b) L’application stricte des peines

S’assurer que les conditions des peines soient respectées est un des principaux moyens par lequel le gouvernement britannique cherche désormais à inspirer confiance dans le système pénal au public, rééquilibrant ainsi le système en faveur de ceux qui respectent la loi. En effet, sous la tête de chapitre « Putting law-abiding people and communities first » (« Faire passer les collectivités et les gens respectueux des lois avant tout »), l’administration néo-travailliste a promis, dans son rapport d’enquête sur le système pénal de 2006, de se montrer encore plus ferme avec les délinquants. Avec la promulgation de la loi de 2003, les agents de probation devaient déjà obligatoirement signaler au tribunal la violation des conditions d’une peine et les juges étaient désormais contraints d’infliger une nouvelle peine au délinquant. En outre, le rapport propose d’accélérer le rappel en prison de ceux qui ont été mis en liberté conditionnelle s’ils ne respectent pas les conditions de cette dernière158. L’impact de ces mesures sur la population carcérale a été significatif : un rapport du Prison Reform Trust de 2005 a établi que depuis cinq ans le nombre de personnes rappelées en prison s’est multiplié par trois, de 2 337 personnes en 2000-2001 à 8 103 en 2003-2004. Il considère que cette hausse s’explique en grande partie par le nombre croissant de rappels de ceux qui ont été libérés automatiquement après avoir purgé la moitié de leur peine159, prouvant ainsi que, contrairement à l’avis de la presse populaire, ce nouveau système peut être plus punitif que l’ancien système de remise en liberté conditionnelle en vertu duquel on ne surveillait le délinquant que jusqu’à ce qu’il ait purgé les deux-tiers de sa peine160.

D’ailleurs, on envoie de plus en plus de personnes en prison pour avoir violé les conditions de peines qui sont à la base non privatives de liberté, c’est-à-dire des peines de substitution. Depuis la promulgation de la loi de 2003 en avril 2005, il existe actuellement une seule peine de ce type en Angleterre et au pays de Galles : la Single Community Order. Elle a été proposée par John Halliday dans son rapport d’enquête sur la structure des peines de 2001 afin de simplifier le système161. Il existait à cette date un grand nombre de peines similaires, comme les ordonnances de probation, les ordonnances de couvre-feu et les peines exigeant un travail d’intérêt public. Halliday a proposé de les remplacer par le Single Community Order qui permet aux juges de composer une peine personnalisée, adaptée aux besoins spécifiques du délinquant. La peine peut exiger que le délinquant assiste à des programmes visant à l’amendement du délinquant, ce qui inclut des traitements pour l’accoutumance à la drogue ou à l’alcool ; elle peut également exiger le travail obligatoire ou des mesures de restriction et d’obligation, telles que le couvre-feu, l’exclusion, la surveillance électronique… Le juge sélectionne autant de conditions qu’il estime appropriées dans une liste de douze. Lorsqu’un délinquant ne respecte pas les conditions qu’on lui a imposées, en l’absence d’excuse légitime, son agent de probation peut soit lui donner un avertissement, soit engager des poursuites à son encontre. Si cela se produit une deuxième fois dans un délai de douze mois, son agent est obligé d’entamer des poursuites. Le juge doit imposer des conditions supplémentaires plus dures ou annuler la peine et en infliger une nouvelle. Même avant que cette peine soit entrée en vigueur, Geoff Dobsona noté que les juges pourraient « surcharger » le délinquant de conditions qu’il aura du mal à respecter162. Plus récemment, un rapport publié par le Centre for Crime and Justice Studies de King’s College, Londres, a formulé les mêmes inquiétudes : alors qu’il n’existe pas encore de statistiques concernant le non-respect de ces peines, les auteurs considèrent qu’il est probable que le nombre de personnes emprisonnées pour de telles infractions augmentera, surtout en raison du climat punitif actuel163. En effet, bien des délinquants ont du mal à respecter même les conditions les plus simples. Étant donné que beaucoup d’entre eux mènent des vies chaotiques, ils ont tendance à manquer des rendez-vous, plutôt par simple incapacité qu’à dessein164.

Le Suspended Sentence Order, peine également créée par la loi de 2003, a déjà eu un impact significatif sur le taux d’incarcération en raison de son application très stricte. En effet, c’était l’intention du gouvernement qu’une peine d’emprisonnement soit infligée pour tout manquement d’obligation stipulée par l’ordonnance et que la peine devait être appliquée à un plus grand nombre de délinquants qu’une simple condamnation avec sursis165. Le Suspended Sentence Order est en théorie une peine de prison mais elle n’est infligée que lorsqu’un délinquant ne respecte pas les conditions de la peine qui sont les mêmes que celles que les tribunaux peuvent imposer pour le Single Community Order. La condamnation avec sursis a été créée pour la première fois par la loi sur la justice pénale de 1967 dans le but de limiter le nombre de personnes envoyées en prison pour des peines de courte durée. Mais elle était peu utilisée par les tribunaux et les lois de 1972, 1991 et 2000 ont cherché à limiter son application encore davantage. Roberts remarque qu’en 2001 « the sanction was effectively on life support »166. La nouvelle peine a été en revanche beaucoup utilisée, dépassant toutes les attentes du ministère de l’Intérieur167. Un rapport du ministère, divulgué à The Observer en décembre 2006, note que presque 3 000 Suspended Sentence Order s sont infligés chaque mois168. Mais, tout comme les autres, il semble que cette nouvelle peine n’aura aucun effet déflationniste sur la population carcérale. Au contraire, en dépit des buts originels du ministère, elle a déjà contribué à une hausse importante des effectifs emprisonnés. D’après le même rapport, 800 personnes ont été envoyées en prison pour avoir enfreint leurs ordonnances entre janvier et août 2006, comparé à seulement 132 pour toute l’année 2005169. Cela s’explique par le fait que la nouvelle peine, comme le Single Community Order, exige que le délinquant respecte un certain nombre de conditions, sous peine d’être envoyé automatiquement en prison. Malgré ce risque élevé d’incarcération, le rapport du Centre for Crime and Justice Studies a établi que les tribunaux ont tendance à imposer des conditions plus lourdes pour les Suspended Sentence Order s que pour les Single Community Order s 170.

Que ces nouvelles peines aient eu un impact inflationniste sur la population carcérale ne devrait étonner personne. En effet, ces peines ne peuvent avoir un effet réductionniste sur cette population que si elles sont considérées comme des alternatives et non pas des peines supplémentaires aux peines d’emprisonnement171. Comme Ashworth, entre autres, le fait remarquer : « History shows that simply adding new non-custodial options has not led to reduced use of imprisonment172. » Au contraire, il y a un risque de netwidening – d’élargissement du filet de contrôle – lorsque les nouvelles peines aboutissent, intentionnellement ou non, à l’incarcération de personnes auxquelles on aurait auparavant infligé une moindre peine, telle qu’une amende, ou des personnes qui ne seraient jamais passées devant un tribunal. En effet, presque la moitié des personnes emprisonnées pour non-respect de leurs Suspended Sentence Order s sont coupables de petites infractions, telle que la conduite sans permis, qui n’attirent normalement pas de peines d’incarcération173. Dans son discours lors du colloque du centenaire du Probation Service en mai 2007, Lord Phillips a annoncé que le système de rappel automatique représente, par conséquent, une « trapdoor to prison »174. L’argument du netwidening n’est pas nouveau : Garland175 et Foucault176, dans leurs études sur l’histoire de la politique pénale, affirment que l’élargissement de l’éventail des peines au début du XXe siècle, alors qu’elles avaient l’air d’être moins punitives qu’auparavant, visait à contrôler un nombre croissant de personnes au moyen du droit pénal. Ces arguments seront examinés dans la deuxième partie du chapitre mais on peut d’ores et déjà dire ici que, contrairement aux déclarations gouvernementales répétées selon lesquelles il chercherait à lutter contre la criminalité avec les nouvelles méthodes du XXIe siècle177, l’application stricte de ces nouvelles peines représente plutôt un retour au début du XXe siècle. Mais la nouveauté réelle est que l’effet du netwidening risque d’être encore plus marqué que dans le passé étant donné que les procédures protection traditionnelles ont été fortement limitées. Dans ce sens, on peut affirmer que l’application stricte des peines est encore un signe d’un nouveau durcissement en matière pénale.

Il semble bien qu’il y ait une tendance vers le durcissement des peines, même si certaines réformes auraient pu, dans un climat moins punitif, aboutir à une baisse de la population carcérale, notamment la remise en liberté automatique prévue par la loi de 2003 et la création d’une nouvelle peine non privative de liberté spécifiquement adaptée aux besoins de l’individu. Il paraît impossible de dissocier les changements législatifs que l’on vient d’étudier – concernant l’application et la détermination des peines – de l’explosion carcérale en Angleterre, mais il faut aussi étudier l’impact d’autres changements, et surtout l’élargissement de la définition de la criminalité, qui risquent de prendre davantage de personnes au piège du filet pénal.

Notes
158.

Home Office, Rebalancing the Criminal Justice System in Favour of the Law-abiding Majority, op. cit.,p. 21.

159.

Prison Reform Trust, Recycling Offenders Through Prison [en ligne], mai 2005, p. 5. Disponible sur : http://www.prisonreformtrust.org.uk/pdf%20files/Recalls_Document_AWK4.pdf [page consultée le 30 avril 2007].

160.

Voir supra.,p. 27.

161.

Home Office, Making Punishments Work, op. cit.

162.

Geoff Dobson, op. cit., p. 16.

163.

George Mair, Noel Cross et Stuart Taylor, The Use and Impact of the Community Order and the Suspended Sentence Order [en ligne],Centre for Crime and Justice Studies, 2007, p. 25. Disponible sur : http://www.kcl.ac.uk/depsta/rel/ccjs/impact-community-order-2007.pdf [page consultée le 30 avril 2007].

164.

Julian Broadhead, « What price the third option ?  », New Law Journal,2002, p. 209.

165.

Home Office, Justice for All [en ligne], Cm 5563, 2002, pp. 93-94. Disponible sur : http://www.cjsonline.gov.uk/downloads/application/pdf/CJS%20White%20Paper%20-%20Justice%20For%20All.pdf [page consultée le 2 juin 2008].

166.

« […] la sanction était en réalité dans un état très critique », in Julian, V. Roberts, « Evaluating the Pluses and Minuses of Custody : Sentencing Reform in England and Wales », The Howard Journal,2003, vol. 42, n° 3, p. 232.

167.

George Mair et al., op. cit.,p. 17.

168.

Jamie Doward, « Strategy to empty jails backfires », The Observer [en ligne],3 décembre 2006. Disponible sur :http://observer.guardian.co.uk/uk_news/story/0,,1962768,00.html [page consultée le 30 avril 2007].

169.

Ibid.

170.

George Mair, et al., op. cit.,pp. 18-19.

171.

Anne Worrall, Punishment in the Community : The Future of Criminal Justice, Harlow, Longman, 1997, pp. 149-150.

172.

« L’histoire montre que la seule création de peines non privatives de liberté ne concourt pas à réduire le recours à l’incarcération. » In Andrew Ashworth, Custody Reconsidered : Clarity and Consistency in Sentencing, Policy Study n° 104, Londres, Centre for Policy Studies, 1989, p. 12.

173.

Jamie Doward, op. cit.

174.

« […] une trappe vers la prison », in Alan Travis, « Top judge attacks “trapdoor to prison” » The Guardian [en ligne], 3 mai 2007. Disponible sur : http://www.guardian.co.uk/prisons/ story/0,,2071143,00.html [page consultée le 3 mai 2007].

175.

David Garland, Punishment and Welfare,Aldershot, Gower, 1985.

176.

Michel Foucault, op. cit..

177.

Par exemple, lors du discours prononcé à l’université de Bristol le 23 juin 2006, « The Prime Minister’s Speech on Criminal Justice Reform », The Guardian [en ligne]. Disponible sur : http://politics.guardian.co.uk/homeaffairs/story/0,,1804482,00.html [page consultée le 30 avril 2007].