b) Répéter et commémorer

La mobilisation collective joue un rôle important dans la prévention, pour éveiller ou entretenir la mémoire des catastrophes lorsque leur souvenir appartient aux générations précédentes. La commémoration locale des éruptions vise d’abord à apporter des connaissances factuelles. Elle donne lieu à diverses manifestations, expositions, conférences ou excursions sur le lieu de la catastrophe. Elle inclut fréquemment la répétition d’exercices d’évacuation destinés, tout comme un entraînement physique itératif, à ancrer des conduites préventives dans les comportements pour les rendre les plus naturelles possible. Il faudrait certainement discuter plus précisément du caractère « naturel » des comportements attendus, et de la portée d’une démarche qui veut (re)créer un réflexe de survie.

Au Tokachi-dake, pour se préparer au mieux, les habitants de Biei et Kami-furano font chaque année un exercice d’évacuation327 au cœur de l’hiver, en février. À Shirogane, cet exercice s’apparente à un parcours de santé, car il s’agit de grimper les 286 marches qui amènent, cinquante mètres en contre-haut de la station thermale, jusqu’à la plateforme où est construit le centre de prévention sabô de Takadai. Le centre est conçu pour accueillir la population résidente et les touristes potentiellement présents (environ trois cents personnes en tout, d’après la capacité des hôtels). Le dispositif est impressionnant, mais à cette distance du cratère, les riverains auraient au plus quelques minutes pour quitter le fond de vallée. Un délai bien court, même avec une alerte précoce, si l’on mesure le chemin à parcourir, temps de réaction inclus… Comme ailleurs, l’efficacité de ces équipements n’a pas été validée par un test grandeur « nature ».

Le 12 janvier, date anniversaire de l’éruption de 1914, est le jour d’évacuation annuelle de la presqu’île du Sakurajima, pour les écoliers comme pour l’ensemble des résidents. L’île peut être évacuée depuis vingt et un points d’accès différents, sous la houlette de la sécurité civile et des forces d’auto-défense. Cet exercice est devenu une habitude, au même titre que l’interférence quotidienne de l’activité du volcan, ou que le port des casques pour les enfants qui vont à l’école.

À Suwanose, la population, bien que réduite, a déjà conduit plusieurs fois ce type d’exercice. Les habitants (une soixantaine) sont répartis en groupes d’une douzaine de personnes, sous la responsabilité de deux d’entre eux. En 2004, trois quart ont participé à l’exercice. Il s’agit d’un simulacre d’évacuation vers des refuges sur l’île, puis son abandon en bateau. La journée dédiée à l’exercice consacre aussi une partie du regroupement à la présentation de l’activité volcanique et des points importants de l’évacuation (moyen de déplacement et route à suivre, conduites à tenir, etc.)328.

La portée et l’efficacité de ce type de pratiques et de commémorations ne peut s’envisager réellement que le jour de leur mise en application hors d’un contexte de simulation. Sans doute ces répétitions ne sont-elles pas qu’un simple folklore, et finissent par créer des automatismes qui viennent compléter l’instinct de survie en cas de catastrophe : une personne avertie et entraînée en vaut deux. Une enquête isolée, conduite dans l’enceinte de l’université de Chûô en juin 2003329, fait apparaître les étudiants interrogés comme peu touchés par ce type de démarche. 72 % d’entre eux n’ont pas à leur domicile debôsai goods防災グッズ, des biens de première nécessité et de premier secours préconisés en cas de séisme, lampe, couverture, radio portable, etc. Parmi ceux qui répondent à l’affirmative, la plupart ne range dans cette catégorie que l’eau et la nourriture. Enfin, bien que l’enquête ait été réalisée en 2003, à Tôkyô330, sept sur dix d’entre eux ignorent la date ou l’année du séisme de 1923, tandis que quelques pour cent seulement connaissent la date exacte du 1er septembre.

À côté de ces répétitions générales construites en grande pompe, la commémoration des éruptions peut aussi revêtir des allures plus brutes et individuelles, comme lorsque des sanctuaires de fortune sont édifiés sur les coulées, au sommet des dômes ou en bordure de cratère (cf. chapitre sept).

Notes
327.

Bôsai kunren防災訓練.

328.

Toshima mura 十島村 (2004).

329.

L’objet de ce travail était initialement un exercice de japonais et non une investigation de terrain. Elle n’a donc d’autre portée qu’illustrative, et ses résultats ne peuvent en aucun cas être généralisés. Les cent étudiants interrogés avaient entre dix-huit et vingt-cinq ans. La moitié étudiait sur le campus de Tama 多摩市, en banlieue, et l’autre moitié à Kôrakuen 後楽園, en plein centre de Tôkyô.

330.

Année de commémoration des quatre-vingt ans du séisme de 1923. L’anniversaire a donné lieu à une exposition au musée national des sciences de Tôkyô, entre le 1er août et le 26 octobre 2003, largement diffusée par voie d’affichage publicitaire.