2.3. Les adaptations morphosyntaxiques et sémantico-lexicales

2.3.1. Analyse globale

Le schéma ci-après montre le pourcentage de termes sur lesquels les adaptations peuvent effectivement porter par rapport à la totalité des éléments d’un corpus, duquel nous avons bien entendu retiré les éléments en français. Ainsi, sur les 1269 unités, la nouvelle base, uniquement arménienne, est constituée comme nous l’avons dit de 1078 unités. Dans le graphique, nous avons regroupé les différences ou similitudes morphosyntaxiques et lexicales, qui sont classées par degré de distance, mais au sein de cette répartition, nous avons tenu à faire la distinction entre les items prononcés de façon identique et ceux prononcés de façon différente. Ceci nous a, entre autres, permis de savoir le nombre d’items qui étaient identiques en tous points aux deux variantes.

Nous voyons ici que 77% des formes arméniennes sont identiques (différences de prononciation mises à part) en oriental et en occidental. Excepté les adaptations phonétiques qui vont porter sur la totalité des unités qui peuvent varier, les adaptations lexicales et morpho-syntaxiques ne vont pouvoir se produire que sur un quart des formes environ. Parmi ces 23% de formes adaptables, nous avons distingué les formes marquées des degrés de distance 2, 3 et 4, que nous avons regroupées et qualifiées de « degré intermédiaire » et les formes marquées du degré de distance 3 (/3) ou 5 (/5), c’est-à-dire le degré le plus fort appelé « degré maximal ».

Nous constatons d’emblée une donnée extrêmement intéressante montrant que parmi les formes adaptables, le degré intermédiaire est faiblement représenté (4%), alors que le degré maximal est le plus largement représenté (19%). Ce qui veut dire que parmi les formes qui peuvent porter à adaptation, les formes les plus abondantes sont les formes les plus différentes des systèmes oriental et occidental. Reste à savoir d’une part lesquelles sont effectivement adaptées par les locuteurs, c’est-à-dire à quel degré de distance appartiennent toutes les formes adaptées, et d’autre part, si les adaptations effectuées sont réussies ou non (selon les règles du système-cible).

Avant d’entrer dans le détail, le graphique suivant permet d’observer les formes qui sont effectivement adaptées dans le corpus par rapport à la totalité des formes potentiellement adaptables porteuses des degrés 2 à 5 confondus, c’est-à-dire sur les 23% des formes concernées dans la totalité du corpus.

Nous nous rendons compte que les locuteurs ne tentent de s’adapter lexicalement et morpho-syntaxiquement que pour 1/3 des formes adaptables environ (81 formes sur 246 possibles). Ce chiffre doit être d’emblée précisé parce que la part des formes adaptables appartenant au degré de distance 3 (/3) ou 5 (/5) est beaucoup plus importante que celle appartenant aux degrés intermédiaires. En effet, sur les 246 formes adaptables (sur les 1078 formes arméniennes du corpus), 81% font partie du degré maximal (c’est-à-dire étiquetées 3/3 ou 5/5 dans le tableau d’analyse) et 19% font partie des degrés intermédiaires.

Il y a peu d’adaptations tentées dans les degrés intermédiaires : 9 seulement, que nous pourrons étudier en détail lors de l’analyse par locuteurs, mais nous pouvons d’ores et déjà avancer qu’une des raisons pouvant en partie expliquer ce phénomène est le faible taux de représentation de ces catégories intermédiaires dans l’interaction.

Le chiffre, en revanche, le plus intéressant est probablement celui portant sur le degré de distance le plus fort (3/3 ou 5/5). Une de nos hypothèses de départ, après avoir confronté les deux systèmes grammaticaux arméniens, était que plus la différence entre les deux variantes était forte, plus l’adaptation semblait difficile à produire et donc moins celle-ci était probable. Or, les données montrent exactement l’inverse : d’une part, les adaptations de degrés intermédiaires, c’est-à-dire de degrés où les deux systèmes sont plus ou moins semblables, sont rares, d’autre part, la plupart des tentatives d’adaptation se produisent lorsque les deux systèmes sont les plus divergents. Il faut encore s’assurer que les tentatives d’adaptation sont réussies, c’est-à-dire que ce sont des formes réellement attestées dans la variante-cible, mais ces premiers chiffres ont déjà le mérite de contrarier une hypothèse de base importante.

Sur les 64 adaptations au niveau morphologique (qu’elles soient simplement morphologiques ou combinées à une autre strate linguistique), 9 ne sont pas réussies, comme nous l’avons déjà expliqué, 9 sont incomplètes, c'est-à-dire qu’elles sont partiellement réussies (c’est ce qui se passe notamment dans le cas des morphèmes discontinus dont un des deux éléments seulement est bien adapté) et 46 sont complètement réussies.

Ce qui est extrêmement intéressant dans ces résultats, c’est que dans les 72% d’adaptations morphologiques réussies (tout comme les adaptations partiellement réussies), toutes font partie du degré de distance maximal (5/5), c'est-à-dire le degré de différence le plus élevé entre les deux variantes. Notre hypothèse de départ (cf. Chapitre 2, p.57 et 98) se trouve bien infirmée par de tels résultats, complètement inattendus. Il se passe exactement la même chose avec les adaptations au niveau lexico-sémantique qui, rappelons-le, sont toutes réussies, et appartiennent toutes au degré de distance le plus élevé.