I. Une bordure du Pacifique complexe et morcelée, imprégnée par le volcanisme

1. Multitude insulaire et volcanique

Dans la guirlande d’îles qui forme le Japon, un bloc centralinsulaire s’individualise, le Hondo 本土, formé des quatre îles principales (Hokkaidô, Honshû, Shikoku et Kyûshû) et celles qui leur sont reliées par un pont. Il n’est pas vraiment considéré comme insulaire, ni en pratique, ni dans le droit⁹⁷. Il est prolongé par une multitude d’îles plus éloignées, les ritô 離島, pour totaliser officiellement 6 852 îles, moins de 7% desquelles étant occupées⁹⁸. Le comptage de ces îles, enjeu géopolitique⁹⁹, est tardif et fluctuant.

Le volcanisme contribue de manière mineure à cette incertitude, puisque des îlots volcaniques continuent d’apparaître ou de disparaître. Shôwa Iô-jima, « île au soufre de l’ère Shôwa », est apparue en 1934 au large des côtes d’Iô-jima. Nishino-shima shintô 西ノ島新島, « la nouvelle île », est sortie de l’eau en 1973 à 980 km au sud de Tôkyô, pour atteindre 238 000 m2 ¹⁰⁰. Toujours dans l’arc actif d’Izu-Ogasawara¹⁰¹, Myôjin-shô 明神礁, un volcan sous marin au large des « Bayonnaise Rocks » ベヨネース列岩, a émergé puis disparu de la surface à trois reprises entre 1946 et 1953. La deuxième fois, lors d’une éruption en septembre 1952, un îlot de 100 par 150 mètres apparut pendant une semaine. L’explosion volcanique qui l’engloutit ensuite coûta la vie des trente-et-un membres de l’équipage venu en faire l’étude scientifique¹⁰².

Le tracé des côtes lui-même, qui ne fait pas plus l’unanimité (linéaire côtier de 27 000 à 35 000 km selon les sources) évolue au gré des éruptions. Le Sakurajima est devenu une presqu’île lors de l’éruption de 1914 ; les deux éruptions du mont Unzen ont profondément modifié le littoral, en 1792 avec l’effondrement d’un flanc du Mayu-yama dans la mer, et après l’éruption de 1991 par une accrétion deltaïque rapide alimentée par les nombreuses décharges de lahars.

Répertorier les volcans actifs du Japon est au moins aussi malaisé qu’en compter les îles, et pose des problèmes du même ordre, notamment la temporalité retenue pour définir un volcan « actif » et la délimitation nationale. En effet, il est difficile d’arrêter un nombre exact en raison des flottements sémantiques qui pèsent sur la définition des notions d’« activité » et de « volcan ». Ces notions dépendent d’abord de l’échelle retenue. L’échelle de temps, d’abord, géologique ou humaine, mais aussi l’échelle spatiale, car les alimentations magmatiques ne s’accommodent pas toujours de l’image d’un conduit sommital unique de quelques kilomètres d’ampleur.

Le nombre de volcans actifs a augmenté au cours du temps, au fil des études de terrain, du développement de l’instrumentation, et des modifications de la définition de l’activité volcanique (selon la fréquence, la durée de retour, la date de la dernière éruption ou la période retenue). Communément, un volcan est considéré comme « actif » lorsqu’une éruption au moins s’est produite durant la période holocène, c'est-à-dire depuis la fin de la dernière glaciation.

D’après Hatori et al. (1977), le pays aurait compté environ 200 édifices volcaniques dont 60 à 65 considérés comme actifs sur environ 700 dans le monde. À partir des archives, le Kishôchô avait publié en 1968 une liste fixant ce nombre à 66, Territoires du Nord 北方領土 (Kouriles) exclus. Après la création d’un Comité de Coordination pour la Prévention des Éruptions (CCPVE) en 1974, le nombre fut porté à 77, incluant les volcans historiquement actifs, à activité fumerolienne et les Territoires du nord.

Le progrès des recherches sur le terrain et dans les archives a porté ce nombre à 83, puis 86 volcans actifs¹⁰³ sur une base restrictive, ne tenant compte que des éruptions des deux derniers millénaires, sur 800 à 850 volcans actifs dans le monde¹⁰⁴. Non sans fierté, en comparant cette proportion (près de 10 % du total) à celle de la superficie du pays (seulement 1/400e de la surface continentale de la planète), les auteurs considèrent que le Japon est un véritable « royaume du volcanisme ». Bien que les conditions de développement et de peuplement ne soient pas comparables, il ne faut cependant pas oublier les « empires » volcaniques de l’Indonésie (150 volcans actifs) et du Kamchatka aux Kouriles (158 volcans), deux régions voisines qui possèdent une concentration volcanique supérieure à celle du Japon.

En 2002, les tables scientifiques chronologiques (un almanach des sciences de la terre¹⁰⁵) en comptent 144 en tout, plus ceux des Kouriles. Depuis 2003 le Kishôchô en dénombre 108 au Japon, en s’alignant sur la durée retenue par le catalogue mondial de la Smithsonian Institution¹⁰⁶: « l’activité » volcanique est étendue à tout volcan ayant fait éruption de manière connue ou supposée dans l’Holocène, ainsi qu’aux édifices ayant une activité fumerolienne contemporaine vigoureuse¹⁰⁷. Pourtant la base de calcul est différente, puisque le catalogue de référence américain comptabilise les volcans des Kouriles à part, et propose un autre nombre de volcans pour chaque région du Japon.

Mais les conséquences de cette ambiguïté sont négligeables, au fond, puisque les édifices concernés sont souvent intégrés dans des groupes de dômes de lave ou de cratères voisins (kazan gun 火山郡, « districts volcaniques »), dépendant probablement en profondeur de la même entité de stockage et de transfert de magma (« chambre » magmatique). À l’heure actuelle, le catalogue international recense en tout un peu plus de 1 300 volcans actifs sur la planète, plus 200 dont l’activité holocène est probable mais non démontrée¹⁰⁸. Si l’ordre de grandeur du millier d’édifices actifs peut raisonnablement être retenu pour la surface terrestre, il ne faut pas oublier qu’il ne constitue qu’une faible partie de l’arrivée de roches en fusion à la surface du globe. L’émission de magma, qui « compense » l’entrée de matière dans le manteau au niveau des convergences, s’effectue en effet pour l’essentiel dans les espaces « hors champs » que sont les fonds marins.

Plus prosaïquement, la géopolitique semble aussi peser dans les comptes. L’inventaire japonais inclut onze volcans des îles Etorofu-tô 択捉島, Kunashiri-tô 国後島, Shikotan-tô 色丹島 et du petit archipel de Habomai 歯舞群島, « Territoires du Nord » réclamés par les Japonais, mais occupés et administrées par les Russes depuis 1945 (« Kouriles du sud »). La dispute est responsable de l’absence de traité de paix mettant officiellement fin à la deuxième guerre mondiale entre les deux pays. De l’autre côté, le catalogue américain inclut dans sa « région numéro huit » les volcans japonais, sans les Kouriles mais avec ceux de Taiwan, dans le prolongement des Ryûkyû, et ceux des îles Mariannes¹⁰⁹, dans le prolongement de l’archipel d’Izu-Ogasawara.

Seule une minorité d’îles japonaises n’est pas, au moins partiellement, couverte ou constituée de roches d’origine volcanique. L’archipel, pour reprendre une expression d’Haroun Tazieff, est un véritable « guêpier de volcans ». Inversement pourtant, seule une minorité d’entre eux, parmi les plus actifs, ont connu des éruptions meurtrières ces derniers siècles¹¹⁰. L’essentiel de ces volcans est localisé dans le Hondo, car parmi les ritô, comme indiqué au chapitre précédent, seul un petit nombre sont des volcans « actifs » : le centre des îles éloignées en répertorie vingt-trois¹¹¹.