1. Introduction

1.1. Problématique

Au XVème siècle avec l’invention de l’imprimerie, la diffusion du savoir s’est faite à grande échelle, la communication par signes et symboles s’est universalisée, les connaissances accumulées des hommes et leurs pensées ont été accessibles.

Aujourd’hui, « Les spécialistes nous disent que nous vivons à l’heure actuelle une révolution technologique et informatique qui changera à jamais les façons traditionnelles dont nous communiquons et nous nous conduisons. » (Dérône, 1999). En effet, avec l’entrée dans la vie quotidienne des nouvelles technologies, appelées les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC), « La manière de nous informer et de communiquer n’est plus la même qu’il y a, simplement une décennie. » (Rodriguez, 2000).

Le fonctionnement des sociétés repose de plus en plus sur le potentiel communicatif et informatif des NTIC : celles-ci font désormais partie de notre environnement, de nos modes de vie, de notre quotidien et s’imposent partout. Partout car « les NTIC n’épargnent aucun secteur d’activité humaine et s’imposent en ce début de millénaire comme un outil incontournable de développement. » (Serime Akpa, 2002) et se présentent « dans toutes les sphères de la production et des services… » (Inforoute FTP, 2001).

Aussi, de l’introduction croissante des nouvelles technologies de l’information et de la communication, il en est émané la question centrale de leur utilisation dans le monde éducatif. Mais, comme « L’histoire de l’éducation a toujours été très étroitement associée à la révolution technologique. » (Lusalusa, 1999), comme « Chaque époque a toujours acquis ses propres institutions éducatives en adoptant les processus éducatifs aux circonstances. » (Rodriguez, 2000) et comme « L’école ne peut rester en dehors des changements qui surgissent. » (ibid.), le monde de l’éducation n’a pas non plus échappé à cette explosion de la technologie et de nombreuses recherches ont démontré les avantages des NTIC pour l’enseignement / apprentissage.

En somme, les NTIC se sont répandus dans le monde éducatif, l’ont influencé de manière fructueuse et ont pris pour nom TICE : Technologie de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement.

Mais, il existe un domaine éducatif où les TICE se sont particulièrement intégrées et avec lequel elles sont « en train de devenir un maillon dans la chaîne de communication orale ou écrite… » (Féral & Maurelet, 2001, p.14) car ce domaine a toujours été le principale utilisateur des technologies depuis 40 ans : Il s’agit de la didactique des langues.

En effet, comme faciliter l’apprentissage des langues étrangères a toujours été son objectif principal, tout en faisant succéder avec 10 à 15 ans d’intervalles de nouvelles méthodologies (audio-orale, 1940 ; audio-visuelle, 1950), la didactique des langues a soit intégré ses méthodologies aux technologies existantes (comme par exemple la télévision pour la méthodologie audio-visuelle), soit intégré les technologies nouvelles aux méthodologies existantes comme il en a été pour l’approche communicative. De par ce fait, en fonction des évolutions et des inventions, chaque méthodologie s’est principalement appropriée un outil technologique tout en faisant usage des autres outils technologiques ou non : ainsi, alors que la méthodologie audio-orale a privilégié le magnétophone, l’approche communicative a privilégié l’ordinateur et mieux encore, à partir de 95, Internet.

Cependant, bien que le but commun de toute méthodologie était l’acquisition chez les apprenants des quatre compétences langagières (compréhension orale et écrite ; production orale et écrite), il est vrai que la production écrite n’a pas toujours bénéficié des progrès méthodologiques et technologiques du fait que l’oral a longtemps été une priorité et que par conséquent les nouveaux outils étaient majoritairement orientés vers une compétence de production et compréhension orales.

En fait, c’est avec l’avènement de l’approche communicative dans les années 70 et l’entrée de l’ordinateur dans les classes de langue dans les années 80 que la production écrite a vécu un renouveau et a été avec l’Enseignement Assisté par Ordinateur (EAO) l’un des apprentissages privilégiés, notamment grâce au traitement de texte (Duquette & Laurier, 2000, p.161). Cependant, malgré ce privilège l’ordinateur n’a pas eu un si grand impact sur la production écrite, n’a pas procuré l’efficacité souhaitée. En effet,

  • la production écrite étant une activité complexe qui fait appel à un processus d’écriture - planification, mise en texte, révision - (Hayes et Flower, 1980 ; Whalen, 1994), l’ordinateur ne peut assurer à lui seul son enseignement/apprentissage. Il s’agit surtout de combiner les vertus de cet outil et les habiletés de l’enseignant en assignant à ce dernier un rôle nouveau : Il devient non plus un transmetteur de connaissances mais un facilitateur d’apprentissage ;
  • la production écrite est aussi une activité qui fait appel à des domaines de connaissances socio-culturelles et référentielles (Albert, 1998, p.60-61) dont l’ordinateur ne peut évaluer la validité, conclure de la conformité à travers les textes produits par les apprenants. Ainsi, ici encore l’intervention de l’enseignant reste primordiale.  
  • le traitement de texte, qui promettait une meilleure gestion des idées, une meilleure révision, une meilleure présentation des textes produits…, a beaucoup déçu ses adeptes. Effectivement, « la croyance dans les effets du traitement de texte sur l’écriture des élèves est en partie démentie par les recherches empiriques sur le sujet. » (Crinon, 2000, p.47) et dans l’ensemble, ces recherches ne signalent des améliorations significatives dans l’écriture des textes (Cf. les recherches citées par Crinon, 2000). Ceci peut peut-être s’expliquer, par exemple pour ce qui est de la révision, par le fait que l’ordinateur n’explique pas les erreurs mais les désigne et propose même une correction.
  • L’ordinateur étant dans l’incapacité « à analyser une production dépassant quelques mots. » (Mangenot, 1996, p.55) ainsi qu’à l’évaluer, les activités conçues dans le cadre des logiciels d’écriture sont fermées, se limitent à des exercices de vocabulaire, de syntaxe, d’orthographe et de grammaire, se limitent à des exercices à trous ou à des questions à choix multiples qui sont des exercices basés sur le structuralisme et le béhaviorisme. Face à ces activités répétitives et structurées, empêchant la flexibilité d’exploration et la créativité, l’attitude positive et la motivation, facteur important de l’apprentissage, tendent à s’estomper (Duquette & Laurier, 2000, p.227).

Ainsi, à partir de ces quatre points, nous voyons que l’ordinateur ne peut à lui seul répondre aux exigences de la production écrite que nous détaillerons dans la seconde partie de notre recherche. Certes, cet outil peut apporter de nombreux avantages et constituer une aide précieuse pour les apprentis-scripteurs, cependant il n’est qu’un instrument de travail complémentaire au travail de l’enseignant du moins jusqu'à ce que ces scripteurs atteignent un niveau convenable en cette discipline leur permettant une autonomie et un travail individuel sur différents logiciels d’expression écrite. Effectivement, afin de pouvoir utiliser par exemple un traitement de texte pour la planification ou la révision, il faut déjà qu’ils sachent ce qu’est le processus d’écriture. Par conséquent, la présence de l’enseignant reste fondamentale car il peut, lui, au contraire de l’ordinateur, enseigner ce processus et vérifier les acquis ; assurer l’exactitude des connaissances socio-culturelles et référentielles ; détecter les apprenants en difficultés et leur montrer chemin ; détecter dans les textes produits les erreurs en surface (grammaire, orthographe…) comme l’ordinateur mais aussi les erreurs en profondeur (cohérence, liens entre les idées…) ; juger de la variété du lexique utilisé et bien sûr proposer aussi bien des activités de production de phrases que de production de textes, les contrôler, les évaluer quelque soit leur longueur.

En fin de compte, en production écrite le facteur humain demeure une primauté. Toutefois, il ne faut pas non plus mettre à l’écart les effets facilitateurs et motivants de l’ordinateur surtout depuis Internet qui permet d’accéder à des textes modèles, à des savoirs linguistiques, à des savoirs dans la visée de la production écrite, de réaliser des activités d’écriture collaboratives occasionnant des situations de communication réelle.

Par exemple, pour citer quelques projets établis par des enseignants de langue via Internet et les produits informatiques, il existe :

  • l’expérience*, réalisée en 1997 entre le lycée Moncade d’Orthez et le collège Les Tamarins à La Réunion, qui était une simulation globale internationale effectuée en utilisant le courrier électronique. Inspirée de la méthode L’Immeuble de Debyser, il s’agissait d’écrire un roman collectif où les personnages étaient les élèves de différentes classes de FLE dans le monde.
  • des produits multimédias à objectif pédagogique en classe réalisés par des apprenants tels les élèves d’allemand du lycée Pierre-Brossolette de Villeurbanne (académie de Lyon) ou ceux d’espagnol du collège Ploemeur (académie de Rennes) (Féral & Maurelet, 2001, p.15-16). 

En conséquence, notre problématique est de pouvoir adopter une démarche qui, comme le décrit Mangenot (1996, p.12), d’un côté prône les besoins d’une pédagogie de l’écriture en plaçant les apprentis-scripteurs au centre des préoccupations, d’un autre côté met à profit les nouveaux outils qui leur apportent motivation ; une démarche qui prévoit en outre un dispositif permettant la présence d’un enseignant tant pour l’enseignement de l’écrit que pour son évaluation (ibid., p.56).

Dans cette optique, à travers cette recherche, nous proposons de créer, sur le modèle d’un Espace Numérique de Travail (ENT), un site de classe dans le cadre d’un cours d’expression écrite car un tel site permettrait de combiner les objectifs de cette discipline et l’ordinateur, de combiner le travail fait en classe avec interaction enseignant/apprenant et le travail individuel de l’apprenant fait hors de la classe mais tout en lui donnant l’occasion d’interagir avec l’enseignant.

Pour cela, nous exploiterons un cours d’expression écrite via un site de classe avec les apprenants de Français Langue Etrangère (FLE) de 1ère année de licence inscrits à la Faculté de Pédagogie de l’Université Anadolu en Turquie et tenterons de voir si un tel site peut se montrer favorable, avantageux.

La problématique de la recherche relève quatre questions essentielles qui sont :

  1. Quelles approches de l’enseignement de l’écriture en langue 2 (au sens de langue étrangère dans cette recherche) faut-il adopter pour l’amélioration des écrits ? ou en d’autres termes “Quel est le processus d’écriture à enseigner ?”; Ces deux questions ayant pour point commun la qualité des écrits. Nous traiterons de ces questions, qui nous guiderons aux facteurs qui concourent à une production écrite réussie et à la constitution du contenu nos séances de cours d’expression écrite, au point 2.2.
  2. Quelles sont les difficultés que rencontre un apprenant de langue 2 en expression écrite ? Trouver réponses à cette question nous permettra de cerner ces difficultés et de constituer notre site de façon à y remédier. Nous traiterons de cette question dans le point 2.3.
  3. Quels seraient les apports d’un site de classe pour un cours d’expression écrite FLE ? C’est après avoir dressé un petit inventaire des technologies utilisées dans l’enseignement des langues puis dans le cadre de la production écrite que nous répondrons à cette question au point 3.3. et ceci en fonction des ouvrages existants à ce propos. Par ailleurs, nous recueillerons, par l’intermédiaire d’un entretien (annexe 14), les propos des apprenants ayant utilisé un site de classe dans le cadre du cours d’expression écrite.
  4. Un travail avec un site de classe augmente-t-il la performance (motivation et résultats) des apprentis-scripteurs de FLE ? Les résultats des apprenants à un test préliminaire et final ainsi qu’un questionnaire de motivation administré aux apprentis-scripteurs utilisant le site nous permettront de répondre à cette question.

En pratique, il faut atteindre un certain nombre d’objectifs pour pouvoir apporter des réponses à ces questions. Ainsi à chacune des questions formulées nous correspondrons un objectif spécifique qui sera présenté au point 1.2. Cependant, comme notre étude porte sur des étudiants turcs suivant des cours de FLE à la faculté de Pédagogie de l’Université Anadolu en Turquie, nous présenterons d’abord de manière générale le système éducatif du pays et la place qu’occupe le cours d’expression écrite en langue maternelle à travers ce système, vu que la production écrite en langue 2 (L2) fait appel au même processus de production qu’en langue 1 (L1) et consiste en un transfert des stratégies de la L1 à la L2 (Barbier, 1998 ; Barbier, 2000). Nous présenterons également la place qu’occupe le FLE dans ce système. Puis nous irons au particulier en présentant l’Université Anadolu, sa Faculté de Pédagogie et le département de FLE dont les étudiants de 1ère année constitueront notre échantillon de travail. Cette présentation nous permettra éventuellement de comprendre la raison pour laquelle nous avons choisi en Turquie des étudiants de FLE et de 1ère année de licence.

Notes
*.

http://www.epi.asso.fr/revue89/b89p195.htm