1. Organisation et attributions du Kishôchô

Kishô, « phénomènes météorologiques », renvoie aux manifestations, shô 象, du « ki » 気, un idéogramme aux résonnances multiples dans le monde sinisé. Humeur, esprit, énergie, le ki est d’abord ce qui remplit l’espace entre terre et ciel, à la fois fondement et mouvement de l’univers264. D’où il découle que les phénomènes atmosphériques, le temps ou le climat, en sont une expression. Pour Pelletier265 c’est en écho à cette profondeur sémantique que la mission du Kishôchô, équivalent d’un secrétariat d’État à la météorologie, en est venue à dépasser largement le cadre de la seule prévision météorologique. La loi relative au service météorologique n’inclut rien de moins que « l’amélioration du bien-être public », et, plus concrètement, « la prévention et la mitigation des catastrophes naturelles »266.

La première station météorologique est mise en place en 1872 à Hakodate, au sud de Hokkaidô. Ce département, dans ce domaine aussi, joue le rôle de pionnier de l’archipel. Trois ans plus tard, la création d’une division au ministère de l’Intérieur fonde le Kishôchô. Le service « météorologique »267 inclut à partir de 1884 une surveillance sismique et volcanologique sur tout le territoire, par le biais de ses observatoires locaux. De 1887 à 1956, le service est rattaché au ministère de l’Éducation, avant d’être affecté au ministère des Transports (lui-même intégré dans le MLIT) sous son nom actuel. Un département indépendant d’observations sismologiques et volcanologiques est créé en 1984.

Les principales attributions du Kishôchô 268 dans le domaine de la gestion du risque volcanique sont la surveillance et la diffusion de l’information préventive (résultats d’observations, prévisions à court et moyen terme, alertes). Deux niveaux d’organisation régionaux transmettent données et informations. Une cinquantaine d’observatoires locaux269, au moins un par département, sert de relais vers les autorités locales et transmet, depuis 1978, les informations préventives aux préfets (chiji 知事).

Quatre observatoires météorologiques et centres de prévention régionaux270, représentants du Kishôchô, centralisent les données de ces observatoires locaux de façon systématique depuis 2002, date de création en leur sein de centres d’observation et d’information volcaniques. Ceux-ci s’occupent de la collecte en continu et du traitement des mesures transmises par les instruments de surveillance, et émettent des bulletins d’information au public le cas échéant.

La surveillance instrumentale de l’activité volcanique se subdivise en observations fixes, permanentes pour les vingt volcans de l’archipel les plus actifs, et en observations mobiles conduites périodiquement ou en cas d’alerte.

Les observations portent sur la sismicité (trémors volcaniques), les déformations du sol ainsi que les panaches et autres éjectas. Des équipes, ou des appareils télécommandés vont au besoin mesurer les variations thermiques, les émissions de gaz, le géomagnétisme.

Une section du centre de recherche du Kishôchô 271 conduit aussi des recherches fondamentales en sismologie et en volcanologie dans la banlieue de Tôkyô, à Tsukuba.

En 1974, la mise en place du premier plan quinquennal national pour la prévision et la prévention des éruptions272, s’accompagne de la création d’un Comité de Coordination pour la Prévision des Éruptions Volcaniques, le CCPVE273, dont le secrétariat est basé au quartier général du Kishôchô à Tôkyô. Les plans qui se poursuivent depuis fixent les axes et les sites prioritaires pour la recherche et la surveillance. Le comité, composé de trente membres, scientifiques employés dans des administrations diverses et universitaires, est un organisme de liaison entre les volcanologues et les instances du gouvernement central. Il se réunit en session ordinaire trois fois par an, compile les données d’observation et en fournit des rapports détaillés. En cas d’éruption, il fait office de PC de crise. L’ensemble des comptes-rendus de son activité sont accessibles sur le site du Kishôchô. En raison de l’éclatement institutionnel de la surveillance des volcans actifs (cf. paragraphe suivant), un organisme du type du CCPVE joue un rôle fondamental de cohésion et d’uniformisation des déclarations publiques de la communauté scientifique. Il n’est pas anodin que l’un de ses anciens présidents, Aramaki Shigeo, ait participé à la commission internationale d’experts réunie par le CNRS en 1976 pour régler « l’affaire » de la Soufrière de la Guadeloupe.

Pour mémoire, cette crise franco-française, qui portait sur la pertinence d’une évacuation lourde (73 000 résidents, pendant plusieurs semaines) alors que la Soufrière manifestait un réveil sismique et phréatique, n’était pas due à la divergence d’opinion entre les équipes de volcanologues (en l’occurrence, celle d’H. Tazieff et de C. Allègre). Ce type de divergence participe au processus de diagnostic scientifique, et reflète les inconnues qui résistent à la prévision des processus éruptifs, et rendent délicats son application opérationnelle. Cette crise, « anti-modèle » de la gestion réussie, s’expliquait plutôt par l’étalement public des divergences scientifiques, la diffusion anarchique de ces controverses par les médias et les écueils de la collaboration entre experts et autorités locales274.

Le CCPVE a donc le rôle essentiel mais délicat de diagnostiquer et d’évaluer l’activité volcanique. Le Kishôchô (JMA) en est le porte parole, et a le devoir de diffuser l’information concernant le niveau d’alerte, ce qui permet aux autorités et aux riverains de prendre les dispositions nécessaires en fonction du niveau d’activité et des prévisions établies. La réactivité de chacun des échelons conditionne largement le succès de l’évacuation si celle-ci s’avérait nécessaire : collecte des données par les observatoires, analyse et discussion des mesures au CCPVE, diffusion de la déclaration par JMA, mise en application des plans de prévention locaux et ordre d’évacuation éventuel. Un tel schéma a fonctionné de manière bien huilée en 2000 au mont Usu, mais aussi à Miyake-jima, compte tenu du manque d’expérience face à l’activité de dégazage, mal cernée jusqu’alors, et malgré les frictions ou les décalages observés tout au long du processus d’évacuation275.

À l’avenir le CCPVE n’est pas à l’abri d’une évaluation inadéquate de la situation éruptive. Si les précurseurs tournent court, comme à l’Iwate (Tôhoku) en 1999, les riverains s’en tireront avec une interruption temporaire de leur quotidien, plus ou moins pénalisante. Si l’activité ou la vitesse de sa montée en puissance est sous-estimée au contraire, et que les mesures nécessaires ne sont pas prises à temps, l’éruption peut tourner à la catastrophe.

Notes
264.

Kôjien (2002).

265.

Pelletier (2003), p. 165.

266.

Article premier du texte de loi. Sont aussi compris la sécurité des transports, la prospérité des industries et les activités de coopération internationale. Les informations relatives aux missions du Kishôchô proviennent principalement de son site internet : http://www.jma.go.jp/jma/indexe.html (version anglaise).

267.

À l’époque « observatoire météorologique de Tôkyô ».

268.

Les informations suivantes proviennent pour l’essentiel de la plaquette de présentation, Kishôchô (1988, 2003).

269.

Les chihô kishôdai, 地方気象台.

270.

Les kanku kishôdai 管区気象台 de Sapporo, Sendai, Tôkyô et Fukuoka. Cf. Carte 2-x. Les deux autres centres existant, Ôsaka et Naha, n’ont pas de section volcanologie.

271.

Le Kishô kenkyû sho気象研究所(Meteorological Research Institute), fondé en 1962 : http://www.mri-jma.go.jp.

272.

Ce plan suit la promulgation de la loi spéciale pour la prévention des éruptions (Katsudô kazan taisaku tokubetsu sochi h ô 活動火山対策特別措置法).

273.

K azan funka yochi renrakukai, 火山噴火予知連絡会. En 2008, il est composé de dix-huit universitaires (géosciences, environnement, prévention des risques) et douze membres des instances gouvernementales ou d’établissements publics à caractère administratif. Cf. sa page (en japonais) : http://www.seisvol.kishou.go.jp/tokyo/STOCK/kaisetsu/CCPVE/CCPVE01.html.

274.

Le lecteur curieux d’en savoir plus peut se reporter à l’excellente et richement documentée analyse rétrospective publiée en 2006 par François Beauducel, sismologue à l’institut de Physique du Globe de Paris (IPGP), directeur de l’observatoire volcanologique de la Guadeloupe : http://www.ipgp.jussieu.fr/~beaudu/soufriere/forum76.html#FB2006.

275.

Perrin (2008), p. 25 sqq.