La méthodologie japonaise de cartographie de l’aléa et du risque, théorisée précocement et renouvelée récemment, est un modèle à plusieurs titres, notamment par sa diversité thématique et l’attention toute particulière portée à l’information des riverains. En théorie au moins, elle individualise et distingue au départ des cartes destinées aux administrateurs et des cartes pour le public. En pratique, pas plus les premières que les secondes ne posent de réelles conditions d’aménagement, et elles montrent bien les ambiguïtés de la prévention.
La cartographie de l’aléa, fondée sur les événements historiques et la géologie, est pratiquée par les volcanologues au Japon depuis une trentaine d’années – comme aux États-Unis, en France, en Italie ou en Indonésie. Elle s’est traduite par des types de cartes d’aléas aussi variés que les processus éruptifs en jeu, à grande ou moyenne échelle (du 25 000e au 75 000e). Les cartes de risques spécifiquement destinées à la gestion de crise sont apparues beaucoup plus récemment.
La première carte destinée à la prévention du risque volcanique est publiée en 1983 pour le Komaga-take. Elle est élaborée sous l’impulsion du volcanologue Katsui Yoshio, qui vient de participer à la gestion de l’éruption du mont Usu en 1977-78. Volcan de rang A situé à Hokkaidô, dans un contexte rural éloigné de ce que suggèrent l’effondrement des immeubles dessinés sous le titre de l’édition de 1986 (carte 4-1), le Komaga-take a fait l’objet de publications récurrentes d’un conseil local ad hoc réunissant les cinq collectivités locales impliquées. Les premiers posters, au format A3, s’intitulent « Prenez vos précautions contre une éruption du Komaga-take194 ». Ils regroupent les informations pratiques nécessaires en cas d’évacuation. Mises en regard, les éditions successives montrent bien comment ont évolué les cartes de risque pendant les vingt dernières années.
La carte elle-même, de conception très basique, apparaît seulement à partir de la troisième édition (1986), et occupe une place très limitée. Elle individualise simplement trois zones de danger en fonction de la proximité du sommet (moins de 7 km, de 7 à 11 km, au delà). En 1992, pour la cinquième édition, une carte de grand format au 50 000e, avec estompage, vient la compléter (partie centrale de la carte 4-1), et préciser les différents aléas sur les flancs du volcan (chutes de projectiles, coulées pyroclastiques et lahars). À partir de 1995 (sixième édition), la cartographie, intégrée dans un manuel de prévention (bôsai hand book防災ハンドブック, 16 p.) prend une ampleur conséquente. En 1998 dans une huitième édition qui atteint vingt pages, la polychromie et l’apparition de l’anglicisme « hazard map » donnent une tonalité plus moderne à un document dont les grandes lignes varient peu sinon. La neuvième édition du livret, dernière en date, est publiée en 2002. Depuis, les mises à jour et les compléments d’information sont édités sous forme de CD-ROM (2004, 2005).
Parallèlement, alors que la polémique liée à la catastrophe du Nevado del Ruiz en Colombie met en cause l’utilité des cartes de risque en l’absence de concertation avec les autorités locales195, Katsui participe à l’élaboration de cartes d’évacuation partielles pour les deux municipalités riveraines du volcan le Tokachi-dake, Kamifurano en 1986 et Biei en 1987. Les échos et les relais manifestes entre une catastrophe et le développement des cartes pourrait être étendu à l’ensemble des contre mesures ; cette connexion sera évoquée plus en détail dans le chapitre six (p. 195).
En 1988, Kamô Kosuke 加茂幸介, volcanologue à l’observatoire du Sakurajima, déclarait encore :
‘« La préparation de cartes de zonation des aléas volcaniques et la planification de l’usage du sol limitant le développement dans les secteurs à haut risque volcanique […] sont corrélés, et ont besoin d’être repensés […] Le Japon est loin derrière le reste du monde en matière de cartes d’aléas ou de cartes de risque (pas seulement dans le domaine des catastrophes volcaniques). Il me semble que la difficulté ne réside pas dans la fabrication de ces cartes, mais plutôt dans la publication de l’information préventive »196. ’Le retard pourrait se combler lorsqu’en 1992, est publié un guide national détaillé, partiellement traduit en anglais, en guise de cahier des charges pour la préparation de volcanic hazard maps 197 par le Kokudochô, secrétariat d’État au Territoire. Cet organisme de création récente (1972) apparaît après la loi de 1968, qui pose un premier cadre législatif avec un zonage fort au moins pour les grandes villes. Il a été intégré au MLIT depuis 2001.
Le guide est issu de la conception de carte pilotes (Asama-yama, Fuji, Tarumae-zan, Sakurajima). Il est achevé alors que l’Unzen entre en éruption. La carte de risque réalisée à l’occasion par la section sabô du ministère de la Construction198en juin 1991 fut la première à avoir été utilisée directement pendant une crise volcanique199. Le guide pointe la nécessité d’une meilleure évaluation du danger, d’une mise en place de plans de prévention adéquats, d’une amélioration de la conscience du risque des résidents. Il évoque aussi explicitement le besoin de recommandations, sinon de directions, pour un usage du sol approprié (p.1).
Pourtant ces recommandations sont rapidement tombées en désuétude, les cartes existantes étant plutôt réalisées successivement en s’inspirant les unes des autres, de façon empirique, ou à partir de critiques des usagers. Ainsi, le volcanologue Okada Hiromu m’a confié que les enquêtes conduites auprès de ses étudiants pour évaluer la lisibilité de la carte de risque du mont Usu (publiée en 1995), ont contribué à en transformer la maquette. Le format, notamment, à été réduit à une taille A3 (contre un dépliant A0 au préalable) pour en faire un document facile à afficher à domicile, dans une entrée ou une cuisine par exemple.
Il existe trente-huit cartes de risque pour tout le Japon200, sur un total de 108 volcans actifs recensés. Ces cartes accordent une place souvent importante aux éruptions passées, et les scénarios retenus prennent en compte la topographie et des conditions de vent – ces deux paramètres étant déterminants pour une activité qui se résume, pour l’essentiel, à des écoulements et des projections. La plupart des cartes partagent aussi les points communs suivants : elles ne constituent qu’une portion de l’information proposée, qui est souvent constituée d’autres éléments pouvant occuper l’essentiel de la mise en page et déboucher sur un véritable livret (manuel). Ces informations pratiques incluent des consignes pour l’évacuation (conduite à tenir, lieux, numéros utiles, liste des biens de première nécessité à emporter avec soi), des données de vulgarisation sur les processus éruptifs attendus, des rappels sur les éruptions passées.
Ces données s’appuient sur une mémoire collective souvent vivante en raison de la récurrence des éruptions. L’iconographie en couleur est riche de croquis, de photos plus récemment ; son ton pédagogique est assuré par des dessins de style manga, usuels au Japon201, et des rubriques explicatives détaillées (FAQ, lexique volcanologique).
Cinq d’entre elles, dont celles des touristiques abords du mont Fuji et de la région voisine d’Hakone, présentent aussi les bienfaits quotidiens et la beauté des sites offerts par les volcans. Rares sont celles par contre qui proposent une version bilingue pour les visiteurs étrangers (seulement pour le Meakan-dake et le mont Usu, à Hokkaidô). Celle du mont Fuji a été traduite : elle est accessible sur le site de la ville de Fujiyoshida (département de Yamanashi) depuis 2006202, avec la liste du matériel de première nécessité à réunir, les consignes de sécurité, etc. Elle est sensiblement différente des cartes publiées en japonais à partir de 2003, parce qu’elle est destinée en priorité aux touristes. Elle n’a pas encore d’équivalent dans le département de Shizuoka, moins « concerné » par le tourisme puisque la plupart des randonneurs partent de l’entrée orientale du mont Fuji.
En revanche, les périmètres et les limites indiquées dans ces scénarios éruptifs n’incluent pas d’informations sur la communauté exposée au risque en dehors d’un fond de carte topographique éventuel. Les densités démographiques, les enjeux, données quantifiables sur lesquelles portent plusieurs recherches contemporaines en France par exemple, ne sont pas exprimées explicitement.
Malgré les intentions de principe du guide national, les contradictions locales sont loin d’être résolues et les résistances à l’affichage concret du risque perdurent. Pour les riverains, Neta ko wo okosuna 寝た子を起こすな, « On ne réveille pas un bébé qui dort »… Afficher le risque reste considéré comme un tabou, parce que cette précaution pourrait tarir la manne touristique. Les exemples du projet de zonage au mont Usu et de la carte de risque du mont Fuji tendent en tout cas à le prouver.
Komaga-take no kazan funka ni sonaete駒ケ岳の火山噴火にそなえて.
L’éruption du 13/XI/1985 fait fondre la calotte de glace et génère un lahar qui ensevelit la ville d’Armero, cinquante kilomètres en aval. Le traumatisme vient du nombre de victimes, qui dépasse 20 000, autant que la désunion entre l’exactitude du scénario prévu par les volcanologues et l’absence de mesures prises pour mettre la population en sécurité.
Kamô (1988), p. 10
Suite aux éruptions d’Ô-shima (1986), du Tokachi-dake (1989) et de l’Unzen (1991). Kokudochô (1992). La version originale s’intitule Kazan funka saigai kiken kuiki yosoku zu sakusei shishin火山噴火 災害危険区域 予測図 作成指針, traduit en «Guideline for preparing volcanic hazard maps ».
Kensetsu-shô, sabô-bu建設省砂防部. Ce ministère est intégré dans le MLIT depuis 2001.
Tsukamoto (2003). La carte de l’Unzen, élaborée à Tôkyô, a été transmise à Shimabara après la catastrophe du 3 juin. Elle a été révisée huit fois, tout au long de l’éruption. La version destinée aux riverains a été éditée en 1993.
Au 1er juillet 2008, en comptant les variantes locales pour un même volcan, publiées indépendamment par des villes voisines.
Potter (2003) analyse en détail la fantaisie et les « embellissements » qui agrémentent les cartes de manière traditionnelle. On peut ajouter que les fioritures de style souvent naïf qui ornent les cartes ne sont pas une spécificité de ce type de document, mais se retrouvent de nombreux domaines de la vie courante au Japon (peluches dans les vitrines de banque, mascottes ubiquistes, « grigri » accrochés aux téléphones mobiles, etc.) Elles traduisent, sinon une sorte de tolérance à la « régression », du moins une certaine perméabilité entre univers enfantin dans et monde des adultes. Sur les cartes, l’usage extensif de dessins en tout genres, qui représentent tantôt des riverains en train d’évacuer, tantôt le volcan personnalisé, attestent que la représentation graphique tient une place essentielle dans la communication au Japon, sans doute en lien avec la forme pictographique de l’écriture japonaise.
http://www.city.fujiyoshida.yamanashi.jp/div/bosai/html/hazard_map/index.html.