologique, on s’attendrait alors à ce que les locuteurs d’arménien oriental fassent plus d’efforts pour parler l’arménien occidental plutôt que l’inverse, même si ces efforts ne consistent pas en une adaptation totale mais partielle, comme c’est le cas avec le recours au mélange de codes ou à l’alternance codique.
-
Hypothèse 2 (niveau interpersonnel) : s’il existe des relations hiérarchiques entre les locuteurs, il est à supposer que le code du locuteur hiérarchiquement supérieur s’imposera dans l’interaction avec un interlocuteur de rang inférieur.
-
Hypothèse 3 (niveau interpersonnel et sociétal) : même si les locuteurs n’entretiennent pas de relations hiérarchiques particulières, selon les représentations langagières qu’ils ont, certains vont tenter de se rapprocher d’un idéal langagier qui ne correspond pas, selon eux, à leur dialecte de base.
-
Hypothèse 4 (niveau interpersonnel et individuel) : plus les situations de contact de dialectes seront fréquentes, plus un locuteur pourra enrichir ses connaissances de la variante opposée.
-
Hypothèse 5 (niveau individuel) : le degré de compétence langagière dans la variante adaptée dépendra du niveau de compétence que le locuteur possède dans sa propre variante. Il s’agit là de l’hypothèse de l’interdépendance linguistique
123
: plus un locuteur maîtrise sa variante maternelle, plus il sera à même d’acquérir des compétences dans la variante voisine. Autrement dit, plus un locuteur sera un bon monodialectal, plus il sera capable de devenir un bon bidialectal.
Suivant cette dernière hypothèse, nous pourrions tracer un continuum allant de l’unique utilisation de la langue-source par un locuteur jusqu’à l’unique utilisation de la langue-cible de son interlocuteur, en passant par des étapes intermédiaires qui seraient fonction de ses compétences langagières.
Les caractéristiques de la langue utilisée par un locuteur donné (A) (dans un même tour de parole ou d’un tour de parole à un autre) pourraient apparaître dans différentes configurations possibles empruntées notamment à Hamers & Blanc (1983) et que nous proposons de reprendre sous forme de schéma :
Loc A : LA
124
Loc A : LA aménagée, simplifiée, accessible à Loc B
Loc A : LB minimale : quelques mots, quelques expressions (style haché, télégraphique)
-
Code-mixing
à dominante langue-source
Loc A : / LA /( LALB)/ LA /( LALB)/ LA /...
-
Code-mixing
à dominante langue-cible
Loc A : / LB /( LBLA)/ LB /( LBLA)/ LB /...
Loc A : / LA /LB/ LA /LB/ LA /...
Loc A : LB
Nous tenterons de relever les configurations qui s’actualisent dans nos données. Quant aux hypothèses portant sur les systèmes linguistiques, c’est-à-dire les éléments qui peuvent être adaptés d’une variante à l’autre, rappelons que nous les avons exposées dans le cadre descriptif précédent (cf. Chapitre 2). Dans notre analyse, nous essayerons de combiner les deux séries d’hypothèses mises en places au niveau linguistique et au niveau sociolinguistique et d’observer les phénomènes qui apparaissent dans le corpus.
Notes
123.
Voir à ce propos Cummins (1979).
124.
LA : langue A, c'est-à-dire la langue-source du locuteur A et LB : langue B, c'est-à-dire la langue-cible du locuteur A.