Il convient de mentionner un troisième acteur institutionnel qui opère des observations des phénomènes volcaniques, même si cette veille peut être considérée comme indirecte puisque ce sont surtout les lahars qui en sont l’objet. Le bureau sabô a installé à proximité de la plupart de ses ouvrages de protection des appareils qui détectent et observent les écoulements. Câbles tendus en travers des lits amonts, caméras de surveillance, jauges, échantillonneurs et sondes pour mesurer la densité et la vitesse d’écoulement de la lave torrentielle forment un dispositif contrôlé à distance et complété par des observations ponctuelles. Une partie de ces recherches est destinée à la compréhension de la dynamique torrentielle, et surtout à l’amélioration de la résistance des structures, qui sont soumises à rude épreuve par la puissance érosive des lahars. Contrairement aux universités, qui seraient selon le volcanologue Aramaki Shigeo le parent pauvre de la recherche292, les programmes recherche appliquée au génie civil sont extrêmement bien dotés.
Ces aspects et d’autres, liés aux mouvements de terrain dans leur ensemble, sont au cœur des thématiques de recherche du Doboku kenkyûsho (土木研究所, « Public Work Research Institute »), un organisme de recherche publique, indépendant depuis la grande réforme administrative de 2001, mais longtemps sous la tutelle du MLIT. Il est composé d’environ deux cents employés, et doté d’un budget annuel de près de six millions de yens. Une grande partie de ces recherches est appliquée en génie civil, afin d’adapter les techniques, les ouvrages et les matériaux aux processus : tests d’engins de chantiers télécommandés, recherche de matériaux plus résistants à l’attrition, expérimentations de revégétalisation, etc. Une large partie des observations font l’objet d’une diffusion qui relève de la mise en scène, et forme un puissant outil de communication pour justifier le développement de la protection.
L’Association sabô est un organisme ad hoc chargé des publications, le Sabô publicity center 293 diffusent livres, plaquettes, CD-ROM, en japonais, souvent traduits en anglais, parfois en chinois et en coréen, ou encore en espagnol. On peut évoquer comme exemple le site internet du centre sabô international du Sakurajima294, entièrement bilingue et richement illustré, au contenu sérieux en dépit de la présentation un peu enfantine de la maquette. Ce souci pour l’étranger contraste violemment avec les autres types de sources, même ministérielles : en dehors des statistiques, les traductions, lorsqu’elles existent, sont fréquemment imparfaites, qu’elles soient erronées, simplifiées à outrance, ou limitées à un résumé lapidaire.
La figure 6-3 montre une pochette de CD-ROM où sont compilés des extraits vidéos présentant les types découlements torrentiels auxquels quelques départements sont confrontés, notamment Nagano, Shizuoka, ou encore Kagoshima (notamment les lahars du Sakurajima, sous surveillance vidéo permanente). La photo suivante (photo 6-1) est extraite d’un autre CD-ROM, remis par Okamoto Masao, directeur exécutif de l’association sabô. Elle montre un glissement de terrain d’environ 135 mètres de haut et 150 mètres de côté, qui se produisit dans la nuit du 16 au 17 mai 2006, dans le département de Gifu295, emportant environ 50 000 m3 de terre sur un pan de colline. Le glissement s’est déclenché pendant un épisode pluvieux. Il a été annoncé quelques semaines à l’avance par l’apparition de fissures dans une couverture de béton qui recouvrait une large portion du versant et protégeant la route en contrebas. Cette dernière a disparu, complètement ensevelie, après que le versant se fut effondré par décollements successifs. Le reste du CD est composé de plusieurs films de quelques minutes, tournés dans la nuit du glissement, puis le lendemain, au moment où l’effondrement reprend. Sur la bordure gauche du cliché on aperçoit de puissants projecteurs. Ils ont été installés à l’avance, et ont permis de saisir le mouvement de terrain sur le vif, en nocturne. Le film tourné « en direct » a été présenté comme un outil efficace pour la compréhension des phénomènes, lors d’une conférence internationale dédiée à la prévention296. Il est fort possible qu’une des causes de l’effondrement soit l’ouverture de la route et l’imperméabilisation d’une partie du versant lui-même.
Kamata Satoshi297, journaliste d’investigation, confirme cette démarche de « propagande », et évoque des cameramen embauchés pour filmer les catastrophes dès qu’elles se produisent. Selon lui, les sabô seraient pareils à une armée, qui, si elle ne se développe pas toujours, risquerait de perdre la guerre contre la catastrophe. Cette comparaison rappelle celle de l’historien Karel Van Wolferen, qui assimile le capitalisme d’État japonais, soucieux de contrôler l’archipel par des grands travaux, à « un capitalisme de guerre en temps de paix »298.
Source : Zenkoku chisui sabô kyôkai – Sabô kôhô sentâ (2004)
Source : Zenkoku chisui sabô kyôkai (CD-ROM, 2006)
Communication orale, 16/VII/2004.
Respectivement Zenkoku chisui sabô kyôkai et Sabô kôhô sentâ.
http://www.sivsc.jp/index.html.
Higashi Yokohama, bourg de Hibigawa (東横山, 揖斐川町, 岐阜県).
Fujisawa (2007), conférence de l’EGU - European Geosciences Union, à Lima.
鎌田 慧. Rencontré à Tôkyô le 17/V/2006.
Cité par Pelletier (2002).