II. Le mont Usu et Miyake-jima – Deux visages de la gestion de crise actuelle

1. Deux volcans aux catastrophes récurrentes

Pour le seul XXe siècle, ces deux volcans ont connu chacun trois éruptions en plus de celle de 2000 : 1910, 1943-1945, 1977-1978 pour le mont Usu, 1940, 1962-63, 1983 pour Miyake-jima. Cette fréquence particulièrement élevée – une éruption par génération – permet à la mémoire des éruptions de se transmettre et prouve qu’il est possible pour des populations de se maintenir durablement malgré la menace directe et répétée d’un volcan.

Le mont Usu est, comme l’Unzen, un ensemble de dômes de dacite. Construit en bord d’une caldera et non dans un graben, il est aussi beaucoup moins élevé, puisque le sommet principal, Ô-Usu 大有珠(le grand Usu) culmine à 735 m. La somma qui l’entoure contient aussi un dôme secondaire Ko-Usu 小有珠(le petit Usu, qui s’élève à 552 m. Une douzaine d’autres dômes ont poussé aux alentours, notamment Shôwa Shinzan 昭和新山 (la nouvelle montagne de l’ère Shôwa), apparu pendant la guerre au milieu d’un champ.

Au mont Usu, toutes les éruptions ont été attentivement surveillées. Celle de 1910 fut étudiée dans le détail par Ômori, qui dressa une carte où figurent déjà les dômes principaux et les lignes de faille actives qui ont guidé le magma en 2000 également (photo 1-3 : Ômori avait déjà cartographié ces failles lors de l’éruption de 1910). Cette éruption ouvre la voie en surface à des sources thermales qui sont à l’origine de la station de Tôyako, développée depuis sur la rive sud du lac (carte 1-5). En 1943, c’est un receveur des postes local, Mimatsu Masao 三松正夫, qui chaque jour observe la croissance du dôme et en fait le croquis68.

L’observatoire volcanologique du mont Usu (UVO) est construit juste avant l’éruption de 1977. Son établissement permet une observation instrumentée de tout le processus éruptif, depuis les prémices jusqu’à l’arrêt de la montée magmatique après la formation d’un nouveau dôme près du sommet, Usu Shinzan 有珠新山. Les éruptions sont de type plinien. La montée du magma pâteux déforme la topographie pour former un dôme ou un crypto-dôme, accompagné de la formation de cratères monogéniques.

Grâce à cette accumulation d’observations et d’expériences, le comportement du volcan est bien connu, notamment l’évolution des précurseurs qui débouchent sur une éruption. « Les documents historiques montrent que les éruptions de l’Usu sont précédées d’un essaim de secousses ressenties trois à dix jours avant les éruptions », écrivait déjà le volcanologue Shimozuru en 1983.

Ces précurseurs sont, en outre, relativement clairs, ce qui a permis au directeur de l’observatoire, Okada Hiromu, d’en faire une interprétation correcte en 2000, et de transmettre à temps ses conclusions pour déclencher l’évacuation de la région, avant même le début de l’éruption.

Le volcan est partagé entre trois municipalités, Date 伊達市, Sôbetsu 壮瞥町et Abuta 虻田町, dont le territoire s’étire entre le littoral pacifique et le lac Tôya 洞爺湖. Sur la rive sud de ce lac de caldera voisin du volcan, deux stations thermales se sont installées : Tôyako-onsen 洞爺湖温泉, qui dépend d’Abuta, et Sôbetsu Onsen 壮瞥温泉. Selon les comptes de la mairie de Sôbetsu, environ 15 000 personnes des trois communes réunies vivent au pied même du volcan, dont environ 5 000 sur les rives du lac Tôya, à moins de deux kilomètres du sommet. La totalité des flancs du volcan a été évacuée dès le début de l’éruption, une partie pendant la totalité de sa durée (jusqu’en septembre de l’année suivante).

À Miyake-jima, île de 55 km² à 180 km au sud de Tôkyô dont elle constitue l’arrière-cour insulaire, les éruptions ont une durée de retour semblable, mais elles ont été moins bien étudiées. Il n’y a pas, en effet, d’observatoire volcanologique à Miyake-jima, mais seulement une station d’observation météorologique qui opère des mesures, sans volcanologue69. Les manifestations du volcan O-yama, de type strombolien, sont plus variées : elles associent des épanchements de lave et des explosions modérées qui vomissent des scories. En 1940, une éruption donne naissance à une coulée de lave sur le flanc nord-est, jusqu’à Akabakkyô 赤場暁(carte 1-6). Des explosions sommitales produisent des cendres et des scories en quantité. L’éruption fait onze victimes.

Photo 1-1 – Panorama du triangle d’Annaka (vue vers le sud-est)
Photo 1-1 – Panorama du triangle d’Annaka (vue vers le sud-est)

Photo M. Augendre (2006)

Photo 1-2 – Constructions en cours sur le triangle d’Annaka
Photo 1-2 – Constructions en cours sur le triangle d’Annaka

Photo M. Augendre (2006)

Photo 1-3 – Carte du mont Usu dressée par Ômori en 1910
Photo 1-3 – Carte du mont Usu dressée par Ômori en 1910

Photo M. Augendre ; musée de Shôwa Shinzan (2001)

Carte 1-5 – le mont Usu
Carte 1-5 – le mont Usu

Source : d’après Kishôchô (2005)

En 1962, une coulée vient recouvrir la précédente. En 1983, une fissure s’ouvre du côté d’Ako 阿古, au sud-ouest, et une coulée recouvre un quartier du village et près de quatre cents maisons, en bord de mer (photos 1-4 et 1-5). L’évacuation n’a concerné qu’une partie de la population, qui est passée d’Ako à l’autre côté de l’île.

En 2000, le style éruptif du volcan a complètement changé, pour devenir exclusivement explosif. Pour la première fois depuis 2500 ans, une caldera s’est ouverte au sommet, large de 1,6 km et profonde de près de 500 mètres. Au paroxysme de l’activité, des blocs de plus d’un mètre de section ont atteint la côte nord-ouest, tandis que de petites coulées pyroclastiques ont pu être observées. Bien que du magma frais ait été identifié dans les matériaux, l’essentiel des éjectats était composé de roches anciennes. La plus grande originalité de l’éruption reste sa phase finale, qui a pris la forme d’un dégazage massif et continu depuis sept ans (figure 1-2). Actuellement, les moyennes évoluent entre 1 000 et 3 000 tonnes par jour, et peuvent varier considérablement, avec des pics à plus de 5 000 t/jr70. L’intensité de ces émissions de gaz soufrés n’a décru que très lentement, imposant une évacuation qui a duré quatre ans et demi pour toute la population de l’île, soit près de quatre mille habitants, hormis quelques centaines de personnes, rapidement revenues de manière semi-permanente pour préparer la reconstruction de l’île71.

Notes
68.

Mimatsu (1995).

69.

Aramaki (2005), p. 95.

70.

Par comparaison, Le Sakurajima, qui connait une accalmie relative, émet 500 à 1000 t/j, le Kilauea (Hawai) émet habituellement 200 t/j et jusqu’à dix fois plus en période d’éruption soutenue (USGS), Soufriere Hills (Monserrat), dont l’éruption actuelle débuta en 1992, connait des pics à 1500 t/j et des valeurs moyennes variant entre 500 et 1000 t/j (MVO).

71.

Perrin (2008), p. 38.