Introduction générale

Le problème de la criminalité est actuellement au premier rang des préoccupations politiques dans presque tous les pays d’Occident, ceci en dépit du fait que le taux de criminalité y est vraisemblablement en recul depuis au moins une décennie1. En effet, la politique pénale est devenue de plus en plus politisée, tendance qui se traduit par la prolifération de lois sévères destinées à apaiser la peur de la criminalité. Le mot « punitivité » (punitiveness en anglais) est souvent utilisé pour décrire cette politique qui cherche à mettre en avant les droits des victimes sur ceux des délinquants. Ses manifestations principales sont évidentes surtout aux États-Unis mais également en Europe : la création de peines disproportionnées (telles que les peines illimitées et la célèbre peine plancher de three strikes and you’re out 2), le développement de projets qui cherchent à restreindre les libertés civiles des ex-détenus (notamment l’élaboration de registres de délinquants sexuels, souvent consultables par le grand public), les tentatives d’humilier ou de déshonorer les délinquants, le retour de règlements carcéraux qui cherchent à briser l’esprit du détenu, et bien évidemment la tendance vers des peines d’emprisonnement de plus en plus longues et l’incarcération de masse3. À cette liste, on pourrait ajouter la mise en place de mesures de répression contre les incivilités.

Bien que la plupart de ces politiques trouvent leurs origines aux États-Unis, elles sont aujourd’hui devenues une caractéristique permanente du paysage pénal de la plupart des pays développés4, même dans les pays Scandinaves et les Pays-Bas qui étaient auparavant réputés pour leur « libéralisme » en matière pénale5. La France se présente comme un bon exemple de cette tendance vers la punitivité, tout particulièrement sous la présidence de Jacques Chirac et, dernièrement, de Nicolas Sarkozy. Alors que les questions de pénalité commençaient déjà à être politisées dans le courant des années 1970 – le gouvernement de Valérie Giscard d’Estaing a fait voter des lois strictes interdisant la libération de certains détenus avant l’expiration de leur peine, rendant les peines plus sévères et limitant l’utilisation des alternatives à l’incarcération – jusqu’à récemment la politique pénale française s’en tenait à une approche sociale à la criminalité6. Cette approche s’est caractérisée par des politiques qui donnaient la priorité à la réinsertion du délinquant, cherchant à imposer des peines alternatives à l’incarcération dans la mesure du possible. Sous la présidence de François Mitterrand, un nombre de réformes progressistes ont été mises en place, telles l’abolition de la peine de mort en 1981, l’abrogation partielle des lois strictes de la fin des années 1970 et l’introduction d’alternatives supplémentaires à l’incarcération, ce qui a immédiatement réduit d’un quart la population carcérale7. Puis, en 1986, sous la cohabitation Mitterrand-Chirac, une politique plus stricte en matière pénale a été adoptée avec le lancement d’un projet de construction de 13 000 places de prison supplémentaires8. Depuis, en dépit de quelques efforts pour éviter à plus de délinquants d’aller en prison, la population carcérale française n’a cessé d’augmenter9.

Suite aux élections présidentielles de 2002, la politique pénale française est devenue encore plus stricte, aussi bien à gauche qu’à droite10. Un nombre de lois a été voté dont le caractère punitif est évident. D’abord, en septembre 2002, Dominique Perben (ministre de la Justice de 2002 à 2005) a introduit la loi d’orientation et de programmation pour la justice qui donne notamment aux tribunaux la possibilité, sous certaines conditions, de mettre les jeunes âgés de 13 à 16 ans en détention provisoire et de prolonger la durée de cette dernière, qui peut désormais être infligée pour un plus grand nombre d’infractions. Le 18 mars 2003, la loi sur la sécurité intérieure a été promulgué à l’initiative de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Cette loi créé de nouveaux délits : le racolage, même passif11 ; l’installation des gens du voyage sur un terrain non autorisé en vue d’y établir une habitation ; le regroupement abusif dans les halls d’immeubles et les cages d’escalier ; l’exploitation de la mendicité… Par la suite, des mesures très strictes ont été adoptées contre les délinquants récidivistes avec deux lois en particulier, promulguées en 2005 et en 2007. Il s’agit de la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales et de la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs. La première permet aux tribunaux de prolonger de 15 à 22 ans la période de sûreté applicable aux condamnés à perpétuité en cas de récidive et à imposer de nouvelles mesures de suivi des condamnés « dangereux » (c’est-à-dire, les délinquants sexuels ou violents, désormais placés sous surveillance électronique). La deuxième va plus loin, instaurant des peines minimales d’emprisonnement – des « peines plancher » – pour les récidivistes majeurs et mineurs dès l’âge de 13 ans, ayant commis un délit passible de trois ans d’emprisonnement ou un crime passible de 15 ans de réclusion. C’est également dans le but de prévenir la récidive que les délinquants « dangereux » ont fait l’objet de la loi sur la rétention de la sûreté du 25 février 2008. Désormais, certaines personnes considérées comme étant d’une « particulière dangerosité » peuvent être écrouées sans limitation de durée dans les centres d’enfermement après qu’elles aient purgé leur peine d’emprisonnement.

L’ensemble de ces lois risque d’avoir un impact inflationniste sur le système pénitenciaire français, déjà en crise de surpeuplement12. En effet, depuis 2001 la population carcérale a augmenté de 48 955 personnes à 66 720 au 1er avril 200813. Selon l’hypothèse de l’expert pénal français Pierre V. Tournier, la seule loi de 2007 renforçant la lutte contre la récidive pourrait entraîner une hausse de la population carcérale de 8 500 détenus14. Ce n’est pas le simple fait d’être écroué qui est signe de punitivité mais également les conditions de détention, qualifiées par le Commissaire européen aux droits de l’homme de « très dures et choquantes […] qui privent un grand nombre de détenus de l’exercice de leurs droits élémentaires »15. D’ailleurs, les peines sont souvent disproportionnées au délit ou au crime commis et la surveillance du détenu peut continuer longtemps après sa remise en liberté. Même les enfants sont soumis aux rigueurs de la loi. Par conséquent, selon toute apparence, la France rentre bien dans la définition de la « punitivité » fournie par Pratt et al. Elle est rejointe par d’autres pays européens, notamment l’Italie où des mesures très strictes en matière sécuritaire ont été adoptées par les administrations de Romano Prodi et de Silvio Berlusconi16.

Or, c’est au Royaume-Uni que la tendance vers la punitivité pénale semble être la plus marquée. Non seulement ce pays connait le taux d’incarcération le plus élevé d’Europe de l’ouest17, mais il a également été le premier pays européen à adopter, en matière pénale, des politiques punitives provenant des États-Unis18. Notre problématique est d’identifier les raisons de cette situation. De toute évidence, comme nous le démontrons au début de la deuxième partie, elle n’a rien à voir avec le taux de criminalité. Représente-elle plutôt une tentative de la part de l’administration néo-travailliste de répondre aux demandes des Britanniques en matière sécuritaire ? Est-elle la responsabilité des juges ? Est-ce que l’on peut dire que la presse a joué un rôle important dans sa création ? Notre hypothèse est que cette situation ne peut se comprendre que dans le contexte de l’économie politique britannique. En effet, nous tenterons de démontrer qu’il ne s’agit nullement d’une coïncidence si le Royaume-Uni a également été le premier pays européen à abandonner la sociale-démocratie en faveur du néolibéralisme. C’est une hypothèse qui n’a pourtant rien de novateur. En effet, il existe déjà un corpus important de recherches qui établissent un rapport entre l’économie politique et la politique pénale. Par exemple, Loïc Wacquant postule l’existence d’un lien direct entre les politiques économiques et sociales néolibérales et les politiques strictes en matière sécuritaire19. Le sociologue britannique David Garland soutient également que la politique pénale ne peut se comprendre que dans le contexte de ce qu’il appelle la « modernité tardive » (late modernity), dont l’une des caractéristiques principales est le passage du libéralisme politique de la sociale-démocratie au néolibéralisme20. Tout récemment, Michael Cavadino et James Dignan ont entrepris des recherches comparatives sur les systèmes pénaux de nombreux pays développés21. Ils concluent que les pays qui ont les économies politiques les plus conformes au modèle néolibéral ont adopté les politiques les plus punitives en matière pénale, qui tendent à l’exclusion du délinquant.

Cependant, ces études ont tendance à se concentrer sur les tendances globales et sur ce que partagent les différents pays néolibéraux. Elles ne prennent pas toujours en compte le fait que le néolibéralisme s’applique de façon différente non seulement dans des pays différents mais également au sein du même pays sous différentes administrations politiques. À titre d’exemple, ces études ne sont pas capables d’expliquer pourquoi, sous l’administration de Margaret Thatcher, qui a ouvertement poursuivi de nombreuses politiques dites néolibérales, la population carcérale est restée relativement stable22 alors qu’elle a augmenté de façon foudroyante sous l’administration du New Labour. L’originalité de notre hypothèse se trouve donc dans le fait qu’elle tente de différencier entre la théorie et la pratique réelle du néolibéralisme – ce que l’on peut dénommer le « actually existing neoliberalism »23 – et ainsi de situer la politique pénale néolibérale plus concrètement dans son contexte national particulier. C’est pourquoi nous limiterons notre étude à l’Angleterre et au Pays de Galles, les deux pays du Royaume-Uni qui partagent le même système légal et dont les institutions politiques ont été les plus interdépendantes depuis le plus longtemps. Nous appuierons nos recherches sur les travaux que David Garland et Jonathan Simon24 ont consacré au gouvernement de l’insécurité, afin de démontrer que la punitivité en matière pénale n’est pas une simple manifestation du néolibéralisme mais une réponse aux problèmes sociaux engendrés par le néolibéralisme lui-même. Nous tenterons d’établir qu’elle est la conséquence d’une conjoncture politique très précise, où le néolibéralisme tel qu’il a été pratiqué par Margaret Thatcher et John Major a souffert d’un déficit important de légitimité dans le domaine social au début des années 1990. Le néolibéralisme version New Labour représente une deuxième phase du néolibéralisme, ce que les chercheurs britanniques Jamie Peck et Adam Tickell ont nommé le néolibéralisme « roll out », c’est-à-dire un projet politique qui tente de gérer les conséquences destructrices du néolibéralisme « roll back » pratiqué par les administrations conservatrices des années 1980 et 199025. Il s’agit d’une version du néolibéralisme qui se montre plus interventionniste sur le plan social et pénal que la théorie néolibérale ne le préconise.

Le risque est grand d’adopter une approche trop fonctionnaliste postulant que la punitivité pénale peut être expliquée par le néolibéralisme. Cependant, une approche qui favorise une étude détaillée de l’économie politique est nécessairement pluraliste étant donné le nombre d’acteurs différents qui jouent un rôle dans la construction de cette dernière. Par conséquent, nous évaluerons le rôle des experts criminologiques, de l’opinion publique, des think tanks, de la presse, des juges, des politiciens et des intérêts privés dans le processus décisionnel. La politique pénale sera analysée dans le contexte de l’ensemble des politiques néo-travaillistes, surtout dans le contexte de la politique sociale.

Pour ce faire, nous nous appuierons sur une large variété de sources. Les sources secondaires seront d’une utilité majeure afin de se familiariser avec la théorie politique, sociologique et criminologique nécessaire à ce travail. Bien que notre étude se concentre sur le cas britannique, nous analyserons les travaux de chercheurs de diverses nationalités afin d’avoir un regard aussi large que possible. En premier lieu, les contributions de John Pratt et ses collègues26 et de Michael Tonry27 nous permettront de mieux comprendre le concept de « punitivité » et de bien délimiter les paramètres de notre sujet. L’œuvre des criminologues britanniques Leon Radzinowicz et Roger Hood28, ainsi que les travaux d’autres historiens pénaux, tels Sean McConville29, Clive Emsley30 et Christopher Harding et al. 31 nous permettront d’adopter une perspective historique du sujet. Le travail de David Harvey32 sur le néolibéralisme se révélera indispensable pour bien comprendre l’économie politique dans laquelle la politique pénale est élaborée. En ce qui concerne le lien entre l’économie politique et la politique pénale, les réflexions de Michel Foucault33, David Garland34, Loïc Wacquant35, Robert Reiner36, Jonathan Simon37 et de Michael Cavadino et James Dignan38 seront tout particulièrement pertinentes. Les travaux de Jock Young39, de Robert Reiner40 et de Nils Christie41 nous aideront à mieux comprendre la culture pénale des sociétés néolibérales. La culture particulière des villes néolibérales est bien exposée par l’américain Christian Parenti42 (New York) et par Roy Coleman43 (Liverpool). Plus précisément, les études de Ian Loader44 et de Mick Ryan45 nous aideront à mieux comprendre le déclin de l’influence des experts criminologiques sur le processus décisionnel, alors que les travaux de Loïc Wacquant46 et de Trevor Jones et Tim Newburn47 sur les think tanks et le transfert des politiques américaines vers l’Europe nous permettront de mieux comprendre les nouvelles influences qui ont commencé à dominer le processus politique à partir des années 1990. Afin d’analyser les rôles qu’on pu jouer la presse, le gouvernement et les forces de l’ordre, les travaux respectifs des sociologues britanniques Stanley Cohen48 et Stuart Hall49 sur le concept de panique morale et de populisme autoritaire seront indispensables.

Nous soumettrons ces diverses thèses à l’examen de nombreuses sources primaires. Depuis l’arrivée au pouvoir du New Labour en 1997 l’ensemble des rapports officiels et une part importante des discours politiques ainsi que les débats parlementaires sont publiés en ligne. Il est également facile d’accéder aux commentaires et réactions à l’égard des politiques actuelles sur les sites internet des nombreux groupes de pression et observateurs en matière pénale. En outre, nous avons effectué nos propres recherches. Afin de tester la validité des thèses qui postulent que les délinquants font partie d’une underclass ayant des valeurs différentes de la majorité respectueuse des lois, nous avons effectué des entretiens avec des détenus dans deux prisons britanniques. Enfin, pour mieux comprendre le caractère du processus décisionnel actuel, nous avons interviewé Rod Morgan, universitaire et ancien président de la Youth Justice Board (l’autorité administrative indépendante chargée des jeunes délinquants).

Il faut maintenant clarifier la terminologie que nous allons utiliser au cours de cette étude. D’abord, alors que nous allons traiter principalement de la politique pénale de l’Angleterre et du Pays de Galles, pour des raisons de facilité de lecture, nous ferons souvent référence à la politique pénale britannique tout en excluant la politique pénale de l’Irlande du Nord et de l’Écosse. Deuxièmement, par « politique pénale », nous entendons l’ensemble des politiques invoquées par l’État pour punir les comportements qu’il juge indésirables. Tous ces comportements ne relèvent pourtant pas du domaine du droit pénal mais parfois de celui du droit civil. On peut citer à titre d’exemple la loi relative aux comportements dits antisociaux50. Afin de lutter contre ces comportements, le gouvernement néo-travailliste a fait voter une série de lois qui permettent aux autorités locales d’infliger des ordonnances interdisant aux individus responsables de se livrer à de tels comportements. Le non-respect d’une ordonnance peut aboutir à une peine d’emprisonnement d’un maximum de cinq ans. Donc, la politique pénale peut avoir une étendue très large, empiétant souvent sur le domaine social. En outre, nous allons souvent utiliser l’expression « administration néo-travailliste » pour faire référence aux gouvernements successifs de Tony Blair. Nous préférons éviter une personnalisation des politiques adoptées par les gouvernements Blair, ce qui pourrait obscurcir le rôle joué par d’autres acteurs dans le processus politique. Il faut également noter que nous avons préféré parler de l’administration « néo-travailliste » au lieu de l’administration « travailliste ». Alors que le nom du Parti travailliste n’a jamais été officiellement changé, il est important d’utiliser le terme « néo-travailliste » afin de distinguer le Parti travailliste qui a gouverné jusqu’à la fin des années 1970 de celui qui est au pouvoir depuis 1997. Cette distinction est essentielle à notre étude : nous verrons que le changement de Old à New Labour a coïncidé avec le passage d’un État social à un État pénal. Il faut également noter que l’expression « opinion publique » sera souvent employée. Pourtant, ce terme est très flou et particulièrement difficile à définir. Ainsi que l’affirment les sociologues américains, Carroll J. Glynn et al., il n’existe pas une seule définition du terme, mais plusieurs51. Dans notre étude nous utiliserons le terme dans deux sens différents. D’abord, nous l’emploierons pour parler de l’ensemble des opinions individuelles. Nous nous appuierons sur des sondages et des entretiens individuels pour déterminer ce que constitue l’opinion publique. Cette définition ne suggère aucunement que l’opinion publique est homogène. Deuxièmement, nous utiliserons le terme pour désigner l’opinion publique telle qu’elle est définie par les médias et les élites. Nous verrons que le New Labour a tendance à suggérer que l’opinion publique est en fait relativement homogène – dans le cas de la politique pénale, il suggère que la majorité des personnes sont respectueuses des lois et qu’elles réclament des politiques punitives afin de lutter contre la criminalité. La signification du concept de « punitivité » – la tendance à privilégier la sévérite des peines dans un environnement décrit ou perçu comme insécuritaire – sera élucidée lorsque nous étudierons ses principales manifestations dans le contexte britannique dans la première partie de notre étude. De plus, le « néolibéralisme » est un terme trop complexe pour le circonscrire ici, surtout en raison du fait qu’il se définit de façon différente selon son pays d’application. Pour cette raison, une définition détaillée suivra dans le quatrième chapitre lorsque nous tenterons de déceler les liens entre la punitivité sur le plan pénal et l’application des politiques néolibérales sur les plans économique et social.

Nous commencerons par une étude détaillée des manifestations possibles de la « punitivité » dans la politique pénale du New Labour. Nous nous concentrerons tout particulièrement sur l’expansionnisme pénal et les facteurs qui ont contribué à l’incarcération de masse. Après avoir étudié la politique d’application des peines, nous détaillerons à la fois les politiques qui mènent à la criminalisation directe et celles qui tendent à la criminalisation indirecte par l’élargissement du filet pénal (netwidening). Dans le second chapitre, nous analyserons l’avènement et le déclin de l’idéal d’amendement afin de faire apparaitre l’accent mis par l’administration néo-travailliste sur le contrôle du délinquant au détriment de l’assistance. Nous étudierons également les politiques qui ont pour effet d’étendre ce contrôle en dehors des murs de la prison, plaçant non seulement le délinquant lui-même mais certains « délinquants potentiels » sous surveillance. Au fil de cette première partie, nous tenterons de déterminer si ces politiques vraisemblablement punitives représentent réellement une nouvelle tendance ou simplement la poursuite des politiques pénales du passé.

Dans la deuxième partie, nous nous attacherons à établir les raisons du tournant punitif en Angleterre et au Pays de Galles. Notre troisième chapitre sera consacré à une étude des principaux acteurs du processus politique. Après avoir mis en évidence l’influence déclinante des experts criminologues, qui ont dominé ce processus durant la majeure partie du XXe siècle, nous analyserons l’influence que l’opinion publique, la magistrature et la presse exercent désormais sur la formulation de la politique pénale. Dans le quatrième et dernier chapitre, nous tenterons d’expliquer la politique pénale du New Labour dans son contexte politico-économique, notamment par rapport à sa politique sociale. Nous verrons que le tournant punitif peut être considéré comme un instrument de la gouvernance néolibérale, dans la mesure où il permet à l’administration néo-travailliste de gérer les conséquences négatives du néolibéralisme et ainsi de mieux gouverner.

Notes
1.

Selon une enquête internationale (la « International Crime Victimisation Survey »), le taux global de criminalité a baissé depuis 1996 dans la plupart des pays développés ayant participé à l’enquête depuis 1996. Cf. Jan van Dijk, John van Kesteren et Paul Smit, Criminal Victimisation in International Perspective : Key findings from the 2004-2005 ICVS and EU ICS [en ligne], The Hague, Boom Juridische uitgevers, 2007, pp. 101-102. Disponible sur : http://english.wodc.nl/images/ob257_full%20text_tcm45-103353.pdf [page consultée le 21 mars 2008].

2.

Cette loi, appliquée pour la première fois en Californie en 1994, condamne de façon automatique les récidivistes à une peine sévère au troisième délit.

3.

John Pratt, David Brown, Mark Brown, Simon Hallsworth et Wayne Morrison (éds.), The New Punitiveness : Trends, theories, perspectives,Cullompton, Willan Publishing, 2005.

4.

Des exceptions notables sont le Canada (voir infra., p. 20) et la Finlande. Depuis le milieu des années 1970, la Finlande a délibérément adouci sa politique pénale, réduisant son taux d’incarcération de façon spectaculaire. Si le taux d’incarcération y est actuellement en train d’augmenter de nouveau, il reste loin derrière la moyenne européenne. Pour plus d’informations sur le cas de la Finlande, voir Michael Cavadino et James Dignan, Penal Systems : A Comparative Approach,London, Sage, 2006, pp. 160-170.

5.

Pour les Pays-Bas, voir David Downes, Contrasts in Tolerance : Post-War Penal Policy in the Netherlands and England and Wales, Oxford, Oxford University Press, 1993 ; Michael Cavadino et James Dignan, op. cit., pp. 113-128. Pour la Scandinavie, voir John Pratt, « Scandinavian Exceptionalism in an Era of Penal Excess : Part I », British Journal of Criminology, 2008, vol. 48, n° 2 : 119-137 ; John Pratt, « Scandinavian Exceptionalism in an Era of Penal Excess : Part II », British Journal of Criminology, 2008, vol. 48, n° 3 : 275-292.

6.

Michael Cavadino et James Dignan, op cit., pp. 132-133.

7.

Ibid., p. 133.

8.

Ibid., p. 134.

9.

En dix ans, de 1986 à 1996, le nombre de personnes écrouées en France a augmenté de 42 617 à 52 658. Cf. Annie Kensey et Pierre Tournier, « Prison Population Inflation, Overcrowding and Recidivism : The Situation in France », European Journal on Criminal Policy and Research, 1999, vol. 7, p. 98.

10.

Loïc Wacquant, Punir les pauvres, Paris, Agone, 2004, pp. 269-305.

11.

Le racolage ne concernait auparavant que les incitations actives (gestes, paroles…), non le racolage passif (vêtement, attitude…) en vue d’inciter autrui à des relations sexuelles en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération. La peine est désormais passée d’une amende à deux mois de prison et 3 750 euros d’amende.

12.

En avril 2008, il y avait 125 détenus pour seulement 100 places, soit 13 737 personnes écrouées en surnombre. Cf. Pierre V. Tournier (dir.), Arpenter le champ pénal : hebdomadaire électronique sur les questions pénales et criminologiques, avril 2008[en ligne]. Disponible sur : http://www.prison.eu.org/article.php3?id_article=10763 [page consultée le 22 mai 2008].

13.

Ibid.

14.

Pierre V. Tournier, Loi pénitencière : contexte et enjeux, Paris, Université Paris I, Centre d’Histoire Sociale du XXe siècle, 2007, p. 28.

15.

Alvaro Gil-Robles, Commissaire aux Droits de l’Homme, Rapport sur le respect effectif des droits de l’homme en France, Strasbourg, 15 février 2006, CommDH(2006)2, § 75 [en ligne]. Disponible sur : https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CommDH(2006)2&Language=lanFrench&Ver =final&Site=COE&BackColorInternet=DBDCF2&BackColorIntranet=FDC864&BackColorLogged=FDC864 [page consultée le 22 mai 2008].

16.

Andrea Cortellessa, entretien avec Giorgio Agamben, « Le gouvernement de l’insécurité », La revue internationale des livres et des idées, mars-avril 2008, pp. 18-20. Michael Cavadino et James Dignan, op cit., pp. 139-147.

17.

International Centre for Prison Studies [en ligne],King’s College, Londres. Disponible sur : http://www.kcl.ac.uk/depsta/law/research/icps/worldbrief/?search=europe&x=Europe [page consultée le 22 mai 2008]. Voir surpa., p. ???.

18.

Loïc Wacquant, Les prisons de la misère, Paris, Raisons d’agir, 1999, pp. 22-46.

19.

Ibid. Loïc Wacquant, Punir les pauvres, Paris, Agone, 2004.

20.

David Garland and Richard Sparks, « Criminology, Social Theory and the Challenge of Our Times », British Journal of Criminology, 2000, vol. 40, n° 1, pp. 189-204. David Garland, The Culture of Control : Crime and Social Order in Contemporary Society, Oxford, Oxford University Press, 2001. David Garland, « The Limits of the Sovereign State : Strategies of Crime Control in Contemporary Society », The British Journal of Criminology, 1996, vol. 36, n° 4, pp. 445-467.

21.

Michael Cavadino et James Dignan, op cit.

22.

Office for National Statistics, Prison Population 2003 [en ligne]. Disponible sur : http://www.statistics .gov.uk/cci/nugget.asp?id=1101 [page consultée le 17 juin 2008].

23.

Neil Brenner et Nik Theodore, « Cities and the Geographies of ‘Actually Existing Neoliberalism’ », Antipode, 2002, vol. 34, n° 3 : 349-379.

24.

Jonathan Simon, Governing Through Crime : How the War on Crime Transformed American Democracy and Created a Culture of Fear, Oxford, Oxford University Press, 2007.

25.

Jamie Peck et Adam Tickell, « Neoliberalizing Space », Antipode, 2002, vol. 34, n° 3, p. 384.

26.

John Pratt et al., op. cit.

27.

Michael Tonry, Punishment and Politics : Evidence and Emulation in the Making of English Crime Control Policy,Cullompton, Willan Publishing, 2004.

28.

Leon Radzinowicz et Roger Hood, The Emergence of Penal Policy in Victorian and Edwardian England,Oxford, Clarendon Press, 1990.

29.

Sean McConville, A History of English Prison Administration. Volume I : 1750-1877, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1981.

30.

Clive Emsley, Crime and Society in England, 1750-1900,Londres, Longman, 1996.

31.

Christopher Harding, Bill Hines, Richard Ireland et Philip Rawlings, Imprisonment in England and Wales : A Concise History, Londres, Crook Helm, 1985.

32.

David Harvey, A Brief History of Neoliberalism, Oxford, Oxford University Press, 2007.

33.

Michel Foucault, Surveiller et Punir : Naissance de la prison,Paris, Gallimard, 1975.

34.

Op. cit.

35.

Les prisons de la misère, op. cit. ; Punir les pauvres, op. cit.

36.

Robert Reiner, Law and Order : An Honest Citizen’s Guide to Crime and Control, Cambridge, Polity Press, 2007.

37.

Op. cit.

38.

Op. cit.

39.

Jock Young, The Exclusive Society, Londres, Sage, 1999.

40.

Op. cit.

41.

Nils Christie, Crime Control as Industry: Towards Gulags, Western-Style, Londres, Routledge, 2000.

42.

Christian Parenti, Lockdown America : Police and Prisons in the Age of Crisis, Londres et New York, Verso, 2002.

43.

Roy Coleman, Steve Tombs et Dave Whyte, « Capital, Crime Control and Statecraft in the Entrepreneurial City », Urban Studies, 2005, vol. 42, n° 13 : 2511-2530.Roy Coleman, « Reclaiming the Streets : Closed Circuit Television, Neoliberalism and the Mystification of Social Divisions in Liverpool, UK », Surveillance & Society [en ligne], vol. 2, n° 2/3, p. 294. Disponible sur : http://www.surveillance-and-society.org/articles2(2)/liverpool.pdf [page consultée le 9 juillet 2007].

44.

Ian Loader, « Fall of the ‘Platonic Guardians’ : Liberalism, Criminology and Political Responses to Crime in England and Wales », British Journal of Criminology, n° 46, 2006.

45.

Mick Ryan, Penal Policy and Political Culture in England and Wales, Winchester, Winchester Press, 2003 ; Mick Ryan, The Acceptable Pressure Group. Inequality in the Penal Lobby : A case study of the Howard League and RAP, Farnborough, Saxon House, 1978.

46.

Loïc Wacquant, Les prisons de la misère, op. cit.

47.

Trevor Jones et Tim Newburn, « Learning from Uncle Sam ? Exploring US influences on British crime control policy » Governance, 2002, vol. 15, n° 1 : 97-119 ; Tim Newburn et Trevor Jones, « A Very Special Relationship ? », Criminal Justice Matters, 2007, vol. 67, pp. 12-13 ; Trevor Jones et Tim Newburn, « Three Strikes and You’re Out : Exploring Symbol and Substance in American and British Crime Control Politics », British Journal of Criminology, 2006, vol. 46, n° 5 : pp. 781-802.

48.

Stanley Cohen, Folk Devils and Moral Panics, Londres, Routledge, 2005 [1972].

49.

Stuart Hall, The Hard Road to Renewal : Thatcherism and the Crisis of the Left, Londres, Verso, 1988.

50.

Voir infra., pp. 81-98.

51.

Carroll J. Glynn, Susan Herbst, Garrett J. O’Keefe, Robert Y. Shapiro et Mark Lindeman, Public Opinion, Oxford, Westview Press, 2004.