3.2.2.5. La co-construction

Enfin, un cinquième phénomène propre à l’oral peut faire apparaître des adaptations, il s’agit du phénomène de la co-construction, c'est-à-dire par exemple lorsque deux locuteurs élaborent ensemble une séquence particulière au cours de l’interaction. Jeanneret (1995 : 384) définit la co‑énonciation, en s’intéressant aux conversations pluri-locuteurs, comme suit :

‘Cette notion rend compte de l’ensemble des procédés de reformulation et de complétion d’une intervention d’un locuteur par celle d’un second locuteur.’

Il convient alors de distinguer dans une situation de co-énonciation, un co-énonciataire qui se trouve être celui qui subit la co-énonciation, et un co-énonciateur qui est celui qui prend l’initiative de la collaboration. Le co-énonciataire peut ou non accepter la participation d’un des interlocuteurs. S’il considère les interventions participatives du co-énonciateur comme une marque de soutien, alors il accepte le « contrat de co-narration » (Jeanneret, 1995 : 384). En revanche, s’il ressent les interventions de l’interlocuteur comme une intrusion, une violation de territoire, il aura tendance à rejeter ce contrat.

Une fois de plus, ce qui nous intéresse dans ce genre de construction, c’est l’utilisation qui est faite par les uns ou les autres des adaptations. Cette collaboration peut alors, au niveau du choix de codes, se manifester de deux manières :

Dans ces deux types de configurations, les exemples que nous relevons montrent une tendance intéressante : le co-énonciateur est celui qui s’adapte, soit au co-énonciataire, soit au tiers. Et ces adaptations peuvent aider le co-énonciateur à faire accepter de manière adoucie ce qui pourrait être perçu comme des intrusions par le co-énonciataire.

Prenons un exemple pour illustrer la première configuration.

Corpus Pâques (l.239-267) : il s’agit au départ d’un dilogue entre NZ et Julie (locutrice orientale). Suite à une question de NZ, Martin se fait le co-énonciateur de Julie pour lui venir en aide, celle-ci étant face à un locuteur dialectalement différent. Il produit alors ses interventions participatives, pour finalement améliorer l’intercompréhension entre les deux locuteurs initiaux, en s’adaptant à la variante de NZ.

Un peu plus loin dans l’interaction, nous observons un exemple du même type. Le dilogue se poursuit entre NZ et Julie, et cette fois-ci, c’est Cathy qui intervient (secondée par Martin) pour soutenir et compléter le discours de Julie, manifestement peu à l’aise face à NZ, qui l’impressionne de par son statut et dont elle ne maîtrise pas le dialecte. Cathy lui vient donc en aide d’une part en donnant plus d’informations à NZ et, d’autre part, en produisant des adaptations que Julie ne serait pas en mesure de produire. A partir du moment où Cathy a pris le relais, Julie ne participe plus que minimalement.

Quant à la deuxième configuration, nous pouvons l’illustrer par un exemple tiré du corpus Prêtre.

Corpus Prêtre (l.95-109) : le prêtre (locuteur occidental) et Martin parlent des travaux faits chez les H, et le prêtre constate le fait qu’il reste une odeur de peinture ou de vernis. Ils élaborent ensemble différentes hypothèses. Le prêtre accepte les interventions de Martin et celui-ci, en contrepartie (pour se faire accepter) se rallie dialectalement à lui.