Les éruptions peuvent être prévues grâce à un certain nombre de précurseurs. Ces signes avant-coureurs sont plus ou moins clairs, et précèdent l’éruption avec plus ou moins de délai. Les reprises d’activité du Mt Usu apparaissent à cet égard particulièrement « faciles » à pronostiquer, puisque l’expérience (archives et crises récentes) a prouvé qu’une éruption était systématiquement précédée pendant quelques jours ou quelques semaines de séismes d’origine volcanique, marquant l’ascension vers la surface d’un magma particulièrement visqueux. D’une façon plus générale, les séismes ou trémors accompagnent fréquemment les prémices et le déroulement d’une éruption, qui survient rarement « sans prévenir ».
Le problème principal réside dans les suites de ses précurseurs, faciles à détecter avec l’appareillage et les connaissances actuels, mais qui ne débouchent pas nécessairement sur une éruption, comme se fut le cas au mont Iwate en 1998-99. Si on connaît bien les mécanismes éruptifs, on sait moins de choses sur les relations quantitatives entre les précurseurs et l’éruption, une connexion pourtant essentielle pour la prévention131. Les questions où, à partir de quand, à quelle intensité, pendant combien de temps exactement, sont essentielles pour une évacuation. Bien souvent elles restent sans réponse précise avant le début de l’éruption, dont le style peut, en outre, évoluer au cours du temps, entre deux éruptions ou même pendant un seul épisode.
Le cas de Miyake-jima est assez symptomatique des contingences qui règnent durant une crise éruptive. L’île fait partie d’un arc océanique alimenté par un magma directement issu du manteau, à travers une croûte océanique mince et dense. Le dynamisme associé est de type strombolien (explosions modérées, coulées de basaltes). Le dégazage intempestif et continu depuis 2000, complètement inattendu, a laissé perplexe les experts comme les autorités, qui ont laissé passer plusieurs années avant de se résoudre à lever la consigne d’évacuation pour l’ensemble de la population, alors que les émissions de dérivés du soufre se poursuivent toujours à des taux élevés. Dans le cas de cette île proche de Tôkyô, et pour les deux dernières éruptions (1983, 2000), d’autres facteurs d’ordres politiques peuvent aussi être invoqués pour expliquer la décision officielle d’évacuer, qui précède nécessairement la question du retour. La petite île dans l’orbite de la capitale est de taille à constituer un emblème de la relation du centre à ses périphéries132.
De nombreux autres exemples viennent attester que la situation locale peut venir nuancer voire contredire les explications régionales. Au large d’Iriomote, un volcan sous marin supposé doté d’un dynamisme effusif a connu l’une des plus volumineuses éruptions historique du Japon en 1924 ; elle a éjecté 1 km3 de ponces rhyolitiques (lave riche en silice qui provient d’une différentiation du magma basaltique originaire du manteau)133
Nombreux sont les volcanologues, dans la nécessité de prononcer un avis d’expert sur le comportement d’un volcan actif, qui sont confrontés au décalage entre les avancées de leurs connaissances sur les mécanismes éruptifs au sens large, et l’impossibilité de prédire, à un pas de temps opérationnel, les développements d’une éruption particulière. Quels phénomènes, quand et ou exactement, pendant combien de temps, sont des questions cruciales mais auxquelles il est malaisé de répondre. Tazieff a beaucoup insisté sur la modestie nécessaire et les lacunes de la science – avant même d’avoir été partie prenante dans « l’affaire » de la Soufrière de la Guadeloupe :
‘« Sauf pour les rarissimes volcans équipés d’un réseau d’instruments suffisamment complet et élaboré qui permette de les ausculter en permanence, l’on ne peut jamais émettre, au sujet du déclenchement d’une éruption et surtout de son déroulement, de son intensité, de son rythme et de sa durée, que des opinions subjectives […] » Tazieff (1974), p. 95-96.’Une des difficultés – qui reste encore l’une des frontières de la volcanologie, est de bien connaître ce qui se passe dans la croûte :
‘« Le magma qui alimente un volcan varie avec le temps, fort peu parfois sur des durées se comptant par millénaires, parfois beaucoup et très rapidement : jusque dans le cours même d’une éruption il lui arrive de changer radicalement de nature, chimique et minéralogique. Or cette nature conditionne l’explosivité, et la connaissance des variations successives du magma est par conséquent nécessaire à la prévision de ce qui se passera la prochaine fois ». Ibid. p. 93.’Vingt ans plus tard, la science a peu avancé en la matière :
‘« La production de magma est compliquée, beaucoup débattue et pas complètement comprise » Chester (1993) p. 42.’En outre, le système volcanique se transforme à chaque éruption, ce qui complique la protection. Au Tokachi-dake, par exemple, ou de nombreux ravins prennent naissance sur les flancs du volcan, une éruption peut métamorphoser les bassins de réception torrentiels et la disposition des chenaux existants. Le système de protection colossal qui a été édifié plus en aval contre les écoulements de type lahar deviendrait caduque. Les aléas évoqués dans les paragraphes précédents une fois éteints, d’autres dangers peuvent les relayer. La texture des produits volcaniques, mal consolidés et instables, le maintien de circulations géothermales au fort pouvoir corrosif, ajoutés à l’occurrence d’un séisme ou de fortes pluies, peuvent donner lieu à des mouvements de terrain plusieurs siècles après la dernière éruption.
L’accumulation d’expériences et de données est la clef d’une meilleure compréhension du fonctionnement éruptif. Les débats qui touchent à la géodynamique de l’archipel reflètent la complexité du carrefour tectonique qu’il représente. Faute d’accès direct, les mesures de sismicité ou de déplacement doivent s’accommoder de modélisations théoriques, et d’explications qui sont souvent partielles, temporaires, locales. On doit relativiser ces incertitudes à l’aune d’aléas géologiques autrement plus imprévisibles, ceux qui peuvent générer les séismes et les tsunamis, et pour lesquels la fenêtre de prédiction (un peu meilleure dans le cas des tsunamis) se compte en instants.
Hatori et al. (1977), p. 108.
Pelletier (1990), Perrin (2008). Voir Chapitre Huit III 3.
Siebert & Simkin (2002 - ).