b) L’ascension et la chute du principe de proportionnalité des peines

Le principe de proportionnalité des peines date de la fin du XVIIIe siècle, période à laquelle on a commencé à remplacer progressivement les peines capitales par de nouvelles peines d’incarcération, sans excès, caractérisées par l’uniformité (les mêmes peines devaient être infligées pour les mêmes délits) et la certitude (la longueur des peines devait être fixée par avance). Le système était fortement inspiré du mouvement des Lumières, dont les idées contestaient l’application arbitraire de la peine capitale (en raison de l’écart entre la théorie et la pratique) et rejetaient un système d’incarcération chaotique sans philosophie pénale cohérente. Les idées clés dans le domaine légal furent énoncées par Cesare Beccaria, le juriste italien, dans son opus magnum de 1764, Dei Delitti et delle Pene (Traité des délits et des peines). Il y dénonce la peine de mort, expliquant son inefficacité par sa cruauté excessive, dont le principal effet est de corrompre le peuple plus que de prévenir la criminalité. À sa place, il recommande l’institution d’une véritable science du châtiment, d’après laquelle les lois seraient clairement énoncées et uniformément appliquées, et les peines calculées en fonction du mal infligé par le crime, c’est-à-dire limitées à ce qui est nécessaire pour détourner le grand public de la criminalité80. Sa conclusion est la suivante :

‘In order for punishment not to be, in every instance, an act of public violence of one or many against a private citizen, it must be essentially public, prompt, necessary, the least possible in the given circumstances, proportionate to the crimes, dictated by laws81.’

Ses idées furent en grande partie reprises en Angleterre, et c’est ainsi qu’est née l’école dite « classiciste », qui réagit contre un système de châtiment vengeur, irrationnel et excessif82. Ces idées ont été promues par Jeremy Bentham qui considérait que le châtiment ne doit jamais être plus sévère que ce qui est strictement nécessaire pour dissuader le délinquant de la criminalité et garantir ainsi le bonheur du plus grand nombre83. Un nouveau système pénal, plus ordonné, moins arbitraire, fut alors progressivement accepté, dont le signe le plus apparent est le remplacement des peines capitales par des peines d’incarcération.

Paradoxalement, si le principe de proportionnalité des peines a coïncidé avec l’accroissement de la population carcérale au cours des trois premiers quarts du XIXe siècle84, on considère que c’est le recul de ce même principe qui est responsable de l’explosion actuelle des effectifs emprisonnés. Ce paradoxe s’explique par le fait que le principe peut se définir de façon négative et positive, souvent en même temps. David Garland note que le retour du principe à partir du début des années 1990, sous le signe de la théorie du « juste dû » (just deserts) dans la détermination des peines, s’est traduit simultanément par, d’un côté, une préférence pour des peines fixes et mesurées et, d’un autre côté, par un discours vengeur85. En effet, pendant l’âge d’or du mouvement classiciste au XIXe siècle, la brutalité se justifiait par l’idée du « juste dû » : on estimait, jusqu’en 1965, date à laquelle la peine de mort a été abolie en Grande-Bretagne, que la peine de mort était parfaitement proportionnelle au crime de meurtre (même si elle avait été abolie pour quasiment tout autre crime en 1837) ; si l’on considérait le remplacement des peines capitales par des peines d’incarcération comme un signe de « progrès », les conditions de détention étaient rudes et souvent inhumaines, et cela à dessein afin de respecter le principe de less eligibility selon lequel la justice exigeait que les conditions de vie du détenu ne soient pas supérieures à celles de l’homme libre.

De même, la loi sur la justice pénale de 1991, souvent considérée comme l’apothéose contemporaine du principe de proportionnalité86, était modérée et sévère. Elle cherchait à limiter le recours à l’incarcération pour certains, tout en exigeant des peines plus longues pour les crimes « graves ». Donc, l’article 2(2) de la loi prévoit que le tribunal peut infliger à une personne ayant commis un crime violent ou sexuel une peine indéterminée lorsqu’une telle peine « is necessary to protect the public from serious harm from the offender » (est nécessaire pour protéger le public du délinquant). Or, cette approche dualiste, que l’on qualifie de bifurcation, tente d’infliger des peines diverses qui correspondent au plus près possible à la gravité du délit. Ainsi, l’article 2(2)(a) prévoit que la peine infligée devrait être « for such term (not exceeding the permitted maximum) as in the opinion of the court is commensurate with the seriousness of the offence »87. L’article 1(2) indique que :

‘The court shall not pass a custodial sentence on the offenders unless it is of the opinion (a) that the offence, or the combination of the offence and one other offence associated with it, was so serious that only such a sentence can be justified for the offence ; or b) where the offence is a violent or sexual offence, that only such a sentence would be adequate to protect the public from serious harm from him88.’

Cette approche dualiste explique pourquoi la loi n’a pas réussi à réduire la population carcérale, en dépit des intentions des législateurs89. Au contraire, après avoir baissé de 50 000 en 1987-88 à 42 500 en 199190, la population a vite repris sa trajectoire à la hausse, ne diminuant que temporairement entre la fin de 1992 et le milieu de 199391. Contrairement aux intentions des auteurs de la loi de 1991 qui tentaient de limiter la latitude des juges dans la politique de détermination des peines92, l’article 1(2) a été interprété de façon très large. Le concept de seriousness – gravité – n’a pas été défini par la loi, laissant ainsi toute liberté aux juges de le définir comme bon leur semblait. Dans l’affaire Keogh (1994) 15 Cr. App. R. (S) 27993, la cour d’appel a considéré qu’un prévenu jugé coupable d’avoir dérobé des biens d’une valeur de £ 35 dans un magasin de bricolage méritait une peine d’incarcération d’un mois, son infraction constituant un délit grave. La cour appliquait le test de gravité élaboré par Lord Taylor dans l’affaire Cox (1993) 14 Cr. App. R. (S) 479. D’après Taylor, le tribunal doit se demander s’il s’agit d’un type de délit qui « would make right-thinking members of the public, knowing all the facts, feel that justice had not been done by the passing of any sentence other than a custodial one »94.

Étant donné que l’on considère que l’atmosphère est devenue plus punitive au cours de ces dernières années – le juge dans l’affaire Keogh y fait explicitement référence –, il est facile de voir comment un test aussi subjectif peut contribuer à une explosion de la population carcérale. De même, la loi ne prévoit pas exactement comment un tribunal pourrait déterminer si le délinquant pose un risque de « serious harm » au public, cela malgré le fait que la dangerosité est notoirement difficile à prédire95. Contrairement à l’intention du gouvernement, telle qu’elle a été énoncée dans le rapport officiel intitulé Crime, Justice and Protecting the Public 96,qui a précédé la loi de 1991, les juges n’ont pas reçu de consignes législatives claires concernant la détermination des peines. En effet, la formulation peu soignée de la loi fait qu’elle a laissé beaucoup de latitude aux juges pour interpréter la législation comme ils le voulaient. En général, ils ont adopté une définition négative du principe de proportionnalité des peines, ce qui l’a rendu incapable de réduire la population carcérale. Ils appliquaient la « bifurcation punitive ». Ce terme a été forgé par les criminologues britanniques Michael Cavadino et James Dignan pour décrire la tendance, répandue dans les années 1990, de la politique pénale à insister sur le côté punitif des peines de substitution97. Considérant son incapacité à réduire la population carcérale, la loi de 1991 s’est bien révélée être un « penological disaster »98.

Les juges ne sont pas les seuls à avoir favorisé une interprétation négative du principe de proportionnalité. Le gouvernement britannique lui-même a changé de position : voulant se montrer stricts en matière pénale, tous les gouvernements, qu’ils aient été conservateurs ou travaillistes, ont fait voter de nombreuses lois qui adoptaient une définition punitive du concept du juste dû. La loi sur la justice pénale de 1993 a marqué un tournant, rejetant le principe de parcimonie inhérent à la loi de 1991. Depuis cette date, on détecte des tendances qui menacent le principe de proportionnalité des peines, encourageant ainsi l’inflation carcérale : l’accent mis non seulement sur l’infraction pour laquelle le délinquant est poursuivi en justice mais aussi sur toute infraction antérieure à laquelle elle peut être associée ; l’imposition de peines minimales automatiques pour un nombre croissant d’infractions ; la création de peines « exceptionnelles » et disproportionnées pour ceux que l’on considère comme « dangereux ».

D’après la loi de 1991, un tribunal, lorsqu’il jugeait de la gravité du délit, pouvait prendre en compte deux délits liés au délit actuel. L’article 66(1) de la loi de 1993 a aboli cette règle, permettant désormais au tribunal de prendre en compte tout autre délit commis par l’accusé pourvu qu’il soit en rapport avec le délit pour lequel il est jugé. Cela signifie que rien n’empêche le juge de regrouper toute une série de délits non sérieux et de décider qu’ensemble ils méritent la détention99. Il semblerait que la définition de la gravité d’un délit ait été exploitée au maximum par cette loi. La même définition paraît être reprise dans le rapport consultatif de Halliday100 de 2001, qui a précédé la loi sur la justice pénale de 2003, alors même que ce document était censé mettre l’accent sur le juste dû. Le rapport propose qu’on adopte « a clear presumption that sentencing severity should increase as a consequence of sufficiently recent and relevant previous convictions »101, ce qui contredit le principe de proportionnalité des peines102. L’article 143(2) de la loi de 2003 adopte cette recommandation : il prévoit que, pour déterminer la gravité d’une infraction commise par un délinquant qui a au moins une condamnation antérieure, le tribunal doit considérer chaque condamnation comme un facteur aggravant du moment qu’elle est pertinente et récente. Pour Geoff Dobson, le directeur adjoint du Prison Reform Trust, cela signifie un double châtiment, exposant les ex-délinquants à de graves erreurs judicaires et renversant le principe selon lequel on est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire103.

L’idée que l’on peut désormais être condamné non seulement pour l’infraction actuelle mais aussi pour toute infraction antérieure a été portée à ses limites dans l’adoption des peines surnommées peines plancher (three strikes). Jusqu’en 1997, il n’existait qu’une seule peine minimale obligatoire dans le droit anglais – celle de la condamnation à perpétuité pour meurtre (mise en place par la loi sur le meurtre – qui abolit la peine de mort – de 1965). En 1997, la loi sur les peines a créé des peines minimales obligatoires pour les cambrioleurs et les trafiquants de drogue récidivistes, ainsi que pour les délinquants récidivistes coupables de crime sexuel ou de violence. L’article 3 prévoit une peine minimale d’au moins sept ans pour un délinquant condamné à la troisième reprise pour trafic de drogues de classe « A », à moins qu’une telle peine ne soit considérée comme injuste. L’article 4 oblige le tribunal à infliger une peine minimale de trois ans à un délinquant condamné pour la troisième fois pour cambriolage domestique. Andrew Rutherford note que le ministère de l’Intérieur a estimé que cette dernière peine pourrait immédiatement augmenter la population carcérale de 4 000 personnes. D’ailleurs, il craint qu’elle puisse provoquer un durcissement général des peines, tant que les juges cherchent l’uniformité dans l’application des peines104. Mais encore plus significatif pour son impact inflationniste sur la population carcérale est l’article 2, qui exige que le juge impose une peine à perpétuité lorsqu’un délinquant est condamné pour sa deuxième infraction violente ou sexuelle, à moins qu’il y ait des circonstances exceptionnelles. Pour les infractions commises après le 4 avril 2005, la loi de 2003 prévoit que cette peine soit remplacée par une peine de protection publique – la Indeterminate Sentence for Public Protection (IPP) – qui condamne des délinquants sexuels et violents à une peine d’incarcération minimale après l’expiation de laquelle ils peuvent rester en prison jusqu’au moment auquel le Parole Board (le conseil britannique chargé d’étudier les dossiers de mise en liberté conditionnelle) juge qu’il ne pose plus de risque au public. La peine est semblable à la nouvelle peine française de « rétention de sureté » mais elle s’applique à un éventail de peines plus important. En effet, au Royuame-Uni la portée des peines IPP est beaucoup plus large qu’auparavant : alors que la peine two strikes pouvait être déclenchée par une deuxième condamnation pour l’un des onze crimes classés, désormais 153 délits – de la rixe aux crimes plus graves tels que l’homicide involontaire105 – pourraient susciter une peine d’IPP, pourvu que le délinquant soit considéré comme un danger public. En pratique, les infractions qui ont attiré une telle peine n’ont pas été très graves : seules 28 des 707 premières peines d’IPP ont été infligées pour des crimes contre des enfants ; 40 l’ont été pour des viols ; mais la plus grande partie d’entre les condamnés, 284 ou 40 % du total, ont reçu des peines d’IPP pour vol, quasiment tous pour la criminalité de rue (street crimes) ou des agressions106.

Une peine d’IPP étant indéterminée, sa durée peut varier de quelques mois à vie, mais elle est plus souvent longue que courte. Le juge doit fixer la période minimum à purger avant qu’une libération éventuelle puisse être examinée par le Parole Board – ce qu’on appelle le « tariff » en droit anglais. En fixant ce tariff, le juge doit déterminer la peine qu’on aurait infligé s’il ne s’agissait pas d’une peine d’IPP, puis la réduire par moitié afin de prendre en compte le fait qu’un délinquant non-dangereux aurait été automatiquement mis en liberté conditionnelle après avoir purgé la moitié de sa peine. En outre, il pourrait accorder au délinquant une remise de peine s’il a plaidé coupable ou afin de prendre en compte le temps déjà passé en détention provisoire. Par conséquent, le délinquant aura le droit de solliciter une mise en liberté conditionnelle aussitôt qu’il est envoyé en prison. Cela rend le travail du Parole Board quasiment impossible, étant donné qu’il n’a pas le temps d’évaluer le délinquant afin de déterminer le risque qu’il représente pour le public. Autre conséquence, le surpeuplement carcéral augmentera, les places dans les institutions qui essaient de « soigner » le comportement criminel seront limitées, et les détenus seront obligés de passer plus de temps en détention afin d’attendre qu’une telle place se libère avant qu’ils puissent être relâchés107. En août 2007 le tribunal de grande instance a décrété que cette pratique était « arbirtary, unreasonable and unlawful »108. Les peines d’IPP ont provoqué une hausse importante des effectifs carcéraux. Le nombre de personnes condamnées à une telle peine a augmenté de 31 % de janvier 2006 à janvier 2007109. D’après le président du Parole Board, on prévoit que la population des condamnés IPP augmentera encore jusqu’à atteindre 12 500 personnes en 2011110. Depuis l’entrée en vigueur de la peine en avril 2005, elle a été infligée plus de 2 000 fois111. Le graphique ci-dessous montre très clairement la hausse du nombre de peines d’IPP ainsi que du nombre de peines à perpétuité infligées depuis 1999. Le Sentencing Guidelines Council – organisme consultatif créé par la loi de 2003 pour fournir aux juges des conseils relatifs à la détermination des peines – considère que la prolifération des peines à perpétuité s’explique en grande partie par la mise en place de la peine automatique à perpétuité pour le deuxième crime sexuel ou de violence créée par la loi sur les peines de 1997112.

Fig. 4 : L’utilisation comparée des peines à perpétuité et des peines d’IPP Source : Ministry of Justice, Offender Management Caseload Statistics 2006 [en ligne], décembre 2007, p. 73. Disponible sur : http://www.justice.gov.uk/docs/omcs2006.pdf [page consultée le 23 juillet 2008].

Un autre aspect inquiétant des peines indéterminées est qu’on peut être écroué non seulement à cause d’un comportement criminel actuel mais également sur la base des prévisions de risque futur. Cette idée n’est pas nouvelle. Déjà, dans les années 1860, le problème du criminel récidiviste attirait l’attention des décideurs politiques qui, en 1869, ont fait voter une loi contre les criminels récidivistes (The Habitual Criminals Act). Désormais, certains types de délinquants récidivistes étaient placés sous surveillance policière pendant les sept ans suivant leur remise en liberté et écroués si un magistrat considérait qu’ils se portaient de façon « suspecte » ou s’ils n’étaient pas en mesure de prouver qu’ils gagnaient leur vie par des moyens honnêtes114. Ensuite, en 1908, le principe a été élargi et incorporé dans la loi sur la prévention de la criminalité (The Prevention of Crime Act). Cette loi, en dépit des principes du classicisme, a créé une peine indéterminée pour ceux qui avaient déjà effectué une peine de trois ans de servitude pénale115. Mais en raison de la réaction viscérale des Anglais, longtemps partisans de l’idée de libre arbitre, la peine a largement échoué. Elle a été critiquée par Winston Churchill –lorsqu’il était membre du cabinet d’Asquith – qui s’inquiétait des résultats arbitraires du système à cause de son mépris pour le principe de proportionnalité entre délit et châtiment116. En outre, les juges se sont montrés réticents à infliger de telles peines, la plupart d’entre eux imposant la période la plus courte possible117. En 1921, la peine n’avait été infligée qu’à 577 détenus depuis sa création en 1908. Entre 1922 et 1928 seulement 31 délinquants par an en moyenne furent envoyés à Camp Hill, la prison qui avait été spécialement construite pour incarcérer les délinquants récidivistes condamnés par la loi de 1908118. Néanmoins, lorsque l’utilisation de la peine a été évaluée par un comité départemental en 1932, on découvrit que, tout comme Churchill l’avait prévu, la majeure partie de ceux qui étaient condamnés à une telle peine n’étaient pas dangereux, mais « men of little mental capacity or strength […] whose frequent convictions testify as much to their clumsiness as their persistence in crime »119. La seconde tentative pour imposer une peine préventive, avec la loi sur la justice pénale de 1948, s’est révélée elle aussi très injuste. En 1963, une enquête parlementaire réalisée par l’Advisory Council on Sentencing (conseil consultatif sur les peines) a conclu que la plupart des personnes condamnées à cette peine n’étaient pas des prédateurs dangereux mais « passive inadequate deviants » et la loi fut abrogée en 1967120.

Ainsi que nous l’avons déjà vu121, la plupart des délinquants visés par la nouvelle peine de détention préventive de 2003 ne sont pas réellement dangereux non plus. D’ailleurs, les méthodes de prévision du risque ne se sont pas beaucoup améliorées. Le système exploité aujourd’hui est l’Offender Assessment System (OASys) qui évalue la probabilité de récidivisme du délinquant, les facteurs criminogènes qu’on associe avec le récidivisme, et le danger qu’il représente pour le public. Il a été progressivement adopté par l’Administration pénitentiaire à partir d’avril 2003122 malgré le fait que certains doutent de son exactitude. Un rapport officiel sur l’affaire Anthony Rice (qui a tué une femme en octobre 2005 alors qu’il avait été mis en liberté conditionnelle) considère que l’OASys est « probably the most advanced tool for this purpose [risk assessment] in the world », tout en admettant que « like all such tools its value depends largely on the skill of the people using it as well as the efficiency of the IT system it runs on »123. Dans cette affaire, le système n’avait pas bien rempli son rôle de protection du public, mais il peut également aboutir à la détention inutile de ceux qui ne posent aucun danger. Rose cite un article très récent, écrit par Diana Fitzgibbon124, qui indique que des praticiens peu expérimentés travaillant sous contraintes budgétaires peuvent exagérer le risque présenté par les délinquants qui sont placés sous leur surveillance125.

Tout cela semble prouver le potentiel punitif des peines indéterminées, que l’on pourrait considérer comme des peines disproportionnées allant directement à l’encontre du principe de proportionnalité. En effet, depuis 1991, le principe a été interprété de façon tellement négative qu’il a perdu tout son sens originel et, par conséquent, sa capacité de modérer la dimension punitive dans la détermination des peines. La loi de 2003 semble adhérer au principe de proportionnalité lorsqu’elle prévoit dans l’article 153 qu’une peine d’incarcération doit être calculée pour la durée la plus courte possible en proportion de la gravité du délit. Pourtant, on a vu qu’il y a d’autres articles, notamment les articles 225 et 226, qui créent des peines indéterminées. En outre, lorsqu’elle a, pour la première fois, énoncé les buts principaux de la détermination des peines, la loi a explicitement omis le principe de proportionnalité (elle ne cite que le châtiment du délinquant ainsi que sa réforme et son amendement, la réduction de la criminalité, la protection du public et la facilitation de la réparation par le délinquant). De même, le principe de bifurcation a été dilué : au lieu de faciliter l’imposition de peines légères pour certains et de peines strictes pour d’autres, il semblerait que dans certains cas on impose maintenant des peines strictes pour des petits délinquants et des peines encore plus strictes pour les auteurs d’actes de criminalité plus graves. On a vu que même ces premiers peuvent être écroués pour des peines indéterminées. L’impact sur la population carcérale a été très sensible. Non seulement les peines sont devenues plus longues mais plus de personnes sont actuellement écrouées. On étudiera maintenant l’influence de l’érosion des procédures de protection et de l’application de plus en plus stricte des peines sur le nombre de personnes en prison.

Notes
80.

Christopher Harding et al., op. cit., pp. 109-110. Barbara A. Hudson, Understanding Justice : An introduction to ideas, perspectives and controversies in modern penal theory, Buckingham, OUP, 2003, p. 19.

81.

« Pour que tout châtiment ne soit pas un acte de violence exercé par un seul ou par plusieurs contre un citoyen, il doit essentiellement être public, prompt, nécessaire, proportionné au délit, dicté par les lois, et le moins rigoureux possible dans les circonstances données. » (Mes italiques) In Cesare Beccaria, Traité des délits et des peines, d’après la traduction de l’Italien par M. Chaillou de Lisy, Paris 1773, numérisé par J.-M. Tremblay et accessible en ligne sur : http://classiques.uqac.ca/classiques/ beccaria/traite_delits_et_peines/beccaria_delits_et_peines.pdf [page consultée le 6 août 2008]. Citation anglaise de On crimes and punishment, extraite de John Muncie, Eugene McLaughlin et Mary Langan (éds.), Criminological Perspectives : A Reader,Londres, Sage, 1996, p. 13.

82.

Leon Radzinowicz et Roger Hood, op. cit.

83.

Sean McConville, op. cit., p. 80.

84.

Avec la limitation des peines capitales (la peine de mort fut abolie pour tout délit à l’exception du meurtre et la trahison par la loi de 1861 relatif aux atteintes à la personne [« Offences Aginst the Person Act »]) et la fin du transport des forçats vers les bagnes coloniaux en 1867, les cours et les tribunaux avaient de plus en plus recours à l’emprisonnement. Donc, la population des forçats a augmenté de 2223 en 1839 à 3635 en 1847 (Sean McConville, op. cit., p. 198). Le nombre de personnes sous écroue dans les prisons locales a augmenté de 141 970 en 1857 à 187 412 en 1877 (Sean McConville, op. cit., p. 198). À partir de 1895, par contre, la population carcérale a baissé de façon importante : cf. Victor Bailey, « English Prisons, Penal Culture, and the Abatement of Imprisonment, 1895-1922 », The Journal of British Studies, 1997, vol. 36, n° 3, pp. 318-322.

85.

David Garland, The Culture of Control  : Crime and Social Order in Contemporary Society, Oxford, Oxford University Press, 2001, p. 9.

86.

Laurence Koffman, « The Rise and Fall of Proportionality : The Failure of the Criminal Justice Act 1991 », Criminal Law Review,2006, p. 281.

87.

« […] pour une durée (n’excèdant pas le maximum prévu) proportionnée selon l’avis du tribunal à la gravité de l’infraction ».

88.

« Le tribunal ne prononcera pas la peine carcérale à moins d’être convaincu (a) que la gravité de l’infraction, ou la conjugaison d’infractions y concourant, justifient cette incarcération ; ou (b) en cas d’infraction à caractère sexuel ou violent, que seule une telle peine serait à même de protéger le public du mal que l’agresseur pourrait lui faire. »

89.

L’article 1(2) de la loi de 1991 a clairement cherché à limiter le recours des tribunaux à l’emprisonnement dans le cas des petits délinquants. En effet, le livre blanc qui a abouti à la loi, Crime, Justice and Protecting the Public (op. cit.), a favorisé l’imposition des peines alternatives à l’incarcération, reconnaissant que la prison n’est pas le meilleur endroit pour encourager l’amendement du délinquant.

90.

David Downes et Rod Morgan, op. cit.,p. 86.

91.

National Statistics Office, Prison Population 1990-2002 : Social Trends 33 [en ligne]. Disponible sur : http://www.statistics.gov.uk/STATBASE/Expodata/Spreadsheets/D6361.xls [page consultée le 30 avril 2007].

92.

Home Office, Crime, Justice and Protecting the Public, op. cit., p. 5.

93.

L’abréviation « Cr. App. R. (S) » signifie que l’affaire a été signalé dans les « Criminal Appeal Reports (Sentencing) », la référence officielle pour toutes les affaires en appel jugées à la Chambre des lords, le « Privy Council » (la Cour suprême pour certains membres du Commonwealth), la cour d’appel (section pénale) et la juridiction d’appel rattachée à la « High Court » (tribunal de grande instance).

94.

« […] amènerait les gens bien-pensants, et ayant connaissance de tous les faits, à considérer que la justice ne pourrait être rendue que si une peine d’incarcération était prononcée », cité par Andrew Ashworth et Michael Hough, « Sentencing and the Climate of Opinion », op. cit., p. 783.

95.

H. J. Steadman et J. Cocozza, « Psychiatry, Dangerousness and the Repetitively Violent Offender », Journal of Criminal Law and Criminology, 1978, vol. 69, n° 2 : 226-231.

96.

Op. cit.,p. 5.

97.

Michael Cavadino et James Dignan, Penal Systems : A Comparative Approach, London, Sage, 2006, p. 66.

98.

« [...] un désastre pénologique », in Michael Cavadino, Iain Crow et James Dignan, Criminal Justice 2000, op. cit., p. 71.

99.

Andrew Ashworth et Bryan Gibson, « Altering the Sentencing Framework », Criminal Law Review, 1994, pp. 102-3.

100.

John Halliday, Making Punishment Work, op. cit.

101.

« […] une présomption évidente que les peines tendraient à devenir plus sévères, dans la foulée d’autres condamnations suffisamment récentes et semblables », ibid.,§ 2.7, p. 13.

102.

Estella Baker et C. M. V. Clarkson, « Making Punishments Work ? An Evaluation of the Halliday Report on Sentencing in England and Wales », Criminal Law Review,2002, p. 91.

103.

Geoff Dobson, « Custody Plus or Minus ? », Safer Society,NACRO, printemps 2003, n° 16, p. 16.

104.

Andrew Rutherford, « Three Strikes for Domestic Burglars », New Law Journal,1999 : 82.

105.

Cf. annexe 15 de la loi sur la justice pénale de 2003. « Criminal Justice Act 2003 » [en ligne], Queen’s Printer of Acts of Parliament, 2003. Disponible sur : http://www.opsi.gov.uk /acts/acts2003/20030044.htm [page consultée le 30 avril 2007].

106.

David Rose, « Locked up to make us feel better », The New Statesman [en ligne],19 mars 2007. Disponible sur : http://www.newstatesman.com/200703190027 [page consultée le 30 avril 2007].

107.

Discours prononcé par le Professor Sir Duncan Nichol, président du Parole Board, au Centre for Crime and Justice Studies [en ligne],King’s College, Londres, 14 décembre 2006. Disponible sur : http://www.kcl.ac.uk/depsta/rel/ccjs/who-should-we-release-2006.doc [page consultée le 30 avril 2007].

108.

« […] arbitraire, excessive et illégale », in Alan Travis, « Inmates left in limbo by failures in new sentences - judges », The Guardian [en ligne],1 août 2007. Disponible sur : http://www.guardian.co.uk/prisons/story/0,,2139021,00.html [page consultée le 3 août 2007].

109.

Home Office, Population in Custody : Monthly Tables [en ligne],2007. Disponible sur : http://www.homeoffice.gov.uk/rds/pdfs07/prisjan07.pdf [page consultée le 30 avril 2007].

110.

Duncan Nichol, op. cit.

111.

David Rose, op. cit.

112.

The Sentencing Guidelines Council, « The Sentence », The Sentencing Guidelines Newsletter, 2006, vol. 4, op. cit., p. 3.

113.

Source : Ministry of Justice, Offender Management Caseload Statistics 2006 [en ligne], décembre 2007, p. 73. Disponible sur : http://www.justice.gov.uk/docs/omcs2006.pdf [page consultée le 23 juillet 2008].

114.

Neil Davie, Tracing the Criminal : The Rise of Scientific Criminology in Britain, 1860-1918, Oxford, The Bardwell Press, 2005, pp. 90-91.

115.

Leon Radzinowicz et Roger Hood, The Emergence of Penal Policy in Victorian and Edwardian England,Oxford, Clarendon Press, 1990, p. 275.

116.

Ibid.,p. 283.

117.

Ibid.,p. 282. Victor Bailey, « English Prisons, Penal Culture, and the Abatement of Imprisonment, 1895-1922 », op. cit., p. 302.

118.

Leon Radzionwicz et Roger Hood, op. cit.,p. 287.

119.

« […] des hommes aux faibles capacités mentales […] dont les condamnations répétées attestent autant leur maladresse que leur persistance dans la criminalité », cité par David Rose, op. cit.

120.

« […] des anormaux inadaptés passifs », ibid.

121.

Voir supra.,p. 38.

122.

National Probation Service for England and Wales, OASys : The New Offender Assessment System [en ligne], 2003. Disponible sur : http://www.probation.homeoffice.gov.uk/files/pdf/
Info%20for%20sentencers%203.pdf [page consultée le 30 avril 2007].

123.

HM Inspectorate of Probation, An Independent Review of a Serious Further Offence Case : Anthony Rice [en ligne], Londres, HMSO, 2006, p. 69. Disponible sur : http://inspectorates. homeoffice.gov.uk/hmiprobation/inspect_reports/serious-further-offences/AnthonyRiceReport.pdf?view=Binary [page consultée le 30 avril 2007].

124.

Diana Fitzgibbon, « Risk Analysis and the New Practitioner : Myth or reality ? », Punishment and Society,2007,vol. 9, n° 1 : 87-97.

125.

David Rose, op. cit.