Chapitre six : Prévoir et prévenir

‘« Ce pays où science et techniques sont fort honorées, surpeuplé d’humains comme de volcans, est celui qui, au monde, fait l’effort le plus grand pour tenter de prévoir les éruptions. Organismes nationaux et universités y ont donc construit quantité d’observatoires et de stations de surveillance. À lui seul le Japon en compte trois ou quatre fois plus que tout le reste du monde […] Multiplicité cependant ne signifie pas forcément efficacité, surtout lorsqu’elle s’accompagne de rivalités, voire d’inimitiés entre institutions ou entre individus ».
Tazieff (1974), p. 113. ’

La prévision, basée sur la surveillance – la « veille volcanologique » en temps réel – s’appuie sur la connaissance des édifices volcaniques et de leurs éruptions passées, ainsi que sur l’observation des phénomènes et de leurs variations. En améliorant la compréhension fondamentale de l’aléa, l’objectif appliqué de la prévision est de contribuer à la fois à la gestion de crise en cas d’éruption, et, à l’échelle du temps plus long, d’aider à la mise en place de politiques préventives260. La prévention correspond à l’anticipation d’un aléa connu, pour en atténuer les effets destructeurs. Elle consiste d’abord en une diffusion d’informations, avant ou pendant la crise (sensibilisation et éducation, alerte et consignes évacuation). Elle conduit aussi à la mise en place de mesures réglementaires. Le risque n’étant pas un système fermé, l’implémentation des mesures de prévention ne répond pas exclusivement à un équilibre mathématique entre le coût estimé de l’endommagement redouté et le coût des mesures d’évitement décidées par la société – coûts par ailleurs fort difficiles à mesurer de manière absolue, et objets de controverses261. D’autres facteurs entrent en ligne de compte, par exemple des facteurs d’ordre plus psychologique, qui ravivent la volonté collective d’agir après une catastrophe, ou encore des facteurs d’ordre territorial qui imposent la négociation entre des intérêts concurrents.

Contrairement à la prévision de l’aléa volcanique, qui reste avant tout le fait d’acteurs spécialisés, experts dans le domaine de leurs observations et l’interprétation des données, la prévention devrait relever de la responsabilité de tous, chacun à son échelle. Dans les faits, au Japon, les organigrammes donnent à voir un système extrêmement centralisé et descendant. Les instances de l’État répercutent en cascade un certain nombre d’informations et de consignes jusqu’aux collectivités locales et aux riverains, vers qui toutes les flèches convergent (figure 6-1 et figure 1-3)).

Figure 6-1 – Le flux descendant des alertes volcaniques
Figure 6-1 – Le flux descendant des alertes volcaniques

Sources : http://www.jma.go.jp/jma/en/Activities/volcano_1.pdf.

L’objectif de ce chapitre est d’abord de présenter les principaux acteurs de la prévision, notamment le Kishôchô, ainsi que sa classification des aléas et des alertes associées. Le rapport temporel entre grandes catastrophes et temps forts de la prévention seront également explicités. La « pédagogie de la catastrophe » est réelle, puisque les éruptions – parfois d’autres types de catastrophes naturelles au Japon, parfois des catastrophes volcaniques dans d’autres pays – ont constitué un moteur dans l’évolution de la structuration institutionnelle et la mise en place de mesures préventives. Entrent dans cette logique temporelle les commémorations et les répétitions, en tant qu’elles recréent une catastrophe factice par l’évocation ou la simulation. Elles constituent un levier mobilisé pour pallier la faible durée de retour des événements réels. Cet effet d’entraînement a malgré tout des limites, qui peuvent aboutir à des impasses de gestion, lorsque le passé n’est pas la clé du futur. Parfois enfin la prévention devance la catastrophe et dépasse l’ampleur de l’aléa reconnu, aboutissant à une forme de « surgestion ». Le plan de prévention du mont Fuji servira d’exemple à ce cas de figure et conclura cette partie.

Notes
260.

Thouret (2002).

261.

Comme l’a bien montré Pigeon (2005), p. 150 sq.