II. Des dynamismes bien connus à l’échelle de l’archipel

1. L’arc et le stratovolcan, deux clés du volcanisme japonais

Un arc insulaire (ou arc volcanique ou « guirlande » insulaire) fait référence à une forme topographique particulière, l’île, portion émergée d’une boursouflure sous-marine qui borde une fosse de subduction, répliquée selon un agencement géographique propre, une ligne de courbure plus ou moins prononcée et dont la face convexe est tournée vers la fosse. Le cas japonais est intermédiaire entre le véritable arc insulaire, issu de la subduction de deux plaques océaniques, et la cordillère impliquant la présence d’une plaque continentale. En effet, le Japon est composé d’une portion de croûte continentale dans laquelle se sont ouverts des bassins maritimes comme il a été expliqué dans les paragraphes précédents.

À l’échelle de l’archipel, il convient encore de distinguer deux types d’arcs. Le nord du Hondo forme un arc mature ou « micro-continental » ; sa ceinture volcanique active est assez étroite (quelques dizaines de kilomètres) mais peut avoir migré au cours du temps ou s’être enflée à la faveur des éruptions majeures qui libérèrent d’importants volumes d’éjectats. L’épaisseur de la croûte à son endroit influence le magma pendant son ascension vers la surface, et contribue à augmenter sa teneur en silice. L’association de la ceinture volcanique avec des bassins subsidents (Fossa magna) est caractéristique de ce type d’arc124. Au contraire, les prolongements méridionaux d’Izu et des Ryûkyû sont des arcs jeunes et purement insulaires, étroits, au volcanisme beaucoup moins différencié. Ils résultent de la subduction d’une plaque océanique sous un plancher océanique et non continental.

Les magmas d’arc sont issus de la fusion du manteau à leur aplomb ; la convection mantellique apporte la chaleur nécessaire, tandis que la présence de fluides (dans les basaltes qui forment la croûte et les sédiments marins déposés sur la plaque océanique subduite) vient abaisser la température nécessaire à la liquéfaction des matériaux. La composition de ces magmas (andésitiques) est assez proche de celle de la croûte continentale mais par contre assez différente et plus diversifiée que ceux qui activent les dorsales océaniques ou les points chauds (basaltes). À petite échelle, la nature de ces magmas, riches en silice, visqueux et peu propices au dégazage, est responsable du caractère explosif dominant de l’activité volcanique dans l’archipel. Localement, dans les arcs proprement insulaires, ou dans certaines phases éruptives, des laves plus basiques et un dynamisme plus effusif peuvent apparaître, contribuant à diversifier la gamme des manifestations éruptives. À l’intérieur d’un même arc, le taux de production de magma (qui conditionne la fréquence des éruptions) et sa composition peuvent varier125.

À l’échelle du Tôhoku, Tamura Yoshihiko (2002, 2003) a proposé une théorie des « doigts chauds », hot fingers, pour expliquer à la fois le regroupement des volcans en sous-ensembles transversaux et les nuances de compositions chimiques des laves en long et en travers de l’arc. Cette hypothèse rend compte de l’existence, à l’intérieur du front volcanique, de portions sans volcanisme actif, de l’absence de basalte ou de leur composition variable (figure 2-2).

Figure 2-2 – Des « doigts chauds » mantelliques expliquant la répartition régionale des volcans et la nature des laves
Figure 2-2 – Des « doigts chauds » mantelliques expliquant la répartition régionale des volcans et la nature des laves

C’est cette diversité qui est à l’origine du débat sur la consistance de la notion d’ « arc » ou de « ceinture » volcanique, largement employée pour décrire la répartition du volcanisme japonais, organisé en alignements courbes. Les volcanologues nippons relèguent de plus en plus le concept, et préfèrent insister aujourd’hui sur la variété des laves et les dynamismes éruptifs observés126, privilégiant les effets de sites (caractéristiques morphologiques de chaque édifice volcanique, modalités du stockage magmatique, cristallisation fractionnée, mélanges de magma et contamination par l’encaissant) à ceux de situation (à petite échelle, l’alignement préférentiel en retrait des fosses de subduction, selon un tracé plus ou moins arqué).

Le stratovolcan est la forme type associée au volcanisme d’arc (Fuji-san, Asama-yama, Mihara-yama, Sakurajima, etc.). Il est constitué d’un empilement de pyroclastites et de laves, avant tout des andésites, parfois du basalte enrichi en silice (comme au Fuji-san et dans certaines îles d’Izu, Ô-shima, Miyake-jima ou Aoga-shima), et rarement de la dacite plus visqueuse (comme aux mont Usu et Unzen), voire de la rhyolite127. Des cônes de scories parasites ou des dômes de lave monogéniques peuvent leur être accolés, comme au mont Fuji, au mont Aso ou au mont Usu (Shôwa Shinzan). Le dôme est une forme caractéristique de la présence de lave visqueuse, qui s’épanche difficilement. Ces matériaux sont caractéristiques d’un arc mature ou « micro-continental », dont l’âge géologique a permis un épaississement conséquent de la croûte128, ce qui contribue à augmenter l’acidité des laves au détriment du basalte.

L’arrivée en surface du magma basaltique originel s’en trouve ralentie ; cela favorise une cristallisation fractionnée par refroidissement progressif, et s’accompagne d’une contamination variable par l’encaissant, deux facteurs d’évolution vers un magma plus acide et plus visqueux.

Les manifestations associées sont aussi très variées, avec un large éventail de phénomènes souvent violents, explosions et chutes de blocs et de cendres, nuées ardentes, coulées ou dômes de lave, émissions de gaz en grandes quantités. Des effondrements sectoriels peuvent se produire par ailleurs, causant des destructions très étendues surtout lorsqu’ils atteignent une côte et entraînent un tsunami.

Les interactions entre le volcanisme et les eaux de surface, précipitations intenses ou manteau neigeux, favorisent les lahars, pendant ou longtemps après l’éruption. Les produits éruptifs mal consolidés sont d’autant plus fréquemment remobilisés par des processus de surface que le climat est arrosé. En effet, le Japon fait partie des pays les plus humides de la zone tempérée, avec une moyenne annuelle de précipitations proche de 1 700 mm et des maxima pouvant atteindre 4 360 mm/an à Yaku-shima129. La position en façade orientale de la masse continentale eurasiatique rétrécit la bande tempérée en latitude ; les influences climatiques sont subtropicales au sud (Kyûshû) et subpolaires au nord (Hokkaidô). Les précipitations sont en outre concentrées dans le temps, en une saison humide estivale bimodale, avec le maximum secondaire de la mousson estivale (tsuyu ou bayu 梅雨, la « pluie des prunes ») et surtout les typhons 台風à l’automne, tandis que les rivages de la Mer du Japon connaissent des précipitations maximum sous forme neigeuse en hiver (ôyuki大雪), lorsqu’ils sont sous l’axe des perturbations du front polaire (Birot, 1970, 278-281).

En tout, cette diversité et cette brutalité des phénomènes ont des conséquences fondamentales sur la prédiction des éruptions et la prévention du risque.

Notes
124.

Cas et Wright (1987).

125.

Ibid.

126.

cf. forum de discussion de la société volcanologique japonaise, par exemple :
http://wwwsoc.nii.ac.jp/kazan/J/QA/sr/qa-670.html.

127.

Ces laves font partie de la même série magmatique calco-alcaline ; elles dérivent les unes des autres, du basalte le plus basique à la rhyolite la plus acide, par un processus de cristallisation fractionnée. Ces différentes laves se distinguent avant tout par leur teneur en silice : 45 à 52 % pour le basalte 玄武岩, 57 à 63 % pour l’andésite 安山岩, 63 à 70 % pour la dacite デイサイトet plus de 70 % pour la rhyolite 流紋岩. Chester (1993) p. 40, 47, Cas & Wright (1987), p. 457 sq.

128.

Ibidem.

129.

Toutes les données climatiques viennent du Kishôchô ; les moyennes sont calculées pour la période 1971-2000.