Chapitre quatre : Une cartographie du risque qui élude le zonage

Face au volcanisme, prédictible mais incontrôlable, l’évacuation en cas de crise est un compromis temporaire souvent indispensable entre l’occupation à tout prix et l’abandon définitif des lieux exposés, deux positions pareillement irréalistes. La préparation de ce déplacement de population, qui s’effectue le plus souvent de manière massive et en un temps réduit, confère un rôle fondamental à la cartographie, outil d’information et de gestion efficace pour atténuer la vulnérabilité des populations menacées.

La carte transcrit en deux, voire en trois (modèles numériques de terrain) et même en quatre dimensions (cartographie animée), les territoires du risque volcanique. Outil incontournable de la prévention, la cartographie du risque prend une forme particulière au Japon. Les cartes qui traitent des éruptions potentielles ne sont pas véritablement des « cartes de risque ». D’ailleurs elles ne s’appellent pas ainsi. La multiplicité de leurs intitulés, loin d’être anecdotique, fera l’objet du premier paragraphe de ce chapitre.

Dans sa thèse sur l’amélioration de la lisibilité des cartes de risque, Elizabeth Chesneau recense les usages habituels de ce type de cartes188 :

  • des cartes d’expertises, ou cartes d’aléa, présentent l’état de la connaissance des phénomènes en jeu. Leur rôle est de faire l’inventaire des aléas avec le plus d’exactitude et d’exhaustivité possible ;
  • des cartes d’action ou d’aide à la décision d’échelle variable servent à l’aménagement ou à la gestion de crise. Destinées aux acteurs de la prévention et de la sécurité civile, elles ont une portée opérationnelle. Elles déterminent un zonage de l’espace en fonction de niveaux de risque, ou bien indiquent les lieux et les réseaux nécessaires à l’organisation des secours.
  • des cartes de contrôle – en France, cartes de Plan de Prévention des Risque (PPR) 189, ont valeur réglementaire en matière d’occupation des sols et sont annexées aux Plans Locaux d’Urbanisme (PLU). Leur élaboration est délicate à double titre, d’abord en raison des incertitudes du zonage à grande échelle, et ensuite à cause des conflits d’intérêts pouvant exister sur le terrain. Elles sont donc moins une transcription de la carte d’expertise qu’un compromis entre des données techniques et des données sociales.
  • des cartes d’information, enfin, ont une valeur préventive. Leur but est de sensibiliser les riverains au danger et d’améliorer leur connaissance du risque.

Au Japon, des cartes d’aléa au sens strict, cartes modélisant les manifestations éruptives possibles, sont établies par les volcanologues. Les municipalités –échelon où s’élabore la prévention et la gestion de crise, sont aussi dotées de documents opérationnels destinés à organiser une évacuation si nécessaire. Les cartes concernant les volcans actifs qui sont conçues et diffusées à leurs abords ont avant tout une portée informative. Elles présentent les aléas potentiels à partir des événements historiques connus et donnent tous les renseignements pratiques nécessaires sur la conduite à tenir en cas d’éruption, afin d’optimiser l’évacuation190.

Par contre, et c’est la principale originalité de la représentation cartographique du risque au Japon, il n’existe pas de cartographie permettant d’associer la prévention à la régulation de l’affectation et de l’usage du sol à proximité des zones de danger, comme le proposent les cartes de PPR, les prescriptions et le fond Barnier associés. Pour D’Ercole (2002), qui loue les mesures de contrôle de l’érosion par les barrages sabô, les aménagements de proximité pour l’évacuation ou les efforts locaux conduits en matière d’information et d’éducation, cette absence de zonage préventif est un point faible de la gestion du risque au Japon. Le seul projet s’en approchant (autour du mont Usu, dont les éruptions sont récurrentes) a finalement avorté, tandis que l’une des dernières cartes de risque publiées, celle du mont Fuji, est toujours destinée à la gestion de crise plutôt qu’à l’aménagement préventif.

L’interprétation du statut et du rôle des cartes de risque au Japon se heurte à une première difficulté, la dénomination même de ces cartes et l’identification de leur objet. Ce chapitre veut rendre explicite leur nomenclature, présenter leur richesse, et montrer quelle est l’orientation récente de la mise en espace du risque, qui, sans refuser la territorialisation du danger, l’envisage de façon inédite.

Notes
188.

Chesneau (2006), p. 36 sqq.

189.

Garry (1997).

190.

La liste de ces cartes, qui concernent pour le moment une trentaine de sites, est publiée sur Internet accompagnée d’une version numérisée de chacune d’entre elles. Le corpus est hébergé dans le site bilingue de l’Institut de Recherche National pour les Sciences de la Terre et la Prévention des Désastres (NIED) : http://www.bosai.go.jp/library/v-hazard/index_eng.html.