3.2.1.3. La paire demande/réponse

Il nous reste à étudier au niveau relationnel une paire d’actes de langage particulière : la paire demande 178 /réponse. Ce qui nous importe ici n’est pas la forme que prend cette paire ; nous ne cherchons pas non plus particulièrement à distinguer la question de la reqûete, nous cherchons plutôt à voir quelle langue est utilisée dans les deux actes de langage qui composent cette paire. Dans le corpus Pâques que nous avons étudié en détail, nous dégageons deux tendances dominantes dans toutes les paires demandes/réponses étudiées :

- La première consiste à produire une demande sans adaptation, c'est-à-dire dans la variante-source de l’émetteur, et à obtenir une réponse avec adaptation de la part du récepteur (émise donc dans sa variante-cible qui correspond à la variante-source de l’émetteur). Cette tendance est de loin la plus fréquente et se produit dans un sens particulier. En effet, la plupart des demandes sont amenées par NZ, locuteur d’arménien occidental. Ceci montre bien qu’il mène la danse thématique puisque chaque nouvelle interrogation débouche presque toujours sur un nouveau thème qui, règles de politesse obligent, a toutes les chances d’être ratifié par les hôtes. NZ produit ainsi presque la totalité de ses demandes sans adaptation (il apporte déjà de nouveaux thèmes, il ne va pas en plus s’adapter !) et la plupart des réponses qui lui sont apportées par Cathy et Martin sont adaptées dans sa variante. Dans les cas de demandes/réponses lancées par NZ, les adaptations se font donc à sens unique au profit de la variante occidentale. Il y a alors un ralliement dialectal direct, sans négociation nécessaire, puisqu’il ne semble pas y avoir un quelconque désaccord entre les participants : face à une demande en occidental (qui plus est formulée par NZ), la plupart des réponses des locuteurs OR sont produites en occidental. Ce ralliement direct place par la même occasion l’émetteur en position haute, puisque sa variante est conservée et ratifiée, et son interlocuteur en position basse, puisqu’il abandonne sa variante. Dans cette paire d’actes de langage, c’est donc le deuxième élément (la réponse) qui est adapté.

Corpus Pâques, l.87-96 : la question est posée par NZ sans adaptation et la réponse est co‑construite par Cathy et Martin avec des adaptations chez les deux.

Corpus Prêtre, l.252-262 : la question est posée par le prêtre sans adaptation et la réponse est donnée par Cathy avec des adaptations à la variante occidentale.

- La deuxième tendance est exactement l’inverse de la première. En effet, le corpus Pâques atteste également des cas où la demande est produite avec des adaptations. C’est donc cette fois-ci le premier élément de la paire qui est adapté. C’est ce qui se passe le plus souvent dans les cas où Cathy et Martin sont les initiateurs de l’échange face à NZ. La question ou la requête est formulée à destination de NZ directement en arménien occidental qui est leur variante-cible. Quant à la réponse de NZ, lorsqu’elle est développée (et non pas seulement constituée d’un unique morphème), elle est produite sans adaptation, donc dans sa variante d’origine, en arménien occidental. Le ralliement dialectal, toujours mené par les locuteurs OR, est dans ce cas-là complètement anticipé, c'est-à-dire que s’adressant à NZ, ils produisent directement leurs demandes en arménien occidental et économisent ainsi les efforts potentiels qu’aurait pu fournir NZ (s’il avait dû leur répondre dans leur variante-source). En effectuant ce choix de code, comme dans le cas précédent, ils placent eux-mêmes leur interlocuteur en position haute et s’auto-placent en position basse. Les adaptations sont là encore unilatérales.

l.350-369 : Martin pose deux questions (sur la santé) à NZ, en s’adaptant à sa variante, et celui-ci se lance alors dans un micro-récit (sans aucune adaptation).

Enfin, nous relevons également quelques cas pour lesquels il n’y a adaptation ni d’un côté ni de l’autre ou encore quelques rares cas de crossing. Autrement dit, dans la première configuration, la demande et la réponse sont toutes deux formulées dans la variante d’origine (différente) des locuteurs. Chacun maintient donc son propre dialecte.

l.233-237 : durant tout l’échange entre NZ et Julie, chacun des deux locuteurs reste dans son propre dialecte.

Et dans la deuxième configuration, chacun des éléments de la paire est produit par les locuteurs dans la variante-cible de l’autre. Les deux participants s’adaptent l’un à l’autre et ainsi les variantes se croisent : chacun fait un pas en direction de l’autre.

l. 119-125 : NZ pose une question (plaisanterie) à la cantonade et Martin y répond par une autre question. Tous les deux s’adaptent.

Il faut enfin mentionner une ultime possibilité trouvée de façon sporadique dans le corpus et que nous avons déjà mentionnée par ailleurs : les adaptations dans une paire demande/question entre locuteurs partageant la même variante d’origine et n’ayant a priori aucune raison de recourir aux adaptations. Rappelons qu’il s’agit ici d’un cas d’offre, de proposition de ratification, comme récepteur, d’un interlocuteur dialectalement opposé. En voici un exemple (l.81-84) :

L’analyse particulière de cette paire d’actes de langage nous a permis de rendre compte d’un comportement relationnel intéressant, et assez systématique, consistant en des adaptations majoritairement unilatérales. Ce comportement a largement pu être expliqué et justifié par l’organisation séquentielle d’une telle paire et par ses spécificités de fonctionnement.

Cette présentation des actes de langage était loin d’être exhaustive, notre volonté n’étant pas de faire leur inventaire en détail mais de nous en servir en tant que support afin d’illustrer du mieux possible les différentes fonctions que pouvaient endosser les adaptations. Il s’avère donc, après analyse du corpus, que les adaptations peuvent venir enrichir, au niveau des actes de langage, la famille des procédés adoucisseurs et renforçateurs de FTAs ou de FFAs.

Notes
178.

Sous la catégorie des demandes, nous regroupons les actes question et requête.