4. Quelques mots du français…

Précédemment, nous avons évoqué les conditions historiques qui ont provoqué le partage en deux standards littéraires modernes de l’arménien. Nous avons également parlé du phénomène important de diaspora ainsi que des statuts actuels des différentes variantes étudiées. L’originalité de ce travail se situe justement dans le fait que le contact des langues est analysé dans une situation de diaspora, c’est-à-dire que les différentes communautés linguistiques qui emploient l’arménien et ses variantes, en tant que langue maternelle 180 , résident toutes deux dans un pays d’accueil qui n’est pas leur pays d’origine, et ce, pour des raisons variées. Il est évidemment attendu que la langue du pays d’accueil, en l’occurrence le français, joue également un rôle important sur l’usage langagier qui va être fait de l’arménien 181 .

Selon les locuteurs, nous observons des profils complètement différents :

Nous avons ici trois degrés de contact avec le français : du profil le plus exposé et le plus influencé au profil le plus épargné. Les mêmes phénomènes d’alternance codique ou d’interférence, décrits précédemment, se produisent entre le français et l’arménien. La grande différence est que cette fois-ci nous n’observons pas d’adaptations volontaires de la part des locuteurs. Ainsi, la situation de contact entre le français et l’arménien rejoint les situations de contact étudiées traditionnellement, avec une variété largement dominante (le français) puisqu’il s’agit de la langue du pays d’accueil et une variété dominée (l’arménien et ses variantes) qui est la langue d’une communauté minoritaire (bidialectale) vivant en France. La cohabitation entre les deux langues au sein d’une même famille ou d’un même locuteur est constante, et tous les locuteurs que nous avons enregistrés possèdent, à des degrés certes différents, de bonnes connaissances dans les deux langues, contrairement à ce qui se passe avec les deux variantes d’arménien. Tous nos locuteurs sont donc bilingues, mais aucun n’est bidialectal. Comme nous l’avons déjà expliqué, les enjeux dans l’économie des choix de codes ne sont pas du tout les mêmes entre les deux variantes d’arménien d’une part, et le français et l’arménien d’autre part. Il serait extrêmement intéressant d’étudier la répartition des codes français/arménien, mais le but de notre travail étant tout autre, nous ne l’aborderons pas ici. En revanche, nous nous proposons de donner quelques pistes de réflexions possibles fondées sur des exemples tirés des différents sous‑corpus transcrits, afin d’illustrer une telle situation de contact 182 . Les exemples sont répartis dans des catégories qui ont largement été étudiées dans les travaux portant sur le code-switching (CS). La première d’entre elles se situe au niveau organisationnel, et plus précisément au niveau du cadre participatif (âge des locuteurs), la deuxième catégorie se situe au niveau relationnel et la troisième, au niveau plus précis des contenus (thèmes abordés dans l’interaction). Dans un second temps, nous verrons quelques fonctions qu’endosse le français dans de telles interactions.

Notes
180.

Nous entendons par là la langue qui a été apprise en premier.

181.

A propos du « parler multilingue » utilisé par des locuteurs arméniens issus de la diaspora française, combinant le français, l’arménien et d’autres langues, voir les travaux de Kasparian (1992 et 2001).

182.

Voir à ce propos Vosghanian (2004).