Durant les dernières décennies, plusieurs éruptions importantes au Japon ont permis à la volcanologie de progresser, tout en fournissant des leçons substantielles en matière de prévention et d’évacuation. Ces épisodes fournissent aussi un matériau irremplaçable pour analyser comment le risque « imprègne », pour reprendre l’expression de V. November, le territoire de l’archipel. Cette imprégnation se traduit à la fois dans le paysage par des aménagements de grande ampleur, sur les cartes – modèles réduits du terrain – mais aussi dans le fonctionnement même de la société, en matière de gestion (et d’impasses de gestion) du risque. C’est ce que propose d’analyser cette deuxième partie.
Le meilleur exemple du rôle que détient le risque volcanique en matière d’adaptation sociale et territoriale est sans doute le mont Fuji. Son étude est l’un des piliers des chapitres qui suivent, moins parce qu’il est un emblème du pays187 que parce qu’il constitue un cas unique de « surgestion », en raison de la disproportion entre la durée de son assoupissement – trois cents ans se sont écoulés depuis a dernière éruption ! – et l’ampleur du programme d’évacuation dont il a fait l’objet entre 2001 et 2005. Il démontre encore, si besoin était, que face aux catastrophes volcaniques qui se répètent en un lieu ou un autre de l’archipel, les Japonais n’ont pas de fatalisme, ni de passivité, bien au contraire. Le risque, issu d’un aléa majeur mais d’une vulnérabilité modérée à l’échelle nationale, a suscité un ensemble de réponses qui semblent étalonnées sur sa composante maximale, celle du pire.
Ainsi, prédire, prévenir, protéger, sont les trois modes d’action mis en œuvre pour délimiter et circonscrire le danger d’éruption, pour en atténuer les effets, sinon l’éviter et le contrôler…
Au Japon, la volcanologie compte quelques uns des pionniers de la discipline. Elle ressemble par ses méthodes d’investigation et le perfectionnement de ses équipements à celle d’autres pays développés, comme les Etats-Unis ou l’Italie. Le cas japonais présente en revanche deux traits originaux en matière de gestion du risque : la représentation cartographique et la protection des espaces en aval des volcans actifs par des aménagements de grande ampleur, les ouvrages sabô.
La cartographie, dont les réalisations le contenu et les limites sont abordées dans le chapitre suivant, préfigure un rapport particulier à la notion même de risque. Bien que la représentation cartographique des menaces et des espaces exposés soit fondée, en théorie, sur leur délimitation et leur zonage, les Japonais ont choisi des moyens quelque peu différents pour afficher la localisation du danger, et les cartes des volcans actifs et de leur activité potentielle méritent une place à part dans l’analyse de la prévention.
La protection, quant à elle, semble ignorer le contexte régional, comme elle ignore la transformation de la vulnérabilité avec le temps : tous les volcans ou presque, des plus peuplés aux plus reculés, et depuis plusieurs décennies au moins, sans discontinuer ni montrer de réel infléchissement, sont bardés à un degré ou un autre de barrages, digues, fascines et autres constructions qui visent à contrer le mouvement naturel des formations superficielles. Je montrerai dans le chapitre cinq comment les processus d’érosion à l’œuvre sur les pentes des volcans actifs ont donné lieu à la construction de dispositifs extrêmement sophistiqués. Ils sont à la hauteur des phénomènes volcaniques et de leurs dérivés, tout en remplissant une fonction de protection sociale qui dépasse largement le cadre de la gestion du risque lui-même.
Enfin, parce que le rapport entre le risque et le territoire s’inscrit non seulement dans l’espace multiscalaire du danger, mais aussi à différents pas de temps, le sixième chapitre, dernier de cette partie, met l’accent sur le rapport temporel qui existe entre les catastrophes et les mesures de mitigation, depuis la prévision et les acteurs de la surveillance des volcans actifs, notamment l’emblématique Kishôchô, jusqu’à la diffusion de l’information préventive, en passant par les leçons, mais aussi les impasses de la gestion du risque.
Cette proposition, qui n’est sans doute pas totalement étrangère à ce statut particulier de « modèle de gestion », sera discutée dans la troisième partie, chapitre sept p. (p. 232 sq)