I. L’absence de zonage coercitif, un élément essentiel du système

1. Nommer les « cartes de risques » japonaises.

Tout comme la notion de « risque » est difficilement traduisible, celle de « carte de risque » ne fait pas non plus l’objet d’un consensus ni d’une norme univoque. Il faut revenir sur la question de la signification ambiguë de saigai災害, signalée en introduction (p.28). L’expression attendue en japonais pour traduire « carte de risque » pourrait être saigai (risque) chizu (carte), mais elle est inusitée.

Certaines cartes s’intitulent saigai kiken kuiki yosoku zu, « carte de prévision des zones de danger et de risque, ou des zones à danger de saigai », une dénomination qui a la faveur des éditeurs pour son caractère explicite, les idéogrammes eux-mêmes étant porteurs de sens. Kiken危険traduit de façon claire le danger, un péril ou un risque encouru, mais peut tout autant signaler les « obstacles » sur un parcours de golf. Saigai porterait une nuance d’endommagement plus concret : sai (lecture sino-japonaise de wazawai) 災désigne « le malheur, la calamité », renforcé par gai害, qui signifie « le dommage, le préjudice, le mal » (ce qui est nuisible). Saigai chizu pourrait désigner une « carte d’endommagement potentiel » ou « carte des dommages prévisibles » ; En ce sens saigai correspond au risque : il s’agit d’un dommage imaginé, représenté.

Il existe bien un verbe japonais pour désigner la conduite à risque : okasu冒す « se risquer, s’exposer, faire face ». Ainsi, kiken wo okasu危険を冒す peut être traduit par « s’exposer/braver le danger » ; b ôken冒険, qui désigne aussi le risque au sens aventureux du terme, n’est pas sans rappeler l’étymologie occidentale de « risque » aux premiers temps des traversées au long cours. Ecrit avec d’autres kanji, okasu prend la nuance d’enfreindre, de transgresser, d’envahir. Bien que la notion soit porteuse d’une dimension territoriale, dans le sens où elle fait référence au franchissement d’un seuil ou d’une limite, elle n’apparait jamais dans le champ lexical du risque volcanique ni de sa prévention.

L’expression la plus courante qui désigne les « cartes de risques », de signification un peu différente, reste bôsai mappu, bôsai防災signifiant « prévenir, contrer les saigai », au sens de se défendre pour les empêcher. Etymologiquement, il s’agit d’endiguer les dommages : tsutsumi, l’une des lectures purement japonaise du kanji 防, signifie en effet « la digue ». Depuis une dizaine d’année, peut être sous l’influence de la dilatation du champ de recherche sur les risques et de la diffusion de la littérature occidentale sur ce sujet au Japon, on rencontre dans les textes de vulgarisation le néologisme gensai減災, qui signifie « réduction des calamités », « mitigation des catastrophes »191. Il n’est jamais associé aux cartes, à ma connaissance.

Par contre, les cartes sont parfois désignées par l’anglicisme hazâdo mappu (« hazard map »), là encore sous l’influence de la mondialisation de la réflexion sur les risques et la prévention des catastrophes. Dénuée d’idéogramme, l’expression est probablement peu compréhensible pour le Japonais moyen. Hazâdo se substitue à kiken, et introduit une nouvelle source de confusion.L’anglais hazard, employé sans toujours de distinction avec risk pour signaler ce qui peut causer dommage dans la langue courante192, correspondrait plutôt à l’aléa, ce qui ajoute encore de la polysémie à la notion de carte de risque. Cet emprunt à l’anglais semble récent : il n’apparaît par exemple qu’en 1998 pour la carte du Komaga-take, révisée très régulièrement (carte 4-1). Pour ne rien arranger, risk (risukuリスク) est aussi apparu dans le lexique japonais mais ni dans le contexte volcanique, ni avec le sens attendu. Dans un rapport du Kishôchô daté de 2007193, ce terme est employé pour la cartographie des épisodes météorologiques extrêmes ou anormaux (ijô kishô risuku mappu異常気象リスクマップ)… C'est-à-dire que risuku est employé pour désigner seulement un aléa climatique.

Le tableau suivant (4-1) présente la variété de cette nomenclature et la part représentée par chacune des expressions.

Tableau 4-1 – Typologie des cartes de risques
Terme employé Transcription japonaise Traduction et emploi (1983 – 2005)
S aigai chizu 災害地図 « carte de risque », traduction littérale inusitée.
Saigai kiken kuiki yosoku zu 災害危険区域予測図 « carte de prévision des zones de danger et de risque », utilisé pour six cartes sur trente-quatre.
B ôsai mappu 防災マップ « carte de prévention des saigai » utilisé pour deux tiers des cartes publiées
Hazâdo mappu ハザードマップ importé de l’anglais hazard map, utilisé quasi systématiquement en complément d'une des deux appellations précédentes, dans six cartes publiées après 1998
Risk mappu リスクマップ risk map, « carte de risque ». Néologisme inusité en matière de risque volcanique.
Carte 4-1 – Principales transformations de la carte de risque du Komaga-take (dans le sens de lecture et avec la même échelle de réduction : 1986, 1989, 1992, 1995 et 1998)
Carte 4-1 – Principales transformations de la carte de risque du Komaga-take (dans le sens de lecture et avec la même échelle de réduction : 1986, 1989, 1992, 1995 et 1998)

Notes
191.

Voir par exemple http://www.bousai.go.jp/km/gst/index.html, page du Naikakufu (ministère de l’Intérieur) ou http://www.soc.nii.ac.jp/kazan/J/koukai/99/aramaki.html, conférence présentée par le volcanologue Aramaki Shigeo pour la société volcanologique japonaise en 1999.

192.

Oxford advanced learner’s dictionary, Oxford Univ. Press, 2000.

193.

http://www.data.kishou.go.jp/climate/riskmap/riskmap18.pdf