a) La criminalisation de la jeunesse

Le jeune délinquant semble aujourd’hui être traité beaucoup plus sévèrement qu’il l’a été pendant la majeure partie du XXe siècle. Si, au XIXe siècle, on pend encore les enfants tout comme les adultes191, à partir des années 1830 on commence à estimer qu’il faut retirer les jeunes du système pénal adulte afin de les protéger de la mauvaise influence des criminels endurcis. En 1835, l’État établit à Parkhurst une prison pour les jeunes condamnés à la déportation vers les bagnes coloniaux192. Puis, en 1854, la loi sur les écoles réformatrices (The Reformatory Schools Act) crée des institutions spéciales auxquelles les magistrats peuvent envoyer tout délinquant ayant moins de 16 ans193. Les conditions de vie dans ces institutions ne sont pas forcément moins punitives qu’elles le sont dans le système pour adultes – la discipline est très stricte, imposant aux détenus un travail exténuant, en silence absolu dans le cas de Parkhurst194 –, mais elles représentent néanmoins une première tentative de placer les jeunes hors du système pénal traditionnel. En effet, alors que les jeunes représentent 10 % de la population carcérale en 1857, vingt ans plus tard ce chiffre n’est plus que de 4 %195. Au début du XXe siècle, l’État commence à se préoccuper davantage de l’assistance aux jeunes délinquants.

Le 28 mai 1894, on nomme le célèbre Gladstone Committee, un comité ministériel d’enquête sur les prisons présidé par Herbert Gladstone196, qui déclare que le régime d’Edmund Du Cane, chef des prisonsde 1869 à 1895197, était « deficient on the reformatory side » (« insuffisant sur le plan de l’amendement »). Le comité recommande que les prisons visent dorénavant à « maintain, stimulate or awaken the higher susceptibilities of prisoners […], develop their moral instincts […], train them in orderly and industrial habits […], turn them out of prison better men and women, both physically and mentally than when they came in »198. Ainsi ce que l’on appelle aujourd’hui le rehabilitative ideal, le principe selon lequel le but primordial de l’incarcération est l’amendement du détenu, a été ressuscité et doté d’une nouvelle importance. Le rapport du comité suscite la mise en place de nouvelles règles avec la loi sur les prisons de 1898, qui remplace, par exemple, la roue à cheville par le travail productif (que l’on considère propice à l’épanouissement de l’esprit des détenus) et qui limite le recours aux châtiments corporels aux seuls cas de violence contre la personne ou encore aux cas de conspiration menant à la mutinerie199.

Dans le prolongement de cette tendance, bon nombre de jeunes sont définitivement retirés du système carcéral adulte avec la création en 1900 des Borstal s – prisons spécialement conçues pour les jeunes entre 16 et 21 ans200. La loi sur la prévention de la criminalité de 1908 (The Prevention of Crime Act) exige la détention de tous les jeunes de cette classe d’âge dans une « borstal », alors qu’ils auraient auparavant été condamnés à une peine d’incarcération ou de servitude pénale. En outre, la loi sur les enfants de 1908 (The Children Act) établit des tribunaux réservés aux jeunes de moins de 16 ans201. Dans l’intérêt de l’amendement du délinquant, son éducation est censée être prioritaire au sein des borstal s, mais la pénibilité du travail et la rigidité de la discipline restent les caractéristiques prédominantes du régime ; c’est pourquoi les borstals sont critiquées pour n’avoir jamais réussi à se différencier de façon significative des prisons adultes202. Le personnel, issu des prisons adultes et habitué à la routine institutionnelle, ne possède pas les compétences nécessaires pour mettre en place un système d’amendement novateur203 et, d’après Stephen Hobhouse et Fenner Brockway204, les borstal s restent sévères et ne parviennent pas à donner aux jeunes l’éducation ou la formation professionnelle requise205.

Il faut attendre la loi sur la justice criminelle de 1948 et le renforcement de l’État providence pour qu’une approche vraiment « sociale » soit adoptée à l’égard des jeunes délinquants. Elle met à la disposition des tribunaux une grande variété de méthodes pour s’attaquer à la criminalité des jeunes : la libération totale ou conditionnelle ; l’obligation de se rendre (périodiquement) aux centres d’amendement et de détention (attendance centre, detention centre) ; des amendes ; la mise en liberté surveillé ; la détention dans une école spéciale (approved school) ou dans une borstal ; l’incarcération206. Par conséquent, un rapport officiel du ministre de l’Intérieur constate en 1960 : « […] the Act took a long step forward in giving effect to the view that persons under 21 ought not to be sent to prison if any other course can properly be adopted207. » D’ailleurs, afin de souligner le caractère social des borstal s – le passage d’une philosophie pénale qui privilégie avant tout le châtiment à une philosophie qui insiste d’avantage sur l’amendement – la loi de 1948 ne parle plus de borstal detention mais de borstal training 208. Cette loi a eu un impact important, aboutissant à une réduction considérable du nombre de jeunes envoyés en prison209 et donnant une expression législative à une approche plus sociale à l’égard des jeunes délinquants. En effet, Sir Lionel Fox, chef de la Prison Commission 210 entre 1942 et 1960, a déclaré à propos de cette loi : « Except in its provisions for the treatment of persistent offenders, it is above all an Act for keeping people out of prison211. »

La majorité des déclarations officielles, au moins jusqu’au début des années 1990, continuent à mettre l’accent sur le besoin d’épargner aux jeunes l’expérience de l’incarcération. Par exemple, un rapport du groupe d’études du Parti travailliste de 1964, Crime – A Challenge to Us All 212, met l’accent sur le traitement et l’assistance sociale des jeunes, hors du système carcéral et, le cas échéant, il recommande que les jeunes passent devant un Family Court dans lequel l’ambiance ne serait pas punitive mais « humaine », où « the welfare of the family as a whole will be a primary consideration »213. En opposition frappante avec le discours punitif actuel, le rapport déclare :

‘We believe that in justice to our children, and for the health and well-being of society, no child in early adolescence should have to face criminal proceedings : these children should receive the kind of treatment they need, without any stigma or any association with the penal system 214 .’

Suite à ce rapport, le gouvernement travailliste de Harold Wilson publie un rapport officiel sur les jeunes et le système pénal – Children in Trouble – dans lequel il recommande la mise en place d’une série de mesures visant à rendre plus difficiles les poursuites en justice contre les jeunes, à l’exception des affaires d’homicide. Ainsi, les enfants âgés entre 10 et 14 ans ne peuvent être poursuivis que devant un tribunal civil et, avant de poursuivre un enfant âgé entre 14 et 17 ans, il faut obtenir du juge d’un tribunal pour enfants une citation à comparaître devant un tribunal pénal215. Cette dernière condition est à son tour soumise à d’autres conditions, notamment l’obligation pour le juge de prendre en compte la gravité du délit, la notification des autorités locales de la décision d’engager des poursuites216… En somme, le but est clairement de décriminaliser la jeunesse. La loi sur les enfants et les jeunes de 1969 (The Children and Young Persons Act) donne corps à ces recommandations, laissant au tribunal la possibilité de choisir entre une supervision order, qui place le jeune sous la surveillance d’un délégué à la liberté surveillée ou d’une autorité locale, et une care order qui le confie à l’assistance publique217. Certains commentateurs de l’époque craignaient que, dans l’intérêt de l’amendement, les jeunes puissent être amenés à passer plus de temps sous surveillance institutionnelle qu’auparavant et y être placés plus tôt218, mais l’approche sociale de la criminalité des jeunes est néanmoins sans équivoque. Pourtant, en 1970 la montée des inquiétudes concernant la criminalité (le problème apparaît pour la première fois dans le programme électoral du Parti conservateur219) et un changement de gouvernement font que l’approche non-punitive du rapport Children in Trouble est éclipsée, la population carcérale des jeunes augmentant régulièrement tout au long des années 1970.

Pourtant, sous le gouvernement Thatcher se produit une période de « décarcéralisation » massive des jeunes : en 1990, seules 1 000 peines d’incarcération sont infligées à des jeunes, le chiffre le plus bas depuis 1965220. Cette baisse peut être attribuée à la diminution de la population âgée de 14 à 16 ans entre 1981 et 1988 et, fait révélateur, à une augmentation du nombre d’admonestations données aux jeunes221. En dépit de la rhétorique stricte en matière de loi et d’ordre et l’insistance sur la responsabilité personnelle, pour lesquelles Margaret Thatcher est bien connue, son gouvernement ne renonce pourtant pas complètement à une approche sociale de la criminalité juvénile. Alors que le gouvernement travailliste de Wilson avait souligné la défaillance parentale comme cause de la criminalité, Thatcher accuse les professeurs et les autorités locales de gauche d’avoir propagé une propagande anti-police qui valorise le crime aux yeux des « impressionable young people » (des jeunes gens influençables)222. Les jeunes eux-mêmes ne sont donc pas mis en cause directement. Dans les années 1990, cette perspective bascule. Même si la criminalité des jeunes a toujours inquiété la société – Geoffrey Pearson souligne, dans Hooligan : A History of Respectable Fears 223, l’existence de telles craintes depuis le XIXe siècle au moins – il semble que la peur de cette criminalité ait atteint son paroxysme au cours des années 1990, se traduisant par une explosion de l’incarcération des jeunes. En 2002, le nombre de jeunes condamnés à une peine d’incarcération était 90 % plus élevé que dix ans auparavant (voirfig. 5 ci-dessous). Les raisons en seront analysées plus loin, mais on peut d’ores et déjà dire ici que cette hausse importante a été accompagnée par un changement franc de la rhétorique déployée contre les jeunes délinquants.

Fig. 5 : Nombre de jeunes condamnés à la détention carcérale, 1992-2003 Source : NACRO, Youth Crime Briefing : Some facts about young people who offend [en ligne],2003, p. 7. Disponible sur : http://www.nacro.org.uk/data/resources/nacro-2005071902.pdf [page consultée le 14 mai 2007].

En 1996, Jack Straw, ministre de l’Intérieur du « gouvernement fantôme » de l’époque, dénonce la pratique des admonestations aux jeunes comme étant « a waste of time » (« une perte de temps »)225 et déclare : « A new balance has to be struck between the sometimes conflicting interests of welfare and punishment […]. Young offenders need to be held to account for their actions226. » Puis, en novembre 1997, le gouvernement travailliste publie son rapport officiel, No More Excuses, dont le titre trahit clairement le passage d’une approche sociale à une approche pénale des jeunes délinquants. Dans la préface, Straw annonce la nouvelle politique du gouvernement Blair pour faire face à la criminalité des jeunes :

‘An excuse culture has developed within the youth justice system. It excuses itself for its inefficiency, and too often excuses the young offenders before it, implying that they cannot help their behaviour because of their social circumstances. Rarely are they confronted with their behaviour and helped to take more personal responsibility for their actions. The system allows them to go on wrecking their own lives as well as disrupting their families and communities. This White Paper seeks to draw a line under the past and sets out a new approach to tackling youth crime. It begins the root and branch reform of the youth justice system that the Government promised the public before the Election 227 .’

Cette réforme complète du système à laquelle le rapport fait allusion s’est traduite par la mise en place d’une série de mesures potentiellement punitives qui cherchent à responsabiliser le jeune délinquant.

D’abord, l’ancien principe du droit commun, doli incapax, est aboli par l’article 34 de la loi sur le crime et le désordre de 1998, renversant ainsi la présomption d’innocence criminelle des enfants âgés de 10 à 14 ans. La même loi remplace également l’avertissement informel par une réprimande formelle (reprimand) qui est officiellement enregistrée par la police. D’ailleurs, le nombre d’admonestations qu’un jeune délinquant peut recevoir est désormais limité : après avoir reçu une réprimande, le jeune se voit adresser une admonestation formelle (warning). S’il est condamné à nouveau dans un délai de moins de deux ans suivant l’admonestation, la loi stipule que le juge ne doit pas (sauf cas exceptionnel) le mettre en sursis simple. Étant donné qu’en 1997, 24 113 délinquants âgés de moins de 18 ans ont été mis en sursis et qu’il est fort probable qu’une grande partie d’entre eux avaient reçu une admonestation au cours des deux années précédentes, on a estimé à l’époque que cette mesure risquait d’avoir un impact considérable sur la population carcérale des jeunes228. En effet, l’emploi du sursis simple a chuté de 33 % des jugements en 1993 à 23,6 % en 1999 et finalement à 9,6 % en 2004229.

Autre mesure punitive : la Detention and Training Order (la DTO, une ordonnance de détention et de formation) qui permet l’incarcération des jeunes âgés de 12 à 17 considérés comme récidivistes et dangereux. Elle remplace la Secure Training Order, introduite en 1994, qui prévoyait l’incarcération des enfants âgés entre 12 et 14 ans, ainsi qu’une peine d’incarcération dans un établissement spécialisé pour les jeunes âgés de 15 à 17 ans. La grande nouveauté est qu’elle stipule que la moitié de la peine (qui va de 4 à 24 mois) soit purgée dans un établissement carcéral pour les jeunes et l’autre moitié sous surveillance en liberté, ce qui met l’accent sur l’amendement du jeune. Cependant, il a été suggéré qu’elle est plus sévère que les dispositions antérieures dans la mesure où elle s’applique plus facilement aux enfants âgés de 12 à 14 ans230. Une étude indépendante de 2001 a confirmé une augmentation du nombre de jeunes de cet âge envoyés en prison suite à la mise en application de la DTO : elle suggère cependant que cela ne représente pas pour autant une nouvelle punitivité mais plutôt un désir de la part des magistrats d’infliger une peine qui favorise l’amendement du jeune délinquant231.

En effet, sous le New Labour, l’accent a été mis sur l’amendement du jeune délinquant et tout particulièrement sur l’intervention précoce et la prévention de la criminalité. Par conséquent, l’administration néo-travailliste n’a pas ignoré le besoin de s’attaquer aux causes sociales de la criminalité. C’est pourquoi elle a créé le Youth Justice Board (YJB) – un comité indépendant établi par l’article 41 de la loi sur le crime et le désordre de 1998. Le comité est chargé de veiller sur le système de justice juvénile, de conseiller le ministère de l’Intérieur à ce sujet et, plus important encore, de travailler avec les services sociaux afin de développer une stratégie commune capable de prévenir la criminalité et d’éviter ainsi aux jeunes d’entrer en contact avec le système de justice formelle. Dans ce but, des Youth Offending Team s(YOTs) ont été établies dans chaque autorité locale. Ces équipes inter-institutionnelles d’intervention réunissent des travailleurs sociaux, des délégués à la liberté surveillée, des policiers, le personnel de santé et d’éducation et d’autres acteurs bénévoles qui ont un devoir légal de travailler ensemble afin de s’attaquer aux causes de la criminalité – la consommation de stupéfiants, l’échec scolaire, les problèmes familiaux… – et ainsi de prévenir la délinquance juvénile232. Elles interviennent désormais à chaque étape du système de justice pénale pour les jeunes, s’occupant de la prévention de la criminalité juvénile, de la surveillance des jeunes soumis à des peines non-privatives de liberté et de la réinsertion des jeunes après leur remise en liberté. L’accent est mis tant sur le travail social que sur le châtiment des jeunes délinquants. Le commentateur David Smith considère que le travail en partenariat est le meilleur moyen d’assurer la justice sociale et d’améliorer le sort des enfants et des jeunes marginalisés233. En effet, cet aspect de la réforme du système pénal pour les jeunes a été bien accueilli par la plupart des personnes travaillant dans ce domaine234.

D’ailleurs, alors que le New Labour a prévu des peines strictes pour les jeunes délinquants, il a également favorisé des peines alternatives à l’incarcération, notamment celles qui favorisent la justice réparatrice. On peut citer comme exemple la Referral Order, créée par la loi sur la justice juvénile et la preuve criminelle de 1999 (Youth Justice and Criminal Evidence Ac t) et mise en place au plan national à partir de 2002. La loi oblige les juges à envoyer tout jeune délinquant n’ayant jamais comparu devant un tribunal pour enfants ou un tribunal de police à un Youth Offending Panel, un comité composé de deux bénévoles de la communauté locale et d’un professionnel du service local dédié à la criminalité juvénile. Ce comité rencontre les parents ou le tuteur légal du délinquant et le délinquant lui-même afin de décider comment il peut réparer le mal qu’il a infligé à ses concitoyens. Puis il établit un contrat selon lequel le délinquant pourrait être obligé de présenter des excuses à sa victime ou bien de faire du travail pratique pour elle ou pour la collectivité. S’inspirant directement du principe de justice réparatrice qui cherche à réintégrer le délinquant à la collectivité, l’ordonnance semble moins punitive qu’une peine d’incarcération dont le but premier est l’exclusion du délinquant. Néanmoins, certains commentateurs ont souligné le caractère coercitif de l’ordonnance qui, selon eux, va à l’encontre de l’idée de justice réparatrice. Ils notent que des poursuites criminelles peuvent être déclenchées si un jeune refuse de signer le contrat avec le Youth Offending Panel, s’il n’assiste pas aux réunions du comité ou s’il ne respecte pas les conditions du contrat235.

Une autre mesure apparemment non-punitive est l’Intensive Supervision and Surveillance Programme (ISSP), mis en place en 2001 par le Youth Justice Board. Cette ordonnance vise les délinquants âgés de 10 à 17 ans, avant ou après leur détention. Elle peut prendre la forme d’une surveillance de ceux qui sont libérés sous caution, d’une peine de substitution, exercée en dehors de la prison (comme la peine de travail d’intérêt général), ou d’une mise en liberté surveillée qui constitue la deuxième étape d’une DTO. Ceux qui sont soumis à cette ordonnance doivent assister à un certain nombre de programmes d’éducation et/ou de traitement ainsi qu’accepter d’être surveillés, le plus souvent au moyen d’un dispositif électronique. Étant donné que le Youth Justice Board a souligné la nécessité de faire appliquer les ISSP de façon très stricte, de 2001 à avril 2003 33 % de ceux qui n’ont pas respecté les conditions de l’ordre ont été remis en prison ou condamnés à une peine d’incarcération236. En effet, 60 % des ordonnances infligées n’étaient pas respectées237, ce qui montre clairement que cette mesure est capable d’avoir des conséquences très punitives pour un pourcentage significatif de jeunes délinquants. D’ailleurs, le Youth Justice Board et The National Association for the Care and Resettlement of Offenders (NACRO – une organisation caritative qui cherche à réduire la criminalité en s’occupant des ex-délinquants) ont établi qu’elle peut avoir un effet de netwidening, remplaçant d’autres peines non-privatives de liberté moins intensives238. En effet, un briefing du Youth Justice Board de 2006 a souligné qu’une telle tendance est quasiment inévitable tant qu’il existe « an increasingly punitive ethos within youth justice »239.

En effet, la grande majorité des commentateurs de la politique néo-travailliste relative à la justice juvénile partagent ce point de vue240. On l’a déjà noté dans le rapport officiel No More Excuses et dans les discours de Jack Straw, ce qui a conduit Mark Oaten, le ministre de l’Intérieur du « gouvernement fantôme » des Libéraux-démocrates, à déplorer « the demonisation of young people »241. Un rapport récent, publié par un groupe de réflexion, l’Institute for Public Policy Research (IPPR), confirme son constat : il met en évidence le fait que les Britanniques ont, plus que leurs homologues européens, tendance à avoir peur des jeunes et à les tenir pour responsables de la criminalité et des comportements antisociaux242. La conséquence pratique de ce discours est ce que John Pitts, criminologue britannique, a nommé la dejuvenalisation 243, c’est-à-dire l’érosion des protections spéciales pour les jeunes délinquants, telles que l’abolition du principe de doli incapax, et l’empiétement du système pénal adulte sur celui des jeunes. En 2007, l’administration néo-travailliste est même allée jusqu’à proposer que tout enfant soit soumis à des examens périodiques au cours de son développement afin d’identifier les futurs délinquants244. La dejuvenalisation marque une rupture nette avec l’orthodoxie pénale en vigueur depuis le milieu du XIXe siècle, d’après laquelle les jeunes délinquants doivent être soumis à un régime spécial, si possible complètement en dehors du système pénal. Barry Goldson, expert sur le système pénal pour jeunes, a cité l’augmentation de 800 % du nombre des jeunes âgés de moins de 15 ans incarcérés depuis 1992 avant de corroborer son affirmation suivante : « When the gloss and glitter of new initiatives are stripped away, the hallmark of contemporary youth justice is a crude punitive correctionalism245. »

Or, David Smith prétend qu’il faut se méfier des critiques de la politique de justice juvénile du New Labour qui mettent l’accent sur son aspect punitif. Selon lui, ces critiques sont erronées dans la mesure où elles se concentrent sur la rhétorique plus que sur l’impact de ces politiques telles qu’elles sont appliquées en réalité246. Un rapport indépendant publié par le Centre for Crime and Justice Studies à King’s College, Londres, vient pourtant de corroborer les craintes des détracteurs, tout en s’appuyant sur des preuves statistiques247. Le rapport audite les premiers dix ans de la politique de justice juvénile du New Labour, comparant les buts aux résultats. Le rapport conclut qu’en dépit de l’accent mis sur la prévention de la criminalité, 64 % du budget du YJB a été consacré à la détention des jeunes délinquants248 (seuls 5 % du budget financent la nouvelle alternative à l’incarcération, l’ISSP249). En effet, alors que le YJB vise à réduire par 10 % le nombre de jeunes sous écrou en Angleterre et au pays de Galles, ce chiffre a augmenté de 8 % entre mars 2005 et février 2008250. C’est cette tendance croissante vers la criminalisation des enfants et des jeunes qui a poussé Rod Morgan, le président du YJB d’avril 2004 à février 2007, à démissionner de son poste251. D’ailleurs, le rapport établit que l’accent mis sur la criminalisation est en train de détourner le financement des services sociaux, de la santé et de l’éducation252. En effet, le YJB n’a pas réussi à atteindre ses buts concernant le nombre de jeunes sans abri, l’abus de substances toxiques et l’éducation253. Par conséquent, le rapport conclut :

‘Investment in the youth justice system […] has not simply been provided to respond in a more coordinated, efficient and effective way to children who get in to trouble with the law, but has been necessary to resource formal criminal justice led responses to children who behave in disruptive and challenging ways 254 .’

Notes
191.

V. A. C. Gatrell, The Hanging Tree : Execution and the English People, 1770-1868, Oxford, OUP, 1994, p. 294.

192.

Leon Radzinowicz et Roger Hood, op. cit., pp. 148-155.

193.

Ibid., pp. 177-178.

194.

Ibid., pp. 148-192.

195.

Ibid., p. 624.

196.

Fils de William, le Premier ministre britannique pendant 12 ans entre 1868-1894.

197.

Du Cane était d’abord chef des prisons des forçats jusqu’à 1877, date à laquelle il a été nommé chef du nouveau service pénitenciaire qui a assumé la responsabilité pour les prisons locales et les prisons des forçats.

198.

« […] maintenir, stimuler ou éveiller les meilleures prédispositions des détenus […], développer leurs instincts moraux […], leur donner l’habitude de l’ordre et du travail […], relâcher des hommes et femmes meilleurs, physiquement et mentalement, qu’à leur entrée en prison », in « The Gladstone Committee », cité dans Forsythe, Penal Discipline, Reformatory Projects and the English Prison Commission, 1895-1939, Exeter, University of Exeter Press, 1991, p. 27.

199.

Sidney Webb et Beatrice Webb, avec Bernard Shaw, English Prisons Under Local Government,Londres, Longmans, Green & Co., 1922, p. 225.

200.

Victor Bailey, Delinquency and Citizenship : Reclaiming the Young Offender, Oxford, Clarendon Press, 1987.

201.

Lionel Fox, The English Prison and Borstal Systems,Londres, Routledge and Keegan Paul, 1952, p. 65.

202.

Leon Radzionwicz et Roger Hood, op. cit., pp. 393-395.

203.

W. J. Forsythe, op. cit., p. 50.

204.

Deux objecteurs de conscience emprisonnés dans les prisons locales pendant la première guerre mondiale ont participé à la rédaction du Labour Research Committee Report, publié en 1922. Cf. Stephen Hobhouse et A. Fenner Brockway (éds.), English Prisons Today, Londres, 1922.

205.

W. J. Forsythe, op. cit., p. 55.

206.

Home Office, Prisons and Borstals, op. cit., p. 51.

207.

« […] la Loi a fait un grand bond en avant en intégrant l’idée que les personnes de moins de 21 ans ne doivent pas être envoyés en prison dès lors qu’une autre option est envisageable », ibid.

208.

Ibid., p. 55.

209.

Ibid., p. 63.

210.

La Prison Commission, créée par la loi sur les prisons de 1877, était l’organisme responsable de tout le système pénitentiaire de l’Angleterre et du pays de Galles jusqu’à son abolition par la loi sur la justice criminelle de 1961.

211.

« Sauf dans ses dispositions sur les délinquants récidivistes, il s’agit surtout d’une Loi destinée à ce que les gens n’aillent pas en prison. » In Lionel Fox, op. cit., p. 66.

212.

Labour Party Study Group, Crime – A Challenge To Us All, op. cit.

213.

« […] la première des considérations sera le bien-être de la famille dans son ensemble », ibid.,p. 23.

214.

« Nous considérons que par souci de justice pour nos enfants, et pour la santé et le bien-être de notre société, aucun enfant dans les premières années de l’adolescence ne devrait être obligé de répondre à des procédures pénales : ces enfants devraient recevoir un traitement adapté, sans être stigmatisés par le système pénal, ni s’y voir associé. »Ibid.,p. 24.

215.

Barbara Wootton, « The White Paper on Children in Trouble », Criminal Law Review, 1968, pp. 465-473.

216.

Ibid.

217.

A. E. Bottoms, J. D. McClean et K. W. Patchett, « Children, Young Persons and the Courts – A Survey of the New Law », Criminal Law Review, 1970, p. 379.

218.

Ibid., p. 393.

219.

David Downes et Rod Morgan, « Dumping the “Hostages to Fortune” ? The Politics of Law and Order in Post-War Britain », Mike Maguire, Rod Morgan et Robert Reiner (éds.), The Oxford Handbook of Criminology, 1997, op. cit., p. 97.

220.

Prison Reform Trust, Juvenile Justice Paper 4, Trends in Juvenile Crime and Punishment, Londres, Prison Reform Trust, 1993, p. 4.

221.

Ibid. et Caroline Ball, « Youth Justice ? Half a Century of Responses to Youth Offending », Criminal Law Review,2004, p. 168.

222.

Margaret Thatcher, « Speech to Conservative Party Conference » [en ligne], le 9 octobre 1987, The Margaret Thatcher Foundation. Disponible sur : http://www.margaretthatcher.org/speeches /displaydocument.asp?docid=106941 [page consultée le 14 mai 2007].

223.

Geoffrey Pearson, Hooligan : A History of Respectable Fears,Basingstoke, Macmillan, 1983.

224.

Source : NACRO, Youth Crime Briefing : Some facts about young people who offend [en ligne],2003, p. 7. Disponible sur : http://www.nacro.org.uk/data/resources/nacro-2005071902.pdf [page consultée le 14 mai 2007].

225.

Jack Straw et Alun Michael, Tackling Youth Crime : Reforming Youth Justice, A consultation paper on an agenda for change, Londres, Labour Party, 1996, p. 4.

226.

« Un nouvel équilibre doit être trouvé entre les intérêts parfois conflictuels de l’assistance et du châtiment […]. Les jeunes délinquants doivent rendre compte de leurs actes. » Ibid., p. 9.

227.

« Une culture de l’absolution s’est développée au sein du système de justice pour les jeunes. Elle s’absout elle-même de son inefficacité, et trop souvent absout d’avance les jeunes délinquants, imputant au poids de circonstances sociales, des comportements qu’ils ne pourraient prévenir. Rarement sont-ils confrontés à leurs comportements ou incités à prendre une plus grande responsabilité personnelle de leurs actes. Le système leur permet de continuer à détruire leurs propres vies, et de perturber leurs familles et leurs communautés. Ce livre blanc cherche à marquer une rupture avec le passé en présentant une nouvelle approche pour s’attaquer au problème de la criminalité des jeunes. Il lance la réforme profonde du système de la justice pour les jeunes que le gouvernement avait promise au public avant les élections. » In Home Office, No More Excuses : A new approach to tackling youth crime in England and Wales [en ligne], novembre 1997. Disponible sur : http://www.homeoffice.gov.uk/documents/jou-no-more-excuses?view=Html [page consultée le 14 mai 2007].

228.

Julia Fionda, « New Labour, Old Hat : Youth Justice and the Crime and Disorder Act 1998 », Criminal Law Review,1999, p. 44.

229.

NACRO, Reducing Custody : A systematic approach, Youth Crime Briefing [en ligne], juin 2006. Disponible sur : http://www.nacro.org.uk/data/resources/nacro-2007010200.pdf [page consultée le 14 mai 2007].

230.

Barry Goldson, « The New Punitiveness : The Politics of Child Incarceration », dans John Muncie, Gordon Hughes, Eugene McLaughlin (éds.), Youth Justice, op. cit., p. 394.

231.

Neal Hazel et al., Detention and Training : Assessment of the Detention and Training Order and its impact on the secure estate across England and Wales [en ligne], Youth Justice Board, 2002. Disponible sur : http://www.yjb.gov.uk/en-gb/search?LinkClick=%2Fcgi-bin%2FMsmGo.exe %3Fgrab_id%3D0%26page_id%3D2127%26query%3DDTO%2520Report%26hiword%3DDTO%2520REPORTED%2520REPORTING%2520REPORTS%2520Report%2520 [page consultée le 10 juin 2008].

232.

Home Office, No More Excuses, op. cit.

233.

David Smith, « New Labour and Youth Justice », Children & Society, 2003, vol. 17, n° 3, p. 228.

234.

Tim Newburn, « Tackling Youth Crime and Reforming Youth Justice : The Origins and Nature of ‘New Labour’ Policy », Policy Studies, 1998, vol. 19, n° 3/4, pp. 208-209.

235.

Caroline Ball, « The Youth Justice and Criminal Evidence Act 1999, Part I : A significant move towards restorative justice, or a recipe for unintended consequences ? », Criminal Law Review,2000, pp. 13-15.

236.

Youth Justice Board, Intensive Supervision and Surveillance Programme : The final report, [en ligne], 2005, p.30. Disponible sur : http://www.yjb.gov.uk/Publications/Resources/Downloads /ISSP%20the%20final%20report.pdf [page consultée le 17 mai 2007].

237.

Ibid.

238.

Ibid., p. 40. Voirégalement NACRO, A Better Alternative : Reducing child imprisonment [en ligne], 2005. Disponible sur : http://www.nacro.org.uk/data/resources/nacro-2005040500.pdf [page consultée le 17 mai 2007].

239.

« […] un esprit de plus en plus punitif au sein de la justice pour les jeunes », in NACRO, Reducing Custody : A systematic approach, op. cit.

240.

Cf. par exemple, Barry Goldson, op. cit. ; John Muncie, « Institutionalized Intolerance : Youth justice and the 1998 Crime and Disorder Act », Critical Social Policy, 1999, vol 19, n° 2 : 147-175 ; John Pitts, The New Politics of Youth Crime : Discipline or Solidarity ?, Basingstoke, Palgrave, 2001.

241.

Mark Oaten, « We Need More Progressive Solutions », Safer Society, NACRO, printemps 2005, n° 24 : 6-7.

242.

BBC, « British adults “fear youngsters” », BBC News [en ligne], 22 octobre 2006. Disponible sur : http://news.bbc.co.uk/2/hi/uk_news/6074252.stm [page consultée le 17 mai 2007].

243.

John Pitts, op. cit., p. 48.

244.

Alan Travis, « Every child to be screened for risk of turning criminal under Blair justice plan », The Guardian, [en ligne], 28 mars 2007. Disponible sur : http://www.guardian.co.uk/ crime/article/0,,2044296,00.html [page consultée le 17 mai 2007].

245.

« Lorsqu’on retire le lustre et l’éclat des nouvelles initiatives, le sceau contemporain de la justice pour les jeunes est un “correctionalisme” brut et punitif. » In Barry Goldson, « Authoritarian Drift », Safer Society, NACRO, hiver 2004, n° 23, pp. 27-28.

246.

David Smith, op. cit., pp. 229-230.

247.

Enver Solomon et Richard Garside, Ten Years of Labour’s Youth Justice Reforms : An independent audit, Centre for Crime and Justice Studies, mai 2008 [en ligne]. Disponible sur : http://www.crimeandjustice.org.uk/opus647/youthjusticeaudit.pdf [page consultée le 4 juin 2008].

248.

Ibid., p. 22.

249.

Ibid., p. 24.

250.

Ibid., p. 48.

251.

Communication personnelle avec Rod Morgan, le 22 mai 2008. Voir annexe.

252.

Enver Solomon et Richard Garside, op. cit., p. 26.

253.

Ibid., pp. 53-64.

254.

« L’investissement dans le système de la justice pour les jeunes […] n’objecte pas seulement de répondre d’une manière plus organisée, efficace et effective aux jeunes qui ont des démêlés judiciaires, mais d’apporter une nécessaire réponse formelle aux enfants qui vivent en rupture et dans le défi. » Ibid., p. 52.