4. Mécanismes conversationnels : de l’adaptation à la négociation ?

La mise en contact des pratiques langagières des locuteurs au sein d’une conversation est apparue comme le meilleur moyen pour rendre compte des interactions qui se manifestaient entre les différents types de contraintes. C’est de cette manière que nous avons pu observer dans quelles conditions les locuteurs avaient recours aux adaptations, quels étaient les facteurs propres à la situation de communication qui pouvaient expliquer l’utilisation de tels phénomènes et quels étaient les éléments linguistiques qui se prêtaient à adaptation.

A partir de là, il nous a alors paru important d’exploiter jusqu’au niveau le plus fin ce qu’offrait, en tant que ressource, le discours-en-interaction. C’est par ce biais-là que nous avons pu comprendre à un niveau plus micrologique ce qui pouvait expliquer le recours aux adaptations. En effectuant une analyse linéaire d’un sous-corpus riche en adaptations, nous sommes parvenue à dégager plusieurs catégories de phénomènes. La littérature portant sur l’étude des phénomènes de changements de codes tels que le code-switching, le code-mixing, l’emprunt et bien d’autres encore est extrêmement riche, et nous avons tenté d’en présenter les courants les plus importants. Parmi eux, les tentatives de recensement et de classifications des phénomènes attestés dans les situations de plurilinguisme en général ou de contacts de langues en particulier ont été multiples et dans la mesure du possible, nous en avons repris certaines à notre actif, tout en faisant le choix de nous appuyer sur les spécificités de notre objet de recherche. Nous nous sommes donc volontairement détachée d’une typologie pré-construite pour aller recueillir en contexte les fonctions conversationnelles possibles des adaptations particulières à la situation de contact étudiée. En analysant en détail le sous-corpus, aussi bien au niveau des actes de langage que de la combinaison de ceux-ci dans des unités de rang supérieur tels que les échanges ou les séquences, nous avons réussi à mettre en avant certains rôles que pouvaient endosser les adaptations. Celles-ci sont apparues comme de véritables ressources mobilisées par les différents participants dans le déroulement de l’interaction et leur utilisation est significative à deux niveaux principalement :

Cette étude longitudinale n’aurait pu être complète sans l’analyse des non-adaptations. Les fonctions qu’elles prennent apparaissent là encore dans les deux niveaux sur lesquels nous nous sommes focalisée :

Les adaptations et les non-adaptations, telles que nous les avons envisagées, viennent donc particulièrement enrichir les travaux portant sur les stratégies de politesse. Enfin, il pourrait être intéressant de décrire, lors de nouvelles analyses, si les adaptations peuvent incarner un type de mécanismes négociatifs qui apparaîtrait quand un différend se présenterait entre les interlocuteurs :

‘[…] on appellera « négociation conversationnelle » tout processus interactionnel susceptible d’apparaître dès lors qu’un différend surgit entre les interactants concernant tel ou tel aspect du fonctionnement de l’interaction, et ayant pour finalité de résorber ce différend afin de permettre la poursuite de l’échange. (Kerbrat-Orecchioni, 2005 : 103)’

Comme l’indique et le développe Kerbrat-Orecchioni (2005), les négociations peuvent ainsi porter sur les aspects organisationnels de l’interaction (tours de parole, ouverture et clôture de l’interaction, structuration des échanges), sur le contenu même de l’interaction (thèmes abordés, opinions…) ou encore sur la relation interpersonnelle. Quand bien même l’analyste parvient à dissocier le fonctionnement des négociations dans ces différents niveaux, les corpus les rendent généralement inséparables, et nous nous trouvons confrontée à ce que Kerbrat-Orecchioni (2005) appelle un « écheveau de négociations entremêlées ». Parmi celles-ci, nous nous sommes uniquement focalisée sur les adaptations qui sont un mode de négociations conversationnelles reflétant un des aspects organisationnels de l’interaction, puisqu’il s’agit pour les locuteurs de choisir le ou les codes de l’interaction. Dans les situations de contact couramment étudiées, selon que les participants en présence partagent ou non la même langue maternelle, différents choix de codes sont attestés partant de la conservation du code d’origine par chacun des locuteurs jusqu’à l’utilisation du code de l’autre, en passant par des stades intermédiaires de mélange des deux codes (créé ou attesté) à l’utilisation d’un troisième code (langue de compromis). Nos données et l’analyse que nous en avons faite se sont proposé d’illustrer chacune de ces configurations (même si, dans notre étude, une trop faible place a été accordée au français). En partant d’une situation de contact bien particulière, nous avons donc essayé de savoir quels étaient les codes utilisés par les locuteurs, quels éléments de ces codes étaient sujets à adaptation et enfin, comment et pourquoi les locuteurs les adaptaient. Les exemples étudiés ici ne contenaient pas vraiment de négociations portant sur la glosse choisie ou sur les adaptations. Ces choix étaient acceptés de part et d’autre par les locuteurs. Nous avons même remarqué qu’en cas d’adaptation ratée, le récepteur ne reprenait pas son locuteur pour lui proposer l’item réellement attesté dans sa variante. Les choix de code inaboutis ne sont pas relevés, et encore moins stigmatisés et négociés.