Plus récente, cette éruption est aussi beaucoup mieux documentée. Elle est d’ailleurs l’une des premières, avec la catastrophe de la montagne Pelée à la Martinique (1902), à faire l’objet d’une couverture médiatique internationale. Le London Times puis le New York Times ont publié mi-janvier 1914 un article sur le sujet. Il a également fait l’objet d’une note de synthèse de Jules Sion dans les Annales de géographie, et de Charles Davison au Royaume Uni. T.A. Jaggar, le géologue responsable à l’époque de la section volcanologie de l’USGS, rédige enfin un reportage pour le National Geographic en 192450.
En 1914, environ 23 000 personnes habitaient sur l’île. Bien qu’aucune éruption majeure n’ait eu lieu au Sakurajima depuis la fin du XVIIIe, plusieurs éruptions récentes s’étaient produites dans l’archipel51. Les nombreux séismes ressentis les 10 et 11 janvier avaient inquiété la population, comme les variations brutales du niveau des puits et le jaillissement d’eau bouillante en plusieurs endroits au sud de l’île, sur le rivage d’Ari-mura 有村, ou encore l’apparition de fumée blanche au sommet. Bien que ces phénomènes anormaux se soient répétés avant l’éruption, le niveau de la volcanologie de l’époque, naissant à peine, n’a pas permis de reconnaître qu’ils étaient les précurseurs d’une éruption. La station météorologique de Kagoshima, ayant enregistré 418 trémors a même transmis dans son rapport qu’ « il n’y aura pas d’éruption au Sakurajima » 52. Faute d’informations appropriées qui auraient pu confirmer la signification des séismes ressentis, les autorités locales n’ont pas donné de consigne d’évacuation aux habitants qui n’étaient pas déjà partis d’eux-mêmes. Au contraire, ils indiquèrent qu’il n’était pas nécessaire de paniquer ni de quitter l’île…53
Seule l’évacuation spontanée de la plupart des insulaires explique, finalement, le faible nombre relatif de victimes, 140 en tout, tandis que huit villages ont été totalement détruits. Sans attendre d’instructions des pouvoirs publics, les insulaires ont mobilisé toutes les embarcations disponibles pour évacuer le 12 janvier, de leur propre initiative, puis avec l’aide de l’armée, alors que l’éruption commençait. Certains se noyèrent en tentant d’évacuer à la nage malgré l’hiver. En soirée, un violent séisme suivi d’un tsunami de faible ampleur brisa le sismomètre de Kagoshima, fit trente-cinq morts et plusieurs centaines de blessés. Des explosions furent accompagnées de chutes de blocs et de cendres, et de petites coulées pyroclastiques. L’épaisseur des cendres de cette éruption atteint près de quatre mètres sur le flanc est du volcan, sous le vent.
Le 13, alors que l’île était totalement désertée, l’activité changea de style, et des coulées de laves de part et d’autre du volcan succédèrent à l’activité explosive initiale. Les poussières ont parcouru plus de 1 200 km en direction du nord-est. L’écoulement des laves, particulièrement volumineux, ensevelit les champs et des villages, et alla jusqu’à déborder en mer. Du côté oriental, la lave a recouvert une colline de 123 m de haut ; le détroit de Seto 瀬戸海峡 pourtant large de 400 m a été entièrement colmaté et l’île s’est trouvée reliée à la péninsule d’Ôsumi. Les explosions cessèrent dès le 25 janvier de ce côté-là. Côté occidental, la lave atteignit par endroit une épaisseur de 60 mètres. Elle recouvrit 8,8 km2, dont plus d’un quart en mer, et l’activité se poursuivit durant plusieurs mois. Le volume total éjecté est estimé au douzième du volume du volcan, soit environ 1,5 à 2 km3.
Les modifications de la configuration de la baie, rétrécie et moins profonde par endroits, enfoncée à d’autres, eurent des conséquences sur l’ampleur des marées d’équinoxe, accrue de près d’un demi-mètre. Utilisant les levés topographiques révisés par l’armée, le volcanologue Ômori Fusakichi 大森房吉(1868–1923)54 a pu dessiner des isobathes de –50 cm au nord de la baie. Le sommet du volcan se serait soulevé au contraire, tandis que des déformations horizontales furent aussi repérées, semblant montrer que les moitiés nord et sud du volcan auraient été poussées dans des directions opposées.
Les eaux ont aussi été intensément chauffées, jusqu’à 750° C et plus, ébouillantant toute la vie marine environnante. Les ponces qui les ont temporairement recouvertes ont rendu la navigation difficile, et l’épaisseur des cendres causa l’effondrement de nombreuses toitures à Kagoshima et dans les environs. 2 548 bâtiments furent démolis, et de vastes surfaces cultivables ensevelies. Près des deux tiers des champs de blé, fruits et légumes, canne à sucre et tabac furent détruits55. D’après l’article du New York Times de l’époque, le total des dégâts fut estimé à dix neuf millions de dollars. Le gouvernement japonais et des pays étrangers fournirent des fonds et des secours.56
La crise est considérée comme un modèle en raison de la réaction appropriée et autonome des habitants, alors que l’observatoire météo avait statué sur l’absence de danger d’éruption. L’épitaphe du monument dressé en mémoire de cette éruption, dans la cour de l’école primaire de Higashi Sakurajima 東桜島, appelle à imiter cette responsabilisation individuelle :
‘« […] Considérant l’activité volcanique historique de notre île, nous croyons qu’il est impossible d’échapper à une future éruption. Les résidents, sans s’en remettre aux théories, lorsque qu’ils se rendent compte de phénomènes anormaux, doivent avant tout se préparer à évacuer avant la fin [l’éruption] […]57 »’L’éruption de 1914 a aussi beaucoup contribué aux progrès de la volcanologie naissante. L’effondrement du centre de la caldera suite à l’éruption, signe d’une vidange brutale, a montré l’existence d’une chambre magmatique dédoublée, sous la caldera et sous le volcan, ce que les mesures sismiques et géochimiques ont confirmé par la suite.
Sion (1916), Davison (1916), Jaggar (1924).
L’Adatara en 1900, Tori-shima en 1902, l’Asama en 1909-1914 (deux morts et deux blessés), le Tarumae-zan en 1909, et l’Usu en 1910 (une victime). D’après les données du Kishôchô : http://www.seisvol.kishou.go.jp/tokyo/volcano.html.
Davison (1916).
Kamô (1988).
大森 房吉 (1868–1923). Cf. infra, p. 183.
D’après les informations du musée départemental de Kagoshima.
D’après les sources de Volcano World, le site de vulgarisation de l’Université d’Oregon : http://volcano.und.edu/
[…] 本島ノ爆発ハ古来歴史ニ照シ後日復跡免レザルハ必然ノコトナルベシ。住民ハ理論ニ信頼セズ、異變ヲ認知スル時ハ未前ニ避難ノ用意尤モ肝要トシ[…] « Hontô no bakuhatsu wa korai rekishi ni terashi, gojitsu mata mata manukarezaru wa hitsuzen no koto narubeshi. Jûmin wa, riron ni shinrai sezu, ihen o ninchisuru toki wa, suemae ni hinan no yôi, motto mo kan-yô toshi ».