2.3.1.1. Processus et stratégies d’écriture

Afin de mettre à jour les difficultés relatives au processus d’écriture en L2, nous montrerons, en nous référant aux différentes recherches réalisés, les comportements communément adoptés par les apprenants de langue étrangère et les plus constatés par les chercheurs lors de la planification, la mise en texte et la révision.

Toutefois, concernant ces recherches trois remarques sont tout d’abord à faire :

  1. Les nombreuses recherches faites consistent généralement en des études de cas où la population étudiée est constituée d’un nombre très limité d’apprenants (Victori, 1994, 4 apprenants ; Raims, 1987, 8 apprenants ; Zamel, 1983, 6 apprenants…). Cependant, ces populations restreintes, loin de présenter un désavantage, permettent au contraire de prendre en compte les caractéristiques individuelles des apprenants et de former un échantillon homogène au maximum et donc d’obtenir de meilleures données. Effectivement, les apprenants constituant d’habitude une population hétérogène (l’expertise rédactionnelle en L1, l’expérience d’apprentissage et la maîtrise d’une L2,…), la mise en place d’un plan expérimental se présente généralement difficile, ce qui « conduit souvent à des données disparates, particulièrement complexes à analyser. » (Barbier, 2004, p.182). Par ailleurs Raimes (1985, p.231) précise qu’il est possible de dégager certaines généralisations à partir des études de cas.
  2. La compétence rédactionnelle étant unique dans toutes langues, les recherches qui portent sur le processus de production en L2 ont été inspirées des modèles de production écrite en L1 et elles consistent en l’étude des transferts de stratégies opérés de la L1 à la L2 (Barbier, 2004, p.184). Beaucoup en concluent (Raims, 1987 ; Silva, 1993) qu’un scripteur compétent, expérimenté, c’est-à-dire qui « En cas de difficultés, […] sait quelles stratégies mettre en œuvre. » (Cornaire & Raymond, 1999, p.55), le serait également en langue étrangère. Par stratégie, il est désigné « un plan d’action, une démarche consciente mise en œuvre pour résoudre un problème ou arriver à un but. » (ibid., p.53).
  3. A travers ces recherches, il a également été procédé à une étude comparative (Cumming, 1989) entre les apprenants de L2 de niveau faible (les novices) et ceux de niveau élevé (les compétents) car la production écrite différant « considérablement chez une personne expérimentée et chez un débutant, […] une analyse théorique de la manière d’opérer des personnes expérimentées peut être la source de modèles experts d’expression écrite auxquels les étudiants [et enseignants] peuvent se référer. » (Bruce, 1987, p.133).

La planification : Bien que selon Silva (1993, p.651) les scripteurs de L2 planifient moins que les scripteurs de L1, Zamel (1983, p.172) affirme que ses six apprenants habiles consacrent beaucoup de temps à la planification : ils essaient de voir comment procéder à leur rédaction. Dans ce but, ils énumèrent des idées à travers des listes, des prises de notes ou des diagrammes. De même, les deux apprenants compétents de Victori (1999, p.545) confirment, lorsqu’on les interroge, concevoir un plan (mental ou sur feuille) avant de commencer à écrire et précisent qu’ils ne se voient pas contraints d’y obéir entièrement. En effet, ils mettent parfois leur plan de côté et improvisent de nouvelles idées au cours de leur écriture.

Quant à Préfontaine (1998, p.26), elle trace le parcours du scripteur compétent lors de la planification comme tel :

  • Il fait d’abord une première liste des idées qu’il pourrait traiter, puis il l’évalue et la complète au besoin ;
  • Il juge de l’importance de chacune de ces idées afin de déterminer celles qui seront conservées comme principales et celles qui seront considérées comme complémentaires ;
  • Il rature certaines idées de la liste ;
  • Il en ajoute d’autres après avoir eu recours à de nouvelles sources d’information.

En ce qui concerne les scripteurs moins habiles, ils ne consacrent pas de temps à la planification et préfèrent « écrire selon [leur] inspiration » (Victori, 1999, p.546). Ceci les entraîne par conséquent à écrire d’un seul jet et à un manque de clarté, de but dans leurs écrits. En outre, lorsqu’ils essaient de planifier ils « n’ont pas conscience des lecteurs » (Préfontaine, 1998, p.25), c’est pourquoi ils présentent les caractéristiques suivantes (ibid.) :

  1. Ils ne voient pas la nécessité de rendre les référents explicites ;
  2. Ils ne font pas de liens explicites entre les idées ;
  3. Ils ne prennent pas la peine de lier les différents aspects du sujet entre eux ;
  4. Ils ne permettent pas de comprendre le fil conducteur du texte.

La mise en texte : Dans l’ensemble, la mise en texte en langue 2 est plus difficile, plus laborieuse, moins productive et prend plus de temps : les scripteurs font beaucoup de pauses très longues, écrivent d’une manière lente, produisent peu de mots et utilisent beaucoup le dictionnaire (Silva, 1993, p.661-662). De plus, tous les scripteurs, novices et experts, s’arrêtent souvent en cours de rédaction pour relire ce qu’ils viennent d’écrire mais les moins habiles relisent leurs phrases une par une ou deux par deux au lieu de longs passages (Raims, 1987, p.242) et se concentrent à trouver les bons mots pour exprimer leurs idées (ibid., p.248). Ceci les entraîne donc à engendrer moins d’idées malgré le temps dépensé.

Quant aux scripteurs habiles, ils utilisent ces pauses d’une manière plus fructueuse puisque lorsqu’ils se relisent en cours de rédaction, ils se concentrent à voir si ce qu’ils ont écrit correspond bien à ce qu’ils voulaient dire et ceci en se relisant à haute voix et en dialoguant avec eux-mêmes (Zamel, 1983, p.173). Ils se créent un dialogue intérieur afin d’approuver ce qu’ils ont écrit.

Par ailleurs, le scripteur habile ne s’attarde pas à trouver les mots justes et afin de poursuivre le développement de leurs idées sans être dérouté par des difficultés lexicologiques…, il a conçu des stratégies : laisser un espace vie pour un mot inconnu, employer le mot inconnu en langue maternelle… Il se corrigera plus tard en utilisant le dictionnaire par exemple, l’essentiel étant de ne pas perdre l’idée (Zamel, 1983, p.175).

La révision : La révision est l’étape à laquelle le plus de recherches ont été consacrées. Elles en ont généralement concluent que “réviser son texte” signifiait “réécrire son texte”. Dans le cadre des recherches en langue étrangère, les chercheurs se retrouvent en général sur les points suivants :

Les scripteurs de L2 révisent plus qu’en L1 et beaucoup de stratégies de révision utilisées en langue maternelle sont également utilisées en langue étrangère (Silva, 1993, p.662). Cependant, les scripteurs habiles et moins habiles se différencient dans cette étape de par leur objectif de révision.

En effet, les moins habiles ont une perception limitée de la bonne écriture et ne s’intéressent pas à la cohérence du texte, à la restructuration des idées comme le font les compétents. Lorsqu’ils se relisent, ces premiers se focalisent davantage sur les aspects de bas niveau tels le vocabulaire, les formes grammaticales, les prépositions et sur l’usage des temps corrects (Victori, 1999, p.541).

Quant aux scripteurs habiles, ils corrigent également les formes incorrectes mais sont davantage à la recherche de nouvelles idées, « travaillent plus volontiers la forme de leur argumentation » (Tognotti, 1997) et contrôlent si leur texte est en accord avec l’objectif de départ. Donc, leur révision consiste aussi en une restructuration de leur plan, influence le contenu et le sens du message à transmettre : ils procèdent surtout à des corrections de haut niveau.

Par ailleurs, tout au long de leur révision ces scripteurs habiles modifient le contenu en tenant compte également des lecteurs éventuels au contraire des moins habiles qui « écrivent souvent pour eux-mêmes » (ibid.) ou qui pensent que leur texte est seulement adressé à l’enseignant (Victori, 1999, p.544). Pour ces apprenants, le contenu, les idées, le message ne passent au devant de l’exactitude linguistique.

De l’ensemble des études présentées sur les processus d’écriture en L2, il ressort que les scripteurs qui réussissent le mieux sont ceux qui se rendent compte des exigences de la rédaction : Ils sont conscients de la non-linéarité de la production écrite, ils savent alterner les phases de planification, mise en texte et révision. Comme le dit Zamel (1983, p.180) : « Ces apprenants comprennent clairement ce que nécessite l’écriture. Ils savent quoi prévoir, comment s’y prendre et sur quoi se focaliser quand ils écrivent et réécrivent. ». Cette prise de conscience fait apparaître, selon nous, qu’ils sont parvenus à transformer les processus d’écriture en stratégie d’écriture.

Par ailleurs, il ne serait pas faux d’affirmer que si ces apprenants réussissent mieux en L2 c’est parce qu’ils sont déjà, les exigences de la production écrite étant similaires d’une langue à une autre, des scripteurs experts dans leur langue maternelle, qu’ils mobilisent leur compétence de haut niveau de la L1 pour la L2 et donc qu’ils procèdent à un transfert de stratégies.

Ainsi, les scripteurs forts en langue seconde seraient ceux qui sont déjà fort en L1 et les faibles en L2, ceux déjà faibles dans leur langue maternelle.

Or, il paraîtrait qu’il n’en est pas toujours de la sorte (Arndt, 1987 ; Pennington & So, 1993 ; Kobayashi & Rinnert, 1992), que même si les scripteurs pouvaient activer leur compétence rédactionnelle acquise en L1, la mobilisation de ces processus de haut niveau pour l’écriture en L2 était en grande partie liée à l’appropriation d’un “seuil de compétence linguistique” (Cummins, 1979, p.222) ; c’est-à-dire à un niveau minimum de connaissance des processus de bas niveau (maîtrise des aspects morpho-syntaxiques, lexicaux et orthographiques) de la langue cible qui influencent également le contenu du texte.