2. La mise en texte

La mise en texte, qui est l’étape de la transformation en texte des idées retenues, traitées lors de la planification, est souvent considérée seulement du point de vue linguistique tels les accords grammaticaux, le choix des mots, leur orthographe, leur insertion dans des structures syntaxiques… Cependant, outre ces aspects importants qui affectent la qualité des textes mais qui font déjà « l’objet d’un enseignement habituel en classe. » (Préfontaine, 1998, p.39-40), il existe un autre aspect de la mise en texte qui constitue « souvent  le parent pauvre en classe… » (ibid, p.40) et qu’il faudrait particulièrement enseigner de manière explicite aux apprentis-scripteurs : Il s’agit de la cohérence car un texte n’est pas un amas confus de phrases. L’apprenant se doit d’établir des liens entre les différentes parties et les différentes idées du texte afin de former un écrit clair et bien structuré, d’établir une continuité textuelle.

Selon Charolles (1978) pour produire des textes cohérents il faut obéir à quatre (méta)règles qu’il est fondamental de connaître, de maîtriser et d’y travailler car (Préfontaine, 1998, p.44) :

Ces règles sont : la règle de répétition, la règle de progression, la règle de non-contradiction et la règle de relation.

Précisons que Lundquist et Halliday sont deux auteurs importants qui ont également traité de la cohérence à travers un texte mais leurs principes de cohérence « peuvent se subsumer sous les quatre métarègles intégratrices. » (Grevais & Noël-Gaudreault, 1992, p.140) de Charolles.

La règle de répétition : Pour qu’un texte soit cohérent, il doit comporter au niveau microstructurel (cohérence entre les mots) ou au niveau macrostructurel (cohérence entre les idées) des éléments à récurrence stricte dans son développement linéaire. C’est-à-dire qu’il doit comprendre dans son déroulement des reprises d’éléments sémantiques lui assurant une continuité et une homogénéité permettant la compréhension du message qu’il véhicule. Pour effectuer ces redondances qui étayent l’efficacité de la communication, il existe quatre procédés :

  1. La pronominalisation (ou la présence de pronoms) permet de remplacer un nom, un groupe nominal, de se substituer à un adjectif ou à une proposition toute entière. Les pronoms « permettent au lecteur de savoir en tout temps de quoi ou de qui il est question. » (Préfontaine, 1998, p.45) d’où leur importance pour la cohérence. L’ordinateur est en panne. Il est chez le réparateur. Pierre a échoué à l’examen. Ceci l’a déçu.
  2. La définitivisation (ou la présence de déterminants), qui assure le bon fonctionnement de la règle de répétition par l’intermédiaire des articles définis, indéfinis, des adjectifs démonstratifs, interrogatifs, exclamatifs, numéraux et indéfinis, a pour rôle syntaxique d’introduire un nom. Et, même si l’usage abondant de déterminants à travers un texte peut entraîner à une trop grande redondance et être perçu comme une forme d’incohérence, leur usage équilibré contribue à nuancer le sens du texte. Ce magasin est très grand. Quelle chance ! Elle achète un pull. Le pull est magnifique.
  3. La substitution lexicale permet d’éviter les reprises léxématiques tout en garantissant un rappel strict (Charolles, 1978, p.16) à l’aide de synonymes (1), de périphrases (2), de mots synthèse (3) ou de mots communs (4) : (1) Il vient d’acheter une nouvelle voiture. Ce véhicule lui a coûté une belle petite fortune. (2) Paris est une belle ville. La capitale de la France accueille 60 millions d’habitants tous les ans. (3) Le dessin, la musique, l’EPS sont souvent négligés à l’école. Pourtant, ces matières sont importantes pour le développement de l’enfant. (4) Anne Delieu a beaucoup travaillé. Cette femme d’affaire mérite un prix.
  4. Les présuppositions et la reprise d’inférence : Les présuppositions permettent de faire un rappel qui « porte sur des contenus sémantiques non manifestés (quoique fondamentaux) qui doivent être reconstruits pour qu’apparaissent explicitement les récurrences. » (Charolles, 1978, p.18). Ce qui signifie que la répétition ne peut pas toujours être perceptible à la “surface textuelle”. Parfois, au contraire des trois premiers procédés de la règle de répétition, il faut reconstruire le sens implicite des énoncés pour assurer la continuité, la cohérence et dans cet objectif, les conditions de répétition présentées à travers ces énoncés doivent être suffisantes. Par exemple, dans les phrases ci-dessous, le lien entre la question « Pourquoi Marc vient-il à pied ? » et la réponse 1, ainsi qu’avec la phrase 2 est identifiable. Par contre, les conditions de répétition étant insuffisantes, le lien entre la réponse 3 et cette même question n’est pas identifiable, ce qui nous place devant une incohérence. Pourquoi Marc vient-il à pied ?  1) Parce qu’il a vendu sa voiture. 2) Parce qu’on lui a volé sa bicyclette. 3) Parce qu’il aime les motos.

La reprise d’inférence est, comme pour les présuppositions, un facteur important de cohérence. Elle exige d’effectuer une déduction pour dégager la répétition inférée dans un énoncé en ayant recours à des connaissances extratextuelles ou à des connaissances du monde. Ainsi, dans l’exemple donné par Charolles (ibid., p.19) :

‘« Nicole s’est inscrite à l’Université. Depuis qu’elle a fini ses études secondaires, elle ne sait plus vers quel métier s’orienter »,’

le lien est facilement construit pour quiconque sait que pour faire des études supérieures, il faut terminer ses études secondaires, chose que nous permet de déduire la première proposition : Si Nicole s’est inscrite à l’Université, c’est qu’elle a terminé ses études secondaires.

Pour exposer les difficultés qui émanent de ce procédé, Charolles (1978., p.20), en se basant sur les exercices de prolongation de texte proposés à des apprenants de langue maternelle mais qui peuvent également être donnés à des apprenants de langue étrangère, explique que les apprentis-scripteurs ne peuvent pas toujours avoir accès aux connaissances du monde qu’engage le début du texte, ce qui entraîne à une incohérence :

‘« à supposer un morceau choisi de départ dans lequel il serait dit qu’un personnage habite dans un manoir, roule en Rolls et a plusieurs serviteurs, il nous paraîtrait normal d’en inférer qu’un tel individu est fortuné et sans soute sanctionnerons-nous à partir de là toute prolongation dans laquelle cet homme se verrait incontinent considéré comme miséreux ou malade. L’incohérence ou la bizarrerie de certains textes d’élèves proviennent parfois du fait que certaines inférences que nous supposons pouvoir effectuer légitimement en leur sein ne sont pas assumées ou pire se trouvent contredites dans le texte lui-même. ». ’

Ce genre d’incohérence est d’autant plus plausible avec les apprenants de langue étrangère lorsque l’inférence porte essentiellement sur des aspects socio-culturels de la langue cible.

La règle de progression : « Pour qu’un texte soit cohérent microstructurellement ou macrostructurellement, il faut que son développement s’accompagne d’un apport sémantique constamment renouvelé. » (ibid.). C’est-à-dire que pour assurer la cohérence textuelle, le sujet ou thème de rédaction ne doit pas sans cesse être répété mais que de nouvelles informations à propos de ce thème doivent être introduites afin d’établir une progression : Il est question de parler à propos du thème. Ce développement thématique se nomme le rhème et exige bien sûr la maîtrise de la règle de répétition.

Il existe trois types de progression : la progression à thème constant, à thème linéaire et à thème éclaté (dérivé).

La progression à thème constant : Le thème est repris dans une série de phrases successives mais le rhème change à chaque fois. C’est-à-dire que des informations nouvelles sont introduites au sujet du thème qui reste le même.

Marie regardait par la fenêtre. Elle se sentait triste. La jeune fille pensait à ce qu’elle allait faire…

La progression à thème linéaire : Le thème du premier énoncé devient le thème du second énoncé et ainsi de suite. Ainsi chaque fin de phrase relance la suite.

Dans la chambre il y avait un lit. Sur ce lit dormait un chien. Un caniche très beau de couleur blanche.

La progression à thème éclaté : Les différents thèmes sont dérivés d’un hyperthème, c’est-à-dire d’un même thème auquel tous les autres se rattachent.

Pierre a acheté un pull . Sa couleur est rouge, ses manches sont longues

Leurs enfants ont terminés leurs études. L’un est devenu ingénieur, l’autre est devenu avocat.

La règle de non-contradiction : Il faut que le développement d’un texte n’introduise aucun élément sémantique contredisant un contenu posé ou présupposé par une occurrence antérieure déductible de celle-ci par inférence afin que le texte soit cohérent au niveau microstructurel ou macrostructurel (Charolles, 1978., p22). Ceci signifie que la progression du texte ne doit comporter aucune information, aucun élément linguistique qui contredise les éléments déjà exposés explicitement ou implicitement.

Les contradictions possibles peuvent être d’ordre :

La règle de relation : « Pour qu’une séquence ou qu’un texte soient cohérents, il faut que les faits qu’ils dénotent dans le monde représenté soient reliés. » (ibid., p.31). Par exemple, parler d’avion dans un texte dont le contexte appartient au Moyen-âge enfreindrait cette règle. Une telle information ne serait pas reliée aux connaissances du lecteur à propos de cette période. 

Ainsi sont les règles auxquelles le scripteur doit se conformer afin d’aboutir à une cohérence textuelle et répondre, partiellement puisque d’autres savoirs comme le savoir linguistique, socio-culturel… doivent aussi se manifester, aux exigences de la mise en texte. Du point de vue de leur enseignement, une fois ces règles expliquées l’enseignant peut les faire travailler en classe à l’aide d’activités présentées en guise d’exemple en annexe 3.