a) La limitation de la liberté conditionnelle

La liberté conditionnelle – parole – a vu le jour en Angleterre vers le milieu du XIXe siècle. Elle a été créée pour les « forçats », les détenus qu’on aurait auparavant transportés vers les bagnes coloniaux mais qu’on envoyait désormais aux prisons de travaux publics, comme celles de Portland, Dartmoor, Portsmouth et Chatham, où on les mettait au travail pour construire des digues ou assainir les terres56. En 1856, la commission parlementaire enquêtant sur le système d’incarcération des forçats avait recommandé que tout détenu soit mis en liberté conditionnelle vers la fin de l’expiation de sa peine – cette mesure était connue sous le nom de ticket-of-leave 57. Cependant, le système avait vite suscité un tollé public suite à l’apparente augmentation des agressions avec étranglement – les garotting s – au cours de l’année 1856 puis, une nouvelle fois, en 1862. L’opinion publique considérait que les crimes avaient été perpétrés par des ex-détenus remis en liberté conditionnelle, ceci malgré le fait que sur les vingt-trois hommes emprisonnés en 1862 pour vol par étranglement, seuls deux d’entre eux étaient d’ex-détenus en liberté conditionnelle58.

Ce système a néanmoins perduré, mais sous une forme restreinte : la décision de libérer un détenu avant la fin de sa peine était confiée à la discrétion du ministre de l’Intérieur, et, en général, elle ne concernait que les jeunes et les condamnés à perpétuité. Puis, en 1964, un groupe de recherche du Parti travailliste présidé par Lord Longford recommanda, dans son rapport intitulé Crime : A Challenge to Us All 59, la création d’un conseil chargé d’étudier les dossiers de mise en liberté conditionnelle. La proposition a été incorporée dans la loi sur la justice pénale de 1967 : tout détenu ayant purgé un tiers de sa peine ou douze mois, selon ce qui était le plus long, avait le droit de faire une demande de mise en liberté conditionnelle (parole)60. Après sa libération, il resterait en liberté conditionnelle jusqu’à ce qu’il ait purgé deux tiers de sa peine. Suite à l’entrée en vigueur de la loi, la population carcérale a baissé momentanément, puis elle a commencé à augmenter de nouveau61, malgré le fait qu’un des buts principaux de la loi était précisément d’endiguer ce phénomène62. Mais le système de parole a eu un impact important sur les effectifs carcéraux dans les années 1980. En 1984, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Leon Brittan, a modifié le système afin de permettre à un plus grand nombre de détenus purgeant des peines de court terme de bénéficier d’une libération anticipée. Bien que la même réforme ait rendu l’obtention d’une parole plus difficile pour d’autres détenus – ceux qui purgeaient des peines longues pour crimes sexuels, violents, ou infractions liées à la drogue –, Bottoms affirme que ce changement a immédiatement réduit la population carcérale de 2 000 personnes63. En effet, Neil Morgan considère que même si le système de parole a été introduit au départ pour des raisons plutôt idéologiques – notamment pour sa capacité supposée à inciter le détenu à faire preuve du bon comportement, encourageant ainsi son amendement –, en 1983 il avait pour fonction principale d’agir comme « aspirateur » sur la population carcérale64.

L’idée que le système de parole influence le niveau de population carcérale serait confirmée par les événements suivants. En 1991, la loi sur la justice pénale a remplacé l’ancien système par la libération conditionnelle des détenus purgeant des peines de moins de quatre ans et la libération conditionnelle discrétionnaire de ceux ayant des peines de quatre ans ou plus. Dans le premier cas, le détenu était habituellement libéré, suivant les recommandations du conseil chargé d’étudier de mise en liberté conditionnelle (le Parole Board), après qu’il ait purgé la moitié de sa peine (au lieu de seulement un tiers auparavant) et, dans le deuxième cas, le détenu pouvait être obligé de purger d’une moitié à deux tiers de sa peine. Le but de la réforme était de limiter la divergence entre la longueur de la peine infligée et la période de temps réellement purgée par le détenu65. L’effet pratique de la loi a pourtant été de limiter le nombre de détenus mis en liberté conditionnelle, en baisse depuis l’entrée en vigueur de cette loi, contribuant ainsi à une population carcérale très élevée66. En 1997, la loi sur les peines (Crime [Sentences] Act ) a rendu le système encore plus sévère : les détenus ayant des peines de deux mois à moins de trois ans pouvaient se voir accorder une remise de peine de six jours par mois, et ceux ayant des peines de trois ans ou plus ne pouvaient avoir droit à une mise en liberté conditionnelle qu’après avoir purgé les cinq sixièmes de leur peine. Cela signifiait que les délinquants étaient susceptibles de passer beaucoup plus de temps en prison qu’auparavant67. Afin d’éviter cette situation, l’article 26 de la loi exigeait que les juges infligent des peines équivalant aux deux tiers de la peine habituelle qu’ils auraient infligé avant l’entrée en vigueur de la loi. Pourtant, Ashworth a noté que cette disposition risquait d’exposer les juges au ridicule dans la presse populaire s’ils étaient contraints d’infliger des peines moins strictes que la norme68. En effet, il semble que les juges soient très préoccupés par leur réputation : comme on l’a vu dans le graphique ci-dessus (fig. 3), la longueur des peines n’a fait qu’augmenter après la promulgation de cette loi.

La loi sur la justice pénale de 2003 a apporté davantage de modifications au système de parole dans le but d’assurer que les délinquants servent la totalité de leurs peines (au lieu de seulement un tiers comme c’était le cas auparavant) et de gagner ainsi la confiance du public69. Certains ont suggéré que la loi signalait l’entière suppression du système70. L’article 244, qui est entré en vigueur au printemps 2005, exige que toute personne condamnée à une peine de prison de douze mois ou plus soit remise en liberté surveillée après avoir purgé la moitié de sa peine. Cela veut dire que la mise en liberté n’est plus conditionnée par le comportement du détenu, tel que le système avait été conçu dans les années 1960. Le nouveau système n’est pourtant pas moins punitif dans la mesure où l’on surveille le détenu jusqu’à l’expiration complète de sa peine (auparavant, cette surveillance ne durait que jusqu’à la borne des deux tiers). En effet, la capacité punitive du nouveau système a été reconnue par John Halliday dans son rapport consultatif qui a donné lieu au rapport officiel précédant la loi de 200371. Pourtant, comme on l’a déjà vu ci-dessus, cela n’empêche en rien la presse populaire de se servir de cette mesure pour critiquer « l’indulgence » des juges72. D’ailleurs, cette loi se révèle très punitive à l’égard des délinquants considérés comme « dangereux » – ceux qui sont condamnés à perpétuité, à une peine indéterminée (indeterminate sentence) ou à une peine prolongée (extended sentence) –, pour lesquels la remise en liberté conditionnelle sera discrétionnaire. Pour toute une gamme d’infractions graves commises par des délinquants ayant plus de 21 ans, la peine minimale est désormais une peine à perpétuité. Cela veut dire qu’ils n’auront jamais droit à la parole 73. Qui plus est, la loi a limité l’étendue du Home Detention Curfew (HDC) – un système de couvre-feu à domicile mis en place en 1999 pour les détenus présentant un faible risque de récidive, qui sont renvoyés chez eux avant la date normale de leur libération, munis d’un dispositif électronique de surveillance. Lorsque le système a été mis en vigueur par l’article 100 de la loi sur le crime et le désordre de 1998 (The Crime and Disorder Act), il devait s’appliquer à tout détenu ayant passé un examen d’évaluation de risque, et condamné à une peine de plus de trois mois mais de moins de quatre ans. Depuis la promulgation de la loi de 2003, qui a augmenté le nombre d’infractions passibles de peines de plus de quatre ans, un plus grand nombre de détenus est exclu du système de couvre-feu à domicile. Par conséquent, il est peu probable qu’il aboutira à une réduction de la population carcérale, malgré la promesse optimiste faite en 1998 par Jack Straw, ancien ministre de l’Intérieur, qu’il réduirait le nombre de détenus de 3 000 personnes74. D’après Gullick, la diminution des effectifs emprisonnés n’était même pas un but de la loi de 2003 : on cherchait plutôt à assurer la protection du public en allongeant la période de surveillance en liberté conditionnelle75.

Il est important de souligner que le principe directeur régissant le système de remise en liberté conditionnelle a beaucoup changé au cours des années. De l’introduction du système pour les « forçats » au milieu du XIXe jusqu’au début des années 1990, la libération dépendait du bon comportement du détenu. Cela implique que l’on attendait du délinquant qu’il se montre en quelque sorte repenti. Pour les forçats écroués dans les prisons de travaux publics, il semble que l’on n’attendait d’eux aucun changement interne mais simplement leur adhésion à la discipline de la prison. Pour McGowen, ceci n’était qu’un moyen d’assurer la coopération des détenus pendant l’expiation de leur peine76. Néanmoins, l’amendement est resté le but principal du système. En effet, ce but avait déjà trouvé son expression avec l’ouverture de la première prison nationale de Millbank à Londres en 1816 dans laquelle les autorités pénitencières cherchaient à amender le détenu par l’isolement cellulaire, le travail et la religion77. En 1967, le but de l’amendement est devenu plus explicite. Morgan remarque que dans The Adult Offender,le rapport officiel qui a précédé la loi de 1967, le système de parole était justifié par sa capacité à inciter le détenu à l’amendement78. En 2003, par contre, le but primordial du système est visiblement devenu la prévention du risque79, ce qui explique la surveillance du détenu jusqu’à l’expiation de la totalité de sa peine et la suppression automatique de la parole pour ceux que l’on considère comme dangereux. Ce nouveau système a donc la capacité d’être plus punitif. Il pourrait même contribuer au surpeuplement carcéral. Il est cependant difficile d’établir un lien précis entre ces deux phénomènes étant donné que la période en question a vu se produire beaucoup d’autres changements concernant la détermination des peines qui, eux aussi, ont forcément eu un impact sur les effectifs emprisonnés. Un de ces changements les plus significatifs est le recul du principe de proportionnalité entre l’infraction commise et la peine infligée, instauré par la loi sur la justice pénale de 1991.

Notes
56.

Randall McGowen, « The Well-Ordered Prison », dans Norval Morris et David J. Rothman (éds.), The Oxford History of the Prison : The Practice of Punishment in Western Society,New York, OUP, 1995, p. 103. Sean McConville, op. cit., pp. 385-386.

57.

Jennifer Davis, « The London Garotting Panic of 1862 : A Moral Panic and the Creation of a Criminal Class in mid-Victorian England »,dans V. A. C. Gatrell, Bruce Lenman et Geoffrey Parker, Crime and the Law : The Social History of Crime in Western Europe since 1500, Londres, Europa Publications Ltd., 1980, p. 196.

58.

Ibid.,p. 206.

59.

Labour Party Study Group, Crime – A Challenge To Us All,Londres, Labour Party, 1964.

60.

Terence Morris, op. cit.,p. 116.

61.

D. A. Thomas, « Sentencing Reform : England and Wales » dans Chris Clarkson et Rod Morgan (éds.), The Politics of Sentencing Reform,Oxford, Clarendon Press, 1995, p. 127.

62.

Alec Samuels, « The Criminal Justice Act [1967] », The Modern Law Review,1968, vol. 31, n° 1, p. 16.

63.

Anthony Bottoms, « The Philosophy and Politics of Punishment and Sentencing », dans Chris Clarkson et Rod Morgan, op. cit.,p. 41.

64.

Neil Morgan, « The Shaping of Parole in England and Wales », Criminal Law Review, 1983: 137-151.

65.

Home Office, Crime, Justice and Protecting the Public, op. cit., pp. 28-34.

66.

Carolyn Hoyle et David Rose, « Labour, Law and Order », The Political Quarterly,2001, vol. 72, n° 1, p. 82.

67.

Andrew Ashworth, « Sentencing », dans Mike Maguire, Rod Morgan, et Robert Reiner (éds.), The Oxford Handbook of Criminology,Oxford, Oxford University Press, 1997, p. 1117.

68.

Ibid.

69.

John Halliday, Making Punishment Work : Report of a Review of the Sentencing Framework for England and Wales[en ligne],July 2001, p. 28. Disponible sur : http://www.homeoffice.gov.uk/ documents/halliday-report-sppu/ [page consultée le 30 avril 2007].

70.

Julian Broadhead, « No more uncertainty about parole », New Law Journal, juillet 2004, p. 1117.

71.

John Halliday, Making Punishment Work, op. cit., p. 28.

72.

Voir supra.,pp. 13-14..

73.

Lord Woolf, lors d’un entretien avec Michael Zander, « Lord Woolf’s criticisms of Mr Blunkett’s Criminal Justice Bill – Pt II », New Law Journal,2003, p. 1266.

74.

Jack Straw, Making Prisons Work, Londres,Prison Reform Trust, 1998, p. 14.

75.

Matthew Gullick, « Cutting back on custody », New Law Journal,2005, p. 221.

76.

Randall McGowen dans Morris et al., op. cit.,p. 103.

77.

Sean McConville, op. cit., pp. 136-144.

78.

Neil Morgan, op. cit.,pp. 142-144.

79.

Le rapport Halliday a explicitement noté que le critère déterminante pour la remise en liberté doit désormais être celui du risque qu’il pourrait éventuellement poser au public et non pas son bon comportement (voir John Halliday, Making Punishment Work, op. cit., p. 30). Cette préoccupation avec la prévention du risque sera développée en plus de détail dans notre quatrième chapitre.