Pour le volcanologue Aramaki, les sabô ne sont rien de moins que des « geologist killers » : il est devenu ardu de trouver des affleurements à étudier tant les versants ont été recouvert de béton. Non content d’en recouvrir copieusement les pentes ubiquistes de l’archipel nippon, le secteur du BTP a également trouvé des débouchés à l’étranger, où il exporte son modèle par l’entremise de la JICA (Japan International Cooperation Agency)243. Dans l’aire régionale asiatique et l’Amérique Latine, entre autres, des pentes des volcans et des lits majeurs sont aussi harnachés d’ouvrages de défense sabô, même si les techniques de construction locales ont peu à voir avec celles du Japon (Mayon aux Philippines, Semeru et Merapi en Indonésie, etc.).
Dans son ouvrage sur le « modèle japonais » et sa fin, Bouissou (2003) dresse du secteur de la construction un tableau peu flatteur. Les paragraphes qui vont suivre empruntent largement à son analyse, et les numéros de pages précédés des initiales de l’auteur (par exemple [JMB, p.41]) doivent être compris comme une citation de cet ouvrage.
Archaïque, caractérisé par la pléthore des effectifs et des filiales, sous productifs mais protégé par le patronage politique, la construction au Japon serait un secteur fort éloigné du modèle toyotiste tant vanté internationalement. Il existerait 580 000 entreprises de construction à travers tout le pays, soit 6,2 M d’emplois en 1992 (15 % des actifs) 244, ce qui fait de ces sociétés des « éponges à chômage », qui assurent une forme d’assurance sociale par le salaire. L’Etat intervient de manière protéiforme pour maintenir cette redistribution indirecte de revenus, qui compense la faiblesse des indemnités chômage. Cette logique, valable aussi pour l’agriculture et le petit commerce, semble prouver que le maintien de l’intégration sociale prime sur la rentabilité.
Alors qu’en Suisse, aussi bien équipée et tout aussi montagneuse que le Japon, le coût des travaux publics ne dépasse pas 3,5% du PIB, au Japon il engloutit le double.
‘« Bien plus que la terre, c’est le béton qui fait vivre les millions de foyers que la statistique officielle s’obstine à classer comme « ruraux » (nôka 農家) : les ¾ de leurs revenus proviennent de salaires, dont une bonne part est versée par les innombrables petites entreprises locales de BTP » [JMB p. 41].’D’ailleurs, « la véritable finalité des travaux publics » n’est pas ailleurs : « Par la masse énorme des capitaux qu’ils redistribuent presque sans considération d’utilité économique, par le nombre de leurs salariés et celui des emplois indirects qui s’en nourrissent, les travaux publics constituent une pièce essentielle du système PSIG245 » [JMB p. 42], dont « la finalité productive [est] seconde par rapport à la fonction sociale » [JMB p. 284].
Dans les ritô, cet état est manifeste. Si l’agriculture est là-bas sur représentée par rapport à la moyenne nationale (le triple en moyenne), le secteur de la construction représente aussi, en 2000, trois à quatre points de plus que la moyenne nationale (13-14% contre 10% des actifs246). À Aoga-shima, où il n’y a que deux supérettes, on recense trois sociétés de constructions différentes pour deux cents habitants. Comme à Satsuma Iô-jima et Suwanose, la construction est d’ailleurs la seule industrie présente.
En assurant la protection sociale et la redistribution des fruits de la croissance, le BTP a servi les intérêts de clientèles électorales qui ont maintenu le PLD au pouvoir. En effet, les entreprises de construction sont très liées à la classe politique. Si l’on ajoute que la comptabilité des entreprises est longtemps restée opaque, on comprend que celles-ci ont facilement pu soutenir l’activité politique, par ailleurs fort coûteuse, du parti.
Son nom vernaculaire est Kokusai kyôryoku kyoku, 国際協力機構. Cette organisation gouvernementale indépendante coordonne l’aide au développement officielle (ODA) du Japon.
En 2001, le secteur emploie toujours le même nombre d’actifs, même si en proportion la part à baissé (9,9%). Japan Almanach (2001).
La « protection sociale indirecte généralisée », expression utilisée par J.-M. Bouissou (2003) pour désigner les modalités de redistribution des ressources par l’Etat.
Données ritô sentâ (2004a) et Ritô tôkei nenpô (2003 – CD-ROM).