Aoga-shima (arc d’Izu-Bonin伊豆ボーニン弧) est la plus petite des îles étudiées, ne mesure que 6 km². Comme elle est située à 367 km au sud de Tôkyô, s’y rendre depuis la capitale suppose de relier Hachijô-jima八丈島, puis de prendre une correspondance pour les derniers 80 km. Le trajet en bateau dure une huitaine d’heures, moins du quart par liaison aérienne (avion puis hélicoptère).
Son point culminant, Ôtombu 大凸部 (423 m) est campé sur la bordure extérieure d’une petite caldera, Ikenosawa 池の沢dont le fond est parsemé de dépressions fermées. Son centre est occupé par un cône de scories dont les flancs sont boisés en lanières (photo 1-9a). La géothermie rémanente a permis d’installer une saline loin de la côte, au prix d’un approvisionnement en eau de mer par camion citerne, mais aussi des serres. Dans le passé, avant la création d’un tunnel à travers le mur de la caldera, les insulaires migraient deux fois l’an. Ils passaient l’hiver dans le cratère abrité et chauffé et en sortaient à la belle saison pour s’installer sur le plateau de laves anciennes.
L’essentiel de l’île, peu amène au premier abord (photo 1-9b) est formé d’un mélange de laves basaltiques et de dépôts pyroclastiques. En 1785, une éruption catastrophique, fait environ 140 victimes, alors que l’île était peuplée de 327 habitants87. Les survivants s’enfuient à Hachijô-jima. Sasaki Jirôdayû, 佐々木次郎太夫88 (1767-1852), natif d’Aoga-shima et appelé à la tête du village pendant l’exil, organise en 1824 la reconquête depuis Hachijô-jima. 241 personnes repeuplent l’île, et la remettent sur pieds en une décennie.
Aujourd’hui Hachijô sert toujours de port de transfert et de repli. Lorsque la mer est trop mauvaise ou en cas d’évacuation, un bâtiment est destiné à héberger les habitants d’Aoga-shima.
La petite taille de ces îles semble avoir imposé la fuite à leurs habitants, lors des manifestations éruptives sérieuses. Sans les techniques et les outils modernes de déplacement, de défrichement, de construction, les évacuations ont pu durer par le passé bien plus longtemps qu’à notre époque. L’évacuation de Miyake devient une interruption toute relative, comparée aux décennies d’absence à Aoga-shima ou Suwanose. De plus, la population de Miyake est globalement restée la même, en plus réduite, tandis que suite à l’abandon durable des îles citées, c’est une population largement nouvelle qui vint chaque fois recréer une communauté insulaire. Certaines îles, suite à une éruption qui décime toute la population, ont même été abandonnées pour de bon, comme Oshima Ô-shima après l’éruption de 1741. Située à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de la pointe méridionale de Hokkaidô, cette île n’est plus que temporairement utilisée pour la récolte d’algues wakame. Izu Tori-shima, à 230 km au sud d’Aoga-shima fut cédée aux oiseaux, après la catastrophe de 1902 (125 morts) et plusieurs tentatives de retour chaque fois déboutées par de nouvelles éruptions. Iôtori-shima, située entre Amami et Okinawa connu le même sort : évacuée temporairement lors de l’éruption de 1903, elle est désertée depuis 193489.
Dans les trois îles étudiées, l’utilisation du volcan, sur le plan économique (exploitation du soufre, de la géothermie, du paysage) ou territorial et géopolitique (présence militaire, bagne), contribue à l’ancienneté et la pérennité du peuplement. Ces aspects, sans oublier la dimension environnementale et écologique, parce qu’ils conditionnent en partie la vulnérabilité des îles, seront évoqués au chapitre trois.
Shimadas (2004).
Il doit son surnom de « Moïse » d’Aoga-shima (青ヶ島のモーゼ) au célèbre ethnologue Yanagita Kunio (柳田 國男, 1875-1962).
Shimadas (2004).