II. Chacun sa part du dangô

Comment expliquer le choix manifeste de « La voie du béton » ? Les origines des sabô évoquées plus haut laissent penser que cette politique traduit une volonté de protéger à tout prix, face à une menace naturelle absolument non maîtrisable, dans le cas des éruptions.

Pour comprendre ce qui se passe pour les régions volcaniques, où une partie des aléas n’est pas différente de celle qui concerne les rivières, il convient de se pencher sur les rouages actuels du secteur des travaux publics au sens large, qui visent à « remodeler l’archipel238 ». Sans qu’il soit besoin de mobiliser le facteur culturel, il est manifeste qu’une logique d’aménagement et de maîtrise du territoire est à l’œuvre à travers la politique de protection, et qu’elle répond en outre à un enjeu socio-économique fort, en garantissant dans les zones rurales une source d’emploi et de subsides, en échange de soutien politique au parti libéral démocrate (PLD - Jimin-tô自民党, fondé en 1955), qui s’est maintenu au pouvoir presque sans discontinuer depuis l’après guerre. Si les phénomènes qui vont être décrits dans les paragraphes qui suivent ne sont pas propres au Japon, ils ont en tout cas acquis une ampleur sans précédent en raison même de la durée sur laquelle ils s’inscrivent, due à l’exceptionnelle stabilité du système politique en place.

« Les pouvoirs publics jouent souvent sur la corde de la peur pour faire avancer leurs agendas. Ainsi les fonctionnaires de la construction ont recensé dans l’archipel pas moins de 160 000 sites « dangereux »239 - un catalogue de pentes susceptibles de s’ébouler et de cours d’eau qui ont débordé une fois en un siècle, dont le principal intérêt est de justifier encore des dizaines d’années de bétonnage »240

Le risque est instrumentalisé comme un excellent argument pour faire tourner le secteur des travaux publics, encore mobilisé pour poursuivre le projet de poldérisation de la baie d’Isahaya (près de l’Unzen). Là-bas, une fois les terres dédaignées par les agriculteurs et la digue marine accusée de la disparition des algues, l’objectif affiché pour poursuivre malgré tout est désormais la protection anti-tsunami. Si l’argument du risque est ainsi mobilisé, c’est parce qu’il joue un rôle notable dans le fonctionnement des « systèmes » politiques de 1940 et de 1955, décrits dans cette partie, et rend le béton autant protecteur que « nourricier ».

Notes
238.

Pour reprendre l’expression du Premier Ministre Tanaka Kakuhei (cf. note p. 166).

239.

Kerr (2001).

240.

Bouissou (2003), p. 468.