i) La criminalisation directe

Depuis que le New Labour est arrivé au pouvoir, on estime que son administration a créé plus de 3 000 nouveaux délits pénaux, ce qui représente un délit pour quasiment chaque jour de son mandat178. En comparaison, sous les gouvernements conservateurs de Margaret Thatcher et de John Major, en dépit de leur rhétorique stricte en matière pénale, moins de 500 nouveaux délits sont entrés en vigueur entre 1988 et 1997179. La comparaison est frappante. Même s’il n’y a jamais eu de décompte officiel du nombre de délits pénaux180, la prolifération de la législation pénale sous l’administration néo-travailliste est sans précédent.

Lorsque l’on replace cette tendance récente dans une perspective historique, force est de reconnaître qu’à partir du XVe siècle, mais surtout au XVIIIe siècle, le nombre de lois qui sont entrées en vigueur a explosé avec ce que l’on peut appeler la criminalisation de la coutume181. Des pratiques ouvrières traditionnelles, tolérées depuis longtemps, telles que le droit des tisserands à garder le surplus qui restait à la fin du processus de fabrication182 ou l’autorisation des propriétaires terriens donnée aux paysans de ramasser les épis restés après le moisson (le « glanage » ou gleaning en anglais)183, ont commencé à être traitées comme des délits, voire des crimes, et non plus comme des coutumes. En outre, au cours du XIXe siècle et au début du XXe siècle, nombre de comportements jugés indésirables ont été criminalisés : une loi de 1906 (The Street Betting Act) interdisait de parier dans la rue ; la loi de 1872 sur les licences de vente de vins et de spiritueux (The Licensing Act) prévoyait des peines pour ivresse sur la voie publique ; la loi sur le vagabondage de 1824 (The Vagrancy Act) investissait la police du pouvoir d’arrêter de nombreuses catégories de personnes traînant dans la rue – mendiants, clochards, diseuses de bonne aventure, camelots, prostituées184… La prolifération de la législation criminelle de cette époque pourrait s’expliquer par ce que Weiner appelle « the Victorian character-building enterprise » : le besoin de remodeler le caractère populaire afin de régler des problèmes sociaux tels que la pauvreté et la criminalité185. Pourtant, avec l’élargissement de l’État providence, notamment durant la période de l’après-guerre, on s’est mis à considérer que ces problèmes relevaient du domaine social et non plus du domaine pénal. Par conséquent, dans les années 1950 et 1960, de nombreux délits, tels que le suicide, l’avortement ou bien les paris de rue ont été décriminalisés186.

Mais dans la poursuite de l’offensive menée contre « la société permissive », initiée par Margaret Thatcher, reprise par John Major et par Tony Blair187, cette tendance, à quelques rares exceptions, s’est inversée et un nombre croissant de personnes ont été à nouveau prises au piège du filet pénal. Une grande partie de la nouvelle législation pénale du gouvernement Blair n’affectera qu’une minorité de personnes – par exemple, les lois interdisant la pêche non-autorisée dans la rivière « Lower Esk » en Écosse188, l’importation de pommes de terre polonaises189 et la plongée non-autorisée dans la coque du Titanic 190 –, mais d’autres risquent d’avoir une étendue beaucoup plus large et toucheront certaines catégories de personnes plus que d’autres. En premier lieu, nous étudierons les jeunes, le groupe qui aurait été le plus touché par ces réformes législatives, avant de nous intéresser au cas des autres personnes qui ont davantage été criminalisées au cours de ces dernières années.

Notes
178.

Nigel Morris, « Blair’s “frenzied law-making” : a new offence for every day spent in office », The Independent [en ligne], 16 août 2006. Disponible sur : http://news.independent.co.uk/uk/politics/ article1219484.ece [page consultée le 4 mai 2007].

179.

Ibid.

180.

Lord Rooker, Hansard [en ligne], débat du 11 juillet 2001, vol. 626, col. 1143. Disponible sur : http://www.publications.parliament.uk/pa/ld200102/ldhansrd/vo010711/text/10711-04.htm [page consultée le 4 mai 2007].

181.

John Briggs et al., op. cit.,p. 93.

182.

Ibid., p. 92.

183.

Clive Emsley, op. cit., pp. 122-3.

184.

John Briggs et al., op. cit., pp. 194-201.

185.

Martin Wiener, Reconstructing the Criminal : Culture, Law, and Policy in England, 1830-1914, Cambridge, Cambridge University Press, 1994.

186.

Voir infra., p. 224.

187.

Voir infra., pp. 216-239 ; 359-369.

188.

La loi sur l’Écosse de 1998, acte réglementaire (rivières de la région des Borders) de 1999 (« Scotland Act 1998 (Border Rivers) Order 1999 »).

189.

L’acte réglementaire sur les pommes de terre polonaises de 2004 (« Polish Potatoes (Notification) (England) Order 2004 »).

190.

L’acte réglementaire sur la protection des épaves (RMS Titanic) de 2003 (« Protection of Wrecks (RMS Titanic Order) 2003 »).