2.4.2. L’alternance codique

Il nous reste à voir les 29% de formes adaptées mixtes restantes, qui sont des exemples de code‑switching et plus particulièrement, dans notre cas, des exemples d’alternance glossique. Dans les cas relevés ici, l’adaptation est réussie simultanément sur plusieurs strates linguistiques. L’item adapté par le locuteur appartient donc bien à la variante opposée, aussi bien d’un point de vue phonétique par exemple, que d’un point de vue morphologique et/ou lexical. Les exemples relevés ci-dessous, essentiellement produits par Cathy, Martin (locuteurs d’arménien oriental), mais aussi par NZ montrent bien le passage du code-mixing au code-switching :

Dans ces formes, les locuteurs n’utilisent plus d’éléments appartenant à leur variante d’origine. Ils ont adopté tous les composants faisant partie de la variante-cible. On ne perçoit ainsi plus dans les items qu’ils emploient des traces de leur dialecte-source (si ce n’est la partie qui reste commune aux deux variantes). Ils ont basculé dans l’emploi total et non plus partiel de formes qu’ils maîtrisent manifestement à plusieurs niveaux de la variante opposée.

Dans notre tableau, parmi les trois colonnes sur lesquelles porte notre travail de comparaison, pour les cas de code-mixing, la première colonne se situait quelque part entre la deuxième et la troisième, c'est-à-dire qu’elle reprenait les caractéristiques des deux colonnes, donc des deux variantes à la fois. Pour les cas de code-switching en revanche, la première colonne est bien différente de la deuxième mais complètement identique à la troisième. Autrement dit, le locuteur qui utilise de telles formes n’emploie plus des formes hybrides, c'est-à-dire des formes possédant simultanément des caractéristiques des deux variantes, mais des formes simples faisant partie intégrante de la variante opposée. Dans tous les items présentés dans le tableau précédent, le locuteur, désireux de s’adapter, a systématiquement procédé au choix attesté dans l’autre variante, aussi bien dans le choix de la prononciation, que dans le choix du morphème ou dans celui du lexique, tous spécifiques de cette variante-cible. Certaines de ces formes constituent en quelque sorte des syntagmes plutôt figés :

Pour ces exemples, le locuteur a certainement avant tout procédé au(x) choix lexical (et parfois morphologique) adéquat(s), correspondant à la reproduction à l’identique (si possible) de ce qu’il a entendu dans la variante opposée.

Amorce d’interprétation : cette étape du code-switching est en quelque sorte la dernière avant d’accéder complètement à la variante-cible. Plus le locuteur adaptant produira des formes entièrement spécifiques à la variante de l’autre, plus son souhait de montrer ses connaissances et sa maîtrise de cette variante et donc ses capacités à être un locuteur bidialectal sera mis en valeur, tout comme sa volonté de montrer du respect et/ou de l’empathie.

Les formes faisant partie du mélange de glosses montrent peut-être un degré de connaissances de la langue voisine plus élevé que les formes caractéristiques de l’alternance glossique. Les premières montrent la capacité créative des locuteurs, alors que les secondes peuvent être considérées comme des sortes de formes figées et représentatives de l’autre variante, des syntagmes que le locuteur, à force d’entendre, aurait repéré, identifié et acquis de manière globale et réutiliserait dans les contextes qui s’y prêtent. Parmi les exemples relevés, nous remarquons d’ailleurs que certaines formes avec le même sémantisme ont été repérées dans chacune des variantes. Les locuteurs ont ainsi bien identifié les différentes attestations du verbe « dire » (gəsɛm (OCC) « je dis », əsɑdz ɛm (OCC) « j’ai dit », produits par Cathy ; gəsɛn (OCC) « ils disent », produit par Martin ; ɑsum ɛm (OR) « je dis », produit par NZ), mais également du syntagme article défini + adverbe « peu » (kitʃmə produit par Cathy et Martin et mi kitʃ produit par NZ). Sur les 17 formes faisant partie de l’alternance glossique, il est à noter que 5 sont identiques et utilisées de part et d’autre par les locuteurs adaptants.